1 août 2018

NOTE : 50 ans après, quel avenir pour le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ?

Awen DEBERT 

Le 1er juillet 2018, le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) conclu en 1968 a célébré ses 50 ans d’existence. Originalement établi pour 25 ans, le TNP a été renouvelé en 1995 pour une durée indéterminée. Discuté tous les 5 ans lors d’une conférence d’examen – la dernière en date s’étant déroulée en 2015 – il semble légitime de poser aujourd’hui certaines questions. Quel sera la place du TNP dans le processus de désarmement nucléaire ? Quel est son bilan concernant ses objectifs ? Est-il efficace en matière de désarmement nucléaire ? Quels obstacles subviennent quant à sa mise en application ? Plus important encore, est-il suffisant pour répondre aux nouveaux enjeux sécuritaires et écologiques du XXIe siècle ?

Pour pouvoir évaluer l’efficacité du TNP, il convient, au préalable, de dresser un bilan de l’état du nucléaire militaire dans le monde. Le total des arsenaux nucléaires au début de l’année 2018 était d’environ 14 465 armes, soit une baisse d’approximativement 500 armes depuis 2017. Environ 92% de ces armes sont détenus par la Russie et les États-Unis, qui sont aussi responsables en grande partie de leur baisse, bien que faible. La plupart des autres États détenteurs de l’arme nucléaire, tels que l’Inde, le Pakistan et la Chine, ont affirmé leur souhait de développer, déployer et renouveler leurs arsenaux et, ainsi, augmenter le nombre d’ogives en leur possession. La totalité des États détenteurs de l’arme atomique indiquent aussi vouloir moderniser leurs arsenaux nucléaires sur le long terme et prévoient d’importants investissements. Remarquons, en ce sens, que le Bureau du budget du Congrès américain estime que 1,2 trillions de dollars seront utilisés au total sur la période 2017–2046, dont 400 millions de dollars pour le processus de modernisation.

Au regard de ce bilan, deux points seront ici analysés : la faible baisse du nombre total d’ogives nucléaires, d’une part, et la modernisation durable des arsenaux nucléaires, d’autre part.

Le but initial du TNP est décrit par deux axes principaux : la mise en place de mesures visant à interdire l’obtention de l’arme nucléaire par de nouveaux acteurs et le désarmement nucléaire général et complet (nous ne traiterons pas ici de l’axe lié à l’usage pacifique de l’énergie nucléaire qui est aussi présent dans ce traité). Le premier axe est énoncé dans les articles I et II du TNP. Ce point est explicitement contraignant et condamne formellement toute recherche, transfert de technologie et de matériaux liés au nucléaire militaire vers les États non dotés de l’arme atomique. Les termes de ces articles sont précisés par les articles III, IV et V, notamment en ce qui concerne les mécanismes de surveillance et de coopération internationale en charge de l’application de ce traité, tels que l’Agence internationale de l’énergie atomique.

Comparons cet axe avec l’article VI qui introduit le deuxième axe, celui du désarmement nucléaire. Cet article encourage les États signataires, en particulier ceux dotés de l’arme atomique, à entreprendre un désarmement nucléaire progressif et complet sur la base de contrôles et d’échéances fondé sur leur « bonne foi ». Il mentionne aussi la nécessité d’adhérer à un nouveau traité sur le désarmement nucléaire pour mettre en place cet article de manière durable et efficace. Deux problèmes apparaissent sur la forme et sur le fond. Le premier, sur la forme, est le changement de registre de cet article, beaucoup moins contraignant, qui fait passer le désarmement nucléaire comme secondaire, plus proche d’un acte volontaire ou éthique que d’une réelle nécessité tant sur le plan sécuritaire et humanitaire, mais également environnemental pourrions-nous rajouter en ce XXIe siècle. Pourtant, ces domaines exigent non seulement une rigueur au niveau juridique, mais surtout la mise en application d’outils contraignants pour être pris en compte de manière crédible et efficace.

