Catherine MAIA
La réalité d’aujourd’hui est bien une réalité urbaine : la
moitié de l’humanité vit en effet de nos jours en zones urbaines. Cette
population urbaine ne va cesser de s’accroître puisqu’en 2030, c’est près de
65% de l’humanité qui vivra en ville. Comme la violence et les rivalités de
pouvoirs sont et resteront, aujourd’hui comme demain, consubstantiels à la
nature humaine, il a semblé indispensable aux responsables de l’Institut
d’Etudes Géopolitiques de Genève, du Département des Relations Internationales
de l’Université de Webster, et du Club Participation et Progrès d’organiser
conjointement à Genève un colloque international sur le thème des « conflits en
zones urbaines ». Ce sont les actes de cette rencontre qui composent cet
ouvrage.
Les réflexions développées dans ce livre sont tout à fait centrales à l’heure où les conflits en zone urbaines jouent un rôle de plus en plus important dans les guerres contemporaines. La violence devient par ailleurs de plus en plus visible dans nos cités dites « sensibles », résultant en partie des rivalités entre acteurs contrôlant l’économie souterraine.
Les réflexions développées dans ce livre sont tout à fait centrales à l’heure où les conflits en zone urbaines jouent un rôle de plus en plus important dans les guerres contemporaines. La violence devient par ailleurs de plus en plus visible dans nos cités dites « sensibles », résultant en partie des rivalités entre acteurs contrôlant l’économie souterraine.
Pierre Pascallon argumente dans sa communication que les «
nouvelles » guerres sont des guerres « irrégulières », asymétriques et de « low
tech ». Les combats sont des combats de faible ou basse intensité, avec des
acteurs qui ne sont plus forcément des États — l’adversaire est le plus souvent
de nature non étatique ; il s’agit de « l’insurgé innovant ». La guerre des
villes et la guerre dans les villes appartiennent à ces conflits irréguliers
qui caractérisent de plus en plus les guerres depuis la fin du système
bipolaire. Pourtant, la guerre en zone urbaine n’est pas un phénomène récent.
La guerre urbaine a toujours existé et continuera à exister car la ville a
toujours été consubstantielle à l’humanité et va probablement l’être de plus en
plus dans le futur. L’auteur rappelle que si l’on peut penser que les
conflictualités asymétriques et les guerres urbaines seront prédominantes
demain dans le cadre de « petites guerres », d’autres formes de guerres peuvent
également se développer ; par exemple des guerres plus « classiques », plus
conventionnelles, peuvent en effet revenir.
Alexandre Vautravers présente dans son intervention un
aperçu historique de l’évolution des guerres dans les villes. Il rappelle que
c’est la Seconde Guerre mondiale qui marque historiquement une charnière dans
le combat en zone urbaine. L’auteur présente les enjeux stratégiques que
représentent le contrôle d’une ville, puisque cette dernière peut être à la
fois : un objectif (politique, symbolique ou d’opinion, économique,
d’infrastructure), un passage obligé et/ou un centre de communication, ou
encore un carrefour. M. Vautravers souligne qu’avant d’engager une action
militaire en zone urbaine, l’analyse du milieu est déterminante. L’auteur
présente également différentes doctrines liées aux guerres en zone urbaine et
évoque le problème de l’adaptation des forces armées à ce type de conflit.
M. Pascal Le Pautremat examine les caractéristiques des
guerres en zone urbaine à travers différents exemples historiques. Il conclut
que malgré l’affirmation décisive de l’action aérienne au XXe siècle, celle-ci
ne se substitue pas complètement à la dimension terrestre de la guerre urbaine.
Certes, l’aviation permet de soulager les forces offensives au détriment de
celles prises en étau. Mais, dans la durée, les attaques aériennes se doublent
d’actions terrestres, redoutées car âpres et meurtrières comme différents
exemples l’ont démontré non seulement pendant la Deuxième Guerre mondiale mais
également, plus récemment, au Proche-Orient : offensive de Tsahal, à l’été 2006
au Liban du Sud, et lors de l’hiver 2008-2009, sur la bande de Gaza. Ces
guerres ont toutes deux témoigné d’un recours écrasant aux bombardements
stratégiques et tactiques, au détriment des populations civiles. Cela témoigne
d’une réalité de plus en plus évidente au XXIe siècle : l’inadéquation des
méthodes stratégiques de guerre en zone urbaine, au regard de l’extrême
imbrication entre populations civiles et réseaux djihadistes, à connotation
terroriste ou non.
Le général Vincent Desportes argumente que la « guerre
probable » se déroulera demain dans un environnement qui aura un rôle égalisateur
face à la surpuissance technologique occidentale : au milieu des populations,
au sol, dans des espaces fermés ou rugueux et donc, particulièrement, dans les
villes. Selon le général Desportes, la ville s’impose comme l’espace
emblématique à la fois de la complexification du métier militaire et de sa
dualité : la ville exige de repenser les conditions de l’efficacité des armées.
L’effort principal est bien de prendre, tenir et maîtriser la ville et sa
population, alors même qu’elle demeure coûteuse à prendre, à tenir, à maîtriser
parce qu’elle est l’un des derniers maquis où l’adversaire peut espérer vaincre
ou résister à une armée moderne.
