Catherine MAIA
L’euphorie du Printemps arabe a fait place à un sérieux défi, celui
d’instaurer des démocraties respectueuses des droits humains, a déclaré Human Rights Watch le 31 janvier à l’occasion de la publication de son Rapport mondial 2013 (version intégrale en anglais, version abrégée en français).
La volonté des nouveaux gouvernements de respecter les droits
déterminera si ces soulèvements ont donné naissance à de véritables
démocraties ou ont simplement engendré de nouvelles formes
d’autoritarisme.
Dans ce rapport de 665 pages, son 23e
examen annuel des pratiques en matière de droits humains à travers le
monde, Human Rights Watch résume les principaux problèmes qui se posent
dans plus de 90 pays.
En ce qui concerne les événements survenus au Moyen-Orient et en
Afrique du Nord, connus sous le nom de Printemps arabe, Human Rights
Watch explique que la création d’un État respectueux des droits peut
être une tâche laborieuse qui requiert la mise sur pied d’institutions de
gouvernance efficaces, l’établissement de tribunaux indépendants, la
mise en place d’une police professionnelle, ainsi que la capacité de
résister à la tentation pour les représentants de la majorité de bafouer
les droits humains et l’État de droit. Toutefois, les difficultés que
présente l’instauration d’une démocratie ne peuvent justifier
l’aspiration à un retour de l’ancien ordre établi.
« Les incertitudes liées à la liberté ne constituent nullement une
raison pour renouer avec les méthodes prévisibles d’un régime
autoritaire », a déclaré Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch. « Le
chemin à parcourir peut se révéler périlleux, mais l’alternative serait
de condamner à nouveau des pays entiers à un sombre avenir où règne
l’oppression ».
La tension entre la loi de la majorité et le respect des droits humains
est peut-être le plus grand défi à relever pour les nouveaux
gouvernements, a noté Human Rights Watch. Il est naturel que les
dirigeants du Moyen-Orient aspirent à exercer leurs nouveaux pouvoirs
conquis lors des élections, mais ils ont le devoir de gouverner sans
sacrifier les libertés fondamentales ou les droits des minorités, des
femmes et d’autres groupes à risque.
Les autres pays peuvent apporter leur soutien, d’une part, en faisant
figure de modèles positifs à travers leurs pratiques et de leur propre
respect des droits humains et, d’autre part, en promouvant sans cesse ces
droits dans le cadre de leurs relations avec tous les gouvernements,
notamment les nouveaux. Fermer les yeux face à la répression peut
s’avérer commode sur le plan politique, mais cela cause un énorme
préjudice à l’objectif d’édifier des démocraties respectueuses des
droits humains, a souligné Human Rights Watch.
Le Rapport mondial comprend par ailleurs trois essais relatifs à d’autres menaces pesant sur les droits humains. Le premier essai décrit
le besoin de réglementer le secteur privé à travers la planète, en
particulier à l’heure de la mondialisation, afin de protéger les droits
des travailleurs et des populations qui subissent les effets négatifs
des activités des entreprises. Le deuxième essai explique
que lorsqu’ils réagissent face aux crises environnementales, les
gouvernements et autres responsables se focalisent souvent sur les
dommages causés à la nature, négligeant l’impact qu’elles ont en termes
de droits humains sur les populations vivant dans les zones critiques.
Le troisième essai met
en lumière la façon dont l’argument de la « tradition » et du
relativisme culturel est utilisé pour priver les femmes et les minorités
de droits humains qui devraient être universels.
Le conflit en Égypte autour
de la nouvelle Constitution, qui sera probablement la plus influente au
sein des pays de la région en pleine mutation, illustre à quel point il
est difficile de protéger les droits humains, souligne Kenneth Roth
dans l’introduction du
rapport. Cette constitution présente quelques éléments positifs, entre
autres des interdictions claires relatives à la torture et à la
détention arbitraire. Mais des dispositions vaguement formulées à propos
de la liberté d’expression, de la religion et de la famille ont de
dangereuses implications pour les droits des femmes et l’exercice des
libertés sociales garanties par le droit international. La Constitution
égyptienne semble également refléter un abandon des efforts visant à un
contrôle de l’armée par les civils.
Parmi les pays arabes qui ont connu un changement de gouvernement, c’est la Libye qui
illustre le mieux le problème d’un État faible, résultat de la décision
prise par Mouammar Kadhafi de maintenir les institutions
gouvernementales insuffisamment développées afin de décourager toute
remise en question de son pouvoir personnel. Ce problème se fait
particulièrement sentir en ce qui concerne l’État de droit, a relevé
Human Rights Watch. Des milices dominent de nombreuses régions de la
Libye et dans certains endroits, elles commettent de graves violences en
toute impunité. Par ailleurs, des milliers de personnes se trouvent
toujours en détention, tantôt aux mains du gouvernement, tantôt aux
mains des milices, sans guère de possibilités immédiates de se voir
inculpées ou de confronter devant un tribunal les quelconques éléments
de preuve retenus contre elles.