Sur le fond, l’article VI demande l’appui d’un texte complémentaire quant à son application qui existe désormais avec le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté à l’ONU le 7 juillet 2017. À ce jour, il n’est signé par aucun État détenteur de l’arme atomique et a encore besoin de 38 ratifications sur les 50 demandées pour entrer en vigueur. De plus, l’article VI et le préambule mentionnent aussi la fin de la course à l’armement nucléaire, ce qui devrait prendre en compte la modernisation des arsenaux nucléaires. Pourtant, nous faisons face à une toute autre réalité, notamment avec l’obtention très prochainement d’armes nucléaires hyper-soniques et le maintien de considérables investissements dans le domaine du nucléaire militaire. Cela démontre non seulement que l’article VI n’est pas suffisamment précis, mais surtout qu’il n’est pas respecté, car les États dotés de l’arme atomique, comme la France, entretiennent et modernisent leurs armements nucléaires régulièrement ; c’est d’ailleurs ce que montre la dernière loi de programmation militaire française.

Il est clair que le bilan déplorable précédemment dressé est à mettre en corrélation avec le manque d’ambition et de considération avéré dont fait preuve cet article VI du TNP concernant le « désarmement ». En effet, il semble largement sous-estimer le danger permanent que représente le maintien des armes nucléaires existantes sur les populations humaines et sur l’environnement. Ce dernier point est d’ailleurs très peu considéré, les conséquences décrites dans le préambule ne font mention que de « sauvegarder la sécurité des peuples », sans spécifier celles sur les générations futures en lien avec la contamination durable de l’environnement, la biodiversité, les écosystèmes, le climat et la couche d’ozone. Sur ce point, rappelons le constat fait par Darlene Keju-Johnson concernant l’atoll de Bikini, victime de nombreux essais atomiques entre 1946 et 1958 : « Nous avons actuellement le problème de ce que nous appelons les "bébés méduses". À la naissance, ces bébés s’apparentent à des méduses. Ils n’ont pas d'yeux. Ils n’ont pas de têtes. Ils n’ont pas de bras. Ils n’ont pas de jambes. Ils n’ont pas l’air humain. Quand ils meurent, ils sont immédiatement enterrés. Souvent, ils ne laissent pas la mère voir son bébé, parce qu’elle deviendrait folle. C’est inhumain ».

Cette question écologique est à inclure dans la problématique du désarmement nucléaire, car elle souligne l’urgence du problème nucléaire, mais aussi la pertinence d’un processus de désarmement nucléaire complet et durable. En effet, l’environnement n’est certainement pas une problématique à part, puisque celle-ci est aujourd’hui liée à tous les domaines de la société, du militaire au social en passant par la santé, et représente sans aucun doute le plus grand défi du XIXe siècle. La préservation de notre environnement ne peut se faire que sous la garantie d’un désarmement nucléaire complet et, à l’inverse, ce processus gagnerait d’autant plus en crédibilité et efficacité si la question écologique était mise en avant dans l’article VI. Il peut être concevable que lors de l’écriture du TNP en 1968, cette question avait été omise car considérée encore comme secondaire et peu inquiétante. Cependant, aujourd’hui ce traité devrait - notamment au cours de sa prochaine révision - être ajusté pour s’accorder à son époque en vue de l’ampleur de la situation préoccupante dans laquelle se trouve l’environnement mondial. Cet axe n’est pas à prendre en compte séparément mais bien à tous les niveaux de la société, aussi bien civil que militaire. Le TIAN est d’ailleurs un bon exemple de traité comprenant cette notion ; il ne reste plus qu’au TNP à suivre cet exemple et à s’aligner pour prendre en compte ce nouvel enjeu, afin d’assurer la cohérence entre ces deux traités.

L’arme nucléaire est aujourd’hui reconnue comme immorale, non seulement par un nombre croissant d’États à travers le monde comme par la société civile. C’est maintenant aux États détenteurs de l’arme atomique de prendre leur responsabilité et de représenter l’opinion publique en mettant tout en action pour rendre sa détention et son utilisation formellement illégale, un prérequis pour le désarmement. En effet, ces deux caractérisations « immorales » et « illégales » doivent fonctionner de pair pour que le TNP obtienne une réelle légitimité et crédibilité reconnues par toute la communauté internationale, mais surtout pour qu’il soit en cohérence avec d’autres traités tout aussi importants comme le TIAN, de sorte que ce dernier puisse entrer en vigueur au plus vite.

1 commentaire :