14 décembre 2006

NOTE : Session spéciale du Conseil des droits de l'Homme sur le Darfour

Joseph AYISSI

La session spéciale du Conseil des droits de l’homme sur le Darfour, requise par 35 membres de cet organe, a clôturé ses travaux par l’adoption d’une décision portant envoi d’une Mission d’évaluation des faits au Darfour. 

C’est par consensus que le Conseil vient d’adopter le projet de décision portant sur le Darfour. La décision adoptée est un projet du Président du Conseil des droits de l’homme, dont les efforts ont permis de rapprocher les vues et d’aboutir à un texte commun.
Auparavant, deux textes étaient en préparation : le texte du groupe africain et le texte co-parrainé par l’Union Européenne et d’autres États. Les divergences entre ces deux projets portaient sur les points essentiels suivants :

1. L’impunité : dans son projet de résolution, l’UE faisait mention à la lutte contre l’impunité au Darfour ; mention non acceptée par le groupe africain et le Soudan.

2. L’approche africaine consistait à faire reconnaître les accords de paix intervenus à Abuja entre le gouvernement soudanais et les rebelles, ainsi que les efforts d’ouverture et de coopération du Soudan à l’égard de la communauté internationale et des organes onusiens des droits de l’homme.

3. Le projet africain mettait aussi l’accent sur la nécessité d’aider financièrement et techniquement le Soudan et la mission de l’Union africaine au Soudan, dont le mandat vient d’être prorogé.

4. La Mission d’enquête : Bien que reconnaissant la nécessité de dépêcher une mission d’évaluation des faits au Soudan, les positions du groupe africain et de l’UE divergeaient essentiellement sur sa composition. Pour les premiers, la mission devait être conduite par le président du Conseil et comprenant les membres du Bureau et les coordonnateurs des groupes régionaux. Pour l’UE, cette mission devait être composée d’experts indépendants et qualifiés ; ces deux critères étant garants de la crédibilité et de l’objectivité des faits à rapporter.

Lors des consultations, la divergence profonde a porté sur l’interprétation des principes d’indépendance et d’objectivité, à appliquer dans le choix de l’équipe qui devra se rendre au Soudan. Le groupe africain et le Soudan mettait en cause le caractère purement objectif des faits rapportés par les différents rapports des agences onusiennes, des ONGs, du rapporteur spécial sur le Soudan et même de la Haut Commissaire. L’UE les tenait pour vraies et graves.

Les négociations ont abouti sur un texte de décision présenté aux délégations par le président du Conseil et qui a été adopté sans vote. Que dit ce texte ?

Le texte de décision comporte 6 paragraphes dont trois dans le préambule et trois autres dans le dispositif.

Dans son préambule, le texte fait droit aux revendications africaines, puisqu’il souligne la gravité de la situation des droits de l’homme au Darfour, tout en « accueillant avec satisfaction » la conclusion de l’Accord de paix d’Abuja (§1) et reconnaît les efforts de coopération du gouvernement soudanais avec les mécanismes et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (§2).

Dans son dispositif, le Conseil des droits de l’homme décide de dépêcher une mission de haut niveau au Darfour. Sa composition sera de six personnes, à savoir, le rapporteur spécial au Soudan et 5 autres personnes. La décision précise aussi le mandat : évaluer les faits et faire rapport au Conseil à sa quatrième session. Elle précise aussi les critères qui doivent être requis pour la désignation des membres de cette mission : une haute qualification. Le mode de choix est la désignation par le président du Conseil après consultation des membres du Conseil.

Ce texte requiert quelques commentaires.

1. La solution trouvée pour la composition de la Mission d’évaluation des faits est ouverte. Elle tient compte des préoccupations européennes d’avoir de l’expertise, ainsi que de la revendication du groupe africain d’y voir des membres du Conseil. Si le texte ne le dit pas explicitement, cette considération est implicite et ressort des négociations, puisque le Pr du Conseil peut largement interpréter le pouvoir que lui confère le Conseil, dans les termes « hautement qualifiées ». Il n’a pas l’obligation de désigner seulement des experts indépendants, il n’a pas non plus l’obligation de choisir uniquement les membres du Conseil et coordonnateurs régionaux. Ce membre de phrase est donc une porte ouverte, issue du compromis politique. Lors des négociations, le groupe africain a prétendu que les membres du Conseil peuvent aussi être hautement qualifiés. Sans nul doute que le président en tiendra compte. Le second élément dont il faut tenir compte est la coopération du gouvernement soudanais. Celui-ci avait indiqué qu’il pourrait refuser sa coopération, si la mission était exclusivement composée d’experts. Le Pr du Conseil en tiendra certainement compte. Une telle coopération est nécessaire tant pour la visite elle-même, que pour son déroulement (déplacements, accès à certains sites, rencontre de certaines personnes, notamment des victimes d’exactions) et les conclusions que la Mission pourrait tirer. A ce titre, il est utile de signaler que de telles conclusions peuvent être rejetées par le Soudan.

2. Le texte ne dit pas non plus qui conduira la Mission, ni le rapporteur spécial selon les souhaits européens, ni le Pr du Conseil des droits de l’homme d’après les souhaits africains. Il laisse encore une porte ouverte et entière discrétion au Pr du Conseil.

3. Le dernier commentaire porte sur le suivi de la Mission. Il est essentiel que l’esprit de consensus qui s’est dégagé pour l’adoption de cette décision puisse se réaffirmer dans le but d’obtenir des résultats efficaces sur le terrain, notamment la cessation des hostilités, la cessation des violations, l’accès et la liberté de mouvement des travailleurs humanitaires.

En conclusion, notons que l’adoption de ce texte a suscité des réactions positives de la part des États. Ils ont salué l’esprit de coopération, qui pourrait désormais guider les sessions spéciales du Conseil et en faire un mécanisme efficace de réaction à des situations urgentes et graves des violations des droits de l’homme.


Mode de citation : Joseph AYISSI, « Sessionspéciale du Conseil des droits de l’Homme sur le Darfour (12-13 décembre 2006) », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 13 décembre 2006




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