5 octobre 2016

ACTU : La CIJ se déclare incompétente dans les affaires "Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire" opposant les Îles Marshall à l’Inde, au Pakistan et au Royaume-Uni

Catherine MAIA

La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, a rendu, le 5 octobre 2016, ses arrêts sur les exceptions à la compétence de la Cour et à la recevabilité des requêtes, soulevées respectivement par l’Inde, le Pakistan et le Royaume-Uni, en l’affaire des Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire. Dans ses arrêts, qui sont définitifs et sans recours, la Cour retient l’exception d’incompétence soulevée par les défendeurs et fondée sur l’absence de différend entre les Parties et dit qu’elle ne peut procéder à l’examen de l’affaire au fond.

Raisonnement de la Cour

La Cour rappelle que les Îles Marshall ont déposé des requêtes contre l'Inde, le Pakistan et le Royaume-Uni, dans lesquelles elles reprochent à ceux-ci de manquer à leurs obligations relatives aux négociations concernant la cessation de la course aux armements nucléaires et le désarmement nucléaire. L'Inde, le Pakistan et le Royaume-Uni ont soulevé plusieurs exceptions à la compétence de la Cour et à la recevabilité de la requête, et les Îles Marshall ont prié la Cour de rejeter ces exceptions. Celle-ci se penche, tout d’abord, sur l’exception des défendeurs fondée sur l’absence de différend entre les Parties au moment du dépôt de la requête. 

La Cour précise que l’existence d’un différend entre les Parties est une condition à sa compétence et rappelle que, pour qu’un différend existe, les points de vue de celles-ci, quant à l’exécution ou à la non-exécution de certaines obligations internationales, doivent être nettement opposés. Elle ajoute qu’un différend existe lorsque les éléments de preuve montrent que le défendeur avait connaissance, ou ne pouvait pas ne pas avoir connaissance, de ce que ses vues se heurtaient à l’opposition manifeste du demandeur. Enfin, elle souligne que l’existence d’un différend doit, en principe, être appréciée à la date du dépôt de la requête. 

La Cour s’intéresse ensuite à l’affirmation des Îles Marshall selon laquelle certaines déclarations qu’elles ont faites dans des enceintes multilatérales montrent qu’un différend les opposait aux défenseurs. Elle observe que les Îles Marshall se réfèrent à deux déclarations de ce type : l’une faite le 26 septembre 2013 par leur ministre des Affaires étrangères lors de la réunion de haut niveau de l’Assemblée générale de l'ONU sur le désarmement nucléaire, «appel[ant] instamment tous les Etats dotés d’armes nucléaires à intensifier leurs efforts pour assumer leurs responsabilités en vue d’un désarmement effectif réalisé en toute sécurité» ; et l’autre faite le 13 février 2014 par leur représentant à Nayarit, au Mexique, dans le cadre de la deuxième conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, et qui se lit comme suit : 
«[L]es Îles Marshall sont convaincues que des négociations multilatérales visant à créer et à maintenir un monde dépourvu d’armes nucléaires auraient dû être engagées depuis longtemps. Nous estimons en effet que les Etats possédant un arsenal nucléaire ne respectent pas leurs obligations à cet égard. L’obligation d’œuvrer au désarmement nucléaire qui incombe à chaque Etat en vertu de l’article VI du Traité de non-prolifération nucléaire et du droit international coutumier impose l’ouverture immédiate de telles négociations et leur aboutissement ». 
La Cour estime que la première déclaration revêt un caractère d’exhortation et ne saurait être considérée comme une allégation selon laquelle les défenseurs manquaient à l’une quelconque de leurs obligations juridiques. S’agissant de la seconde, la Cour relève qu’elle a été faite lors d’une conférence — à laquelle le Royaume-Uni n’a pas assisté — qui ne portait pas spécifiquement sur la question de négociations en vue du désarmement nucléaire, mais sur celle, plus large, de l’impact humanitaire des armes nucléaires. En outre, cette déclaration dénonce, d’une manière générale, le comportement de l’ensemble des Etats possédant un arsenal nucléaire et ne précise pas le comportement des défenseur qui serait à l’origine du manquement allégué. La Cour considère que, étant donné son contenu très général et le contexte dans lequel elle a été faite, ladite déclaration n’appelait pas de réaction particulière de la part des défenseurs et que, partant, aucune divergence de vues ne peut être déduite de cette absence de réaction. Elle conclut que l’on ne saurait affirmer, sur la base de ces deux déclarations — prises individuellement ou ensemble —, que le Pakistan avait connaissance, ou ne pouvait pas ne pas avoir connaissance, de ce que les Iles Marshall alléguaient qu’il manquait à ses obligations. Ces déclarations ne suffisaient donc pas à faire naître un différend d’ordre juridique entre les Parties. La Cour examine ensuite l’argument des Îles Marshall selon lequel le dépôt de la requête et les positions qu’ont exposées les Parties au cours de l’instance attestent l’existence d’un différend entre ces dernières. Elle précise que, bien que des déclarations ou réclamations formulées dans la requête, voire après le dépôt de celle-ci, puissent être pertinentes à diverses fins — et, en particulier, pour préciser la portée du différend qui lui est soumis —, elles ne sauraient créer un différend de novo, c’est-à-dire un différend qui n’existe pas déjà.

Enfin, la Cour en arrive à l’argument des Îles Marshall selon lequel l’existence d’un différend opposant les Parties peut être déduite du comportement des défenseurs. Elle rappelle qu’aucune des deux déclarations faites par les Îles Marshall dans un cadre multilatéral ne concernait spécifiquement ce comportement. Dès lors, elle considère que celui-ci ne saurait démontrer de divergence de vues et ne permet pas de conclure à l’existence d’un différend entre les Etats concernés. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’exception d’incompétence soulevée par les défenseurs et fondée sur l’absence de différend entre les Parties doit être retenue. Elle conclut en outre que, n’ayant pas compétence au titre du paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut, elle ne peut procéder à l’examen de l’affaire au fond. En conséquence, elle estime qu’il n’est pas nécessaire pour elle de se pencher sur les autres exceptions soulevées par les défenseurs. 

* * *

Composition de la Cour 

La Cour était composée comme suit : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka, Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, juges ; M. Bedjaoui, juge ad hoc ; M. Couvreur, greffier.

Le résumé de l’arrêt, ainsi que le texte intégral de celui-ci sont disponibles sur le site internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires».


1 commentaire :

  1. L'argument aux termes duquel il n'existerait pas de différend m'a beaucoup étonné... J'ai l'impression que les juges de la majorité n'ont pas assisté aux mêmes plaidoiries que celles diffusées en ligne à l'intention du grand public.

    Un différend existe bel et bien en la présente affaire : pour s'en convaincre, il suffit de réécouter les plaidoiries orales qui, clairement, attestent d'une opposition entre les parties à l'instance.

    Dans son opinion dissidente, le juge Bennouna a clairement résumé cette situation : formalisme injustifié au détriment d'une bonne administration de la justice par la Cour... Je me demande si les juges de la majorité ont conscience de l'impact négatif d'une telle décision à terme.

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