En Syrie où,
selon les dernières estimations des Nations Unies, 60 000 personnes ont
été tuées dans les combats qui se poursuivent encore, les forces
gouvernementales ont commis des crimes contre l’humanité et des crimes
de guerre, tandis que certaines forces de l’opposition se sont également
livrées à de graves exactions, notamment à des actes de torture et à
des exécutions sommaires.
Un défèrement de la situation en Syrie à la Cour pénale internationale par
le Conseil de sécurité de l’ONU assurerait un début de justice pour
toutes les victimes et contribuerait à dissuader la perpétration de
nouvelles atrocités et de représailles sectaires. Mais bien que de
nombreux gouvernements occidentaux déclarent soutenir cette mesure, ils
n’ont pas exercé le type de pression publique soutenue qui aurait pu
persuader la Russie et la Chine de
renoncer à leur droit de veto et d’autoriser un défèrement, a déploré
Human Rights Watch. Il s’agirait également d’exercer des pressions sur
l’opposition armée syrienne, afin qu’elle développe et vive en accord
avec un projet pour la Syrie qui respecte les droits de toute la
population.
Les droits des femmes sont
une source de discorde dans de nombreux pays où les islamistes
enregistrent des victoires électorales, a noté Human Rights Watch.
Certainsadversaires de ces droits affirment qu’ils sont imposés par
l’Occident et sont incompatibles avec l’islam ou la culture arabe. Le
droit international des droits humains n’empêche pas les femmes
d’adopter un mode de vie conservateur ou religieux si elles le
souhaitent. Mais trop souvent, des gouvernements imposent des
restrictions aux femmes qui réclament l’égalité ou l’autonomie.
Qualifier ces droits de modèle imposé par l’Occident ne parvient pas à
faire oublier l’oppression dont sont victimes les femmes dans leur
propre pays, où elles sont souvent réduites à un rôle de second plan.
« Alors que s’implantent les gouvernements à dominante islamiste
issus du Printemps arabe, aucun aspect ne permettra peut-être de mieux
définir leur bilan que la façon dont ils traitent les femmes », a fait remarquer Kenneth Roth.
Les propos considérés comme une transgression de certaines limites
incitent souvent les détenteurs du pouvoir à restreindre les droits des
autres. Les déclarations qui critiquent le gouvernement, insultent
certains groupes ou froissent les sentiments religieux risquent
particulièrement de provoquer des réactions en ce sens. Dans ce cas, la
liberté d’expression est d’autant plus en péril en l’absence
d’institutions fortes et indépendantes capables de protéger les droits, a
expliqué Human Rights Watch. Les gouvernements devraient également
faire preuve de retenue, respectant le droit de ne pas être d’accord, de
critiquer et d’exprimer des opinions impopulaires.
Les gouvernements peuvent justifier certaines restrictions à la liberté
d’expression, entre autres celles qui visent les propos incitant à la
violence. Mais il faut également surveiller ceux qui recourent à la
violence pour éliminer ou punir la libre expression, a souligné Human
Rights Watch. Ceux qui enfreignent la loi sont ceux qui réagissent
violemment à des propos non-violents parce qu’ils s’opposent à leur
contenu ; les autorités ont le devoir de mettre un terme à leur
violence, pas de censurer les propos offensants.
Le problème de l’exercice sans retenue du pouvoir par la majorité ne se
limite pas au monde arabe, a précisé Human Rights Watch. La Birmanie en
est une illustration marquante. Dans ce pays, une dictature militaire
solidement enracinée a cédé la place à un gouvernement civil ouvert aux
réformes. Néanmoins, le gouvernement birman s’est montré réticent à
protéger les groupes minoritaires du pays ou même à s’élever contre les
violences dont ils sont victimes, plus particulièrement la persécution
sévère et violente des musulmans Rohingyas.
La transition entre l’éclatement d’une révolution à l’instauration
d’une démocratie respectueuse des droits est une tâche qui incombe
d’abord au peuple du pays qui est le théâtre du changement, a fait
remarquer Human Rights Watch. Mais les autres gouvernements peuvent et
devraient user de toute leur influence. Le soutien de l’Occident aux
droits humains et à la démocratie à travers le Moyen-Orient s’est
toutefois révélé pour le moins inégal lorsque des intérêts pétroliers,
des bases militaires ou les relations avec Israël étaient en jeu.
Ce manque de cohérence lorsqu’il s’agit de réclamer des comptes à
certains responsables d’exactions apporte de l’eau au moulin des
gouvernements répressifs qui font valoir que la justice internationale
est sélective et s’applique rarement aux alliés des gouvernements
occidentaux ; il réduit par ailleurs la valeur dissuasive de la Cour
pénale internationale.
« Les nouveaux dirigeants du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord
devront faire preuve d’une détermination fondée sur des principes s’ils
veulent améliorer la situation des droits humains dans une région qui a longtemps résisté aux réformes démocratiques », a conclu Kenneth Roth. « Et ils auront besoin de l’appui constant et indéfectible d’acteurs extérieurs influents ».
Source : HRW
MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale (http://reseau-multipol.blogspot.com)
5 février 2013
RAPPORT : HRW, Rapport mondial 2013 : Les défis en matière de droits humains au lendemain du Printemps arabe
Libellés :
Droits humains/Droit humanitaire
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