Tanguy Struye de Swielande souligne que dans un monde dans
lequel la domination des « valeurs occidentales » est de plus en plus remise en
question par d’autres cultures et modèles de société, il serait naïf de croire
que la façon de combattre, sous-entendant les règles d’engagement, se
maintienne dans les guerres à venir. Selon l’auteur, les oppositions à la culture
et à la vision stratégique de l’universalisme occidental se multiplieront dans
les prochaines années. Un tel fossé idéologico-culturel ne peut qu’entraîner
des approches différentes au niveau politique, social et stratégico-militaire.
La dimension identitaire ou culturelle est ainsi susceptible de devenir une
source de conflits selon l’auteur. Les acteurs combattent au nom de valeurs et
de représentations spécifiques. Ce type de conflit identitaire peut, dans ces
conditions, prendre une forme asymétrique dans le domaine de la culture
stratégico-militaire. La rationalité expressive/identitaire des acteurs, une
fois appliquée en stratégie, donne alors la notion d’asymétrie
ontologico-culturelle. Il est, par conséquent, important d’intégrer la variable
identitaire ou culturelle dans les études de sécurité et de défense.
Michel Veuthey souligne que sans être entièrement nouvelle,
la guerre urbaine contemporaine comporte des problématiques humanitaires qui
méritent examen, notamment concernant la continuité de l’adaptation du droit
international humanitaire aux conflits urbains actuels. Il rappelle d’abord la
difficulté de faire appliquer le droit international humanitaire (DIH) dans une
guerre urbaine, puis présente une brève relecture du droit humanitaire dans un
contexte urbain et étudie les principes mis au défi aujourd’hui dans ces types
de conflits. Il termine par quelques propositions relatives à la mise en œuvre
du DIH. M. Veuthey conclut qu’afin de créer des conditions propices au retour à
la paix, le recours à des violences excessives doit être évité. La guerre
urbaine n’implique donc pas seulement des questions juridiques mais présente
aussi une dimension de légitimité : les adversaires, qu’ils soient États ou
acteurs non étatiques, mettent leur légitimité en jeu en utilisant certaines
méthodes et moyens de guerre.
Claude Rakisits distingue principalement deux types de
conflits urbains fonctionnant en parallèle au Pakistan. Premièrement, la
violence entre différents acteurs non étatiques — groupes religieux, groupes
ethniques et ailes étudiantes et de la jeunesse des partis politiques. Cette
violence prend la forme d’émeutes, d’attentats à la bombe, d’attaques
kamikazes, d’assassinats et de saccages du type pogrom. Plus récemment, ce type
de violence urbaine a été aggravé par l’addition d’un conflit entre les
représentants de l’État (armée, police, forces paramilitaires) et les militants
jihadistes, généralement sous la forme d’attentats à la bombe, d’attaques
kamikazes et de conflits armés. Selon l’auteur, la violence urbaine
extraterritoriale, originaire du Pakistan, démontre la nécessité de considérer
comme unité géopolitique à part entière le secteur géographique compris entre
Kaboul et New Delhi.
M. Gyula Csurgai émet l’hypothèse qu’un conflit identitaire
se développe dans les banlieues françaises, suivant une logique ami-ennemi
influencée par différents facteurs qu’il examine dans son intervention. Il
argumente que la dialectique ami-ennemi, essence de la politique entre États
selon le penseur allemand Carl Schmitt, s’est déplacée à l’intérieur de l’État,
selon les logiques géopolitiques et polémologiques. Les attaques des jeunes des
banlieues contre les forces de l’ordre, mais aussi contre les pompiers et les
symboles de l’État, s’inscrivent dans cette logique ami-ennemi, symptomatique
d’une situation d’avant-guerre civile. Selon M. Csurgai, l’affaiblissement de
l’Etat-nation et l’érosion de sa souveraineté peuvent légitimer les pouvoirs
des acteurs non- étatiques ayant la capacité d’assurer le contrôle et le
fonctionnement des territoires de banlieue. Ce processus graduel de
substitution du pouvoir de l’État peut conduire, dans les banlieues, à une
situation de partage du pouvoir entre islamistes et chefs de l’économie
souterraine.
Oskar Baffi démontre que l’ampleur croissante que prend le
phénomène des violences urbaines en Europe, notamment en France et en Grande-
Bretagne, s’inscrit dans un processus de délitement sociétal lié tant à la
gestion territoriale de l’urbanisation galopante qu’à l’intégration
socio-économique d’individus majoritairement d’origine étrangère. Afin de
cerner ce phénomène, il y a lieu de distinguer les logiques qui concernent,
d’une part, les rapports qu’entretiennent ces individus avec le territoire dans
lequel ils évoluent et, d’autre part, les représentations qui habitent
l’imaginaire des différentes communautés — notamment ethnique, religieuse et
linguistique — auxquelles ils appartiennent. En l’espèce, les réalités
complexes que recouvrent les concepts d’espace et d’identité, ainsi que les
enjeux vitaux qui en découlent et les intérêts particuliers qui s’y affrontent,
s’enchevêtrent pour constituer un espace géopolitique à part entière :
l’agglomération, entendue comme système-ville caractérisé par un centre et une
périphérie. Il apparaît dès lors urgent de penser une géopolitique des
violences urbaines qui fasse émerger les dynamiques de puissance qui lui sont
sous-jacentes et auxquelles se rattachent des enjeux aussi bien culturels que
sécuritaires, cruciaux pour l’avenir de nos sociétés.
Les réflexions développées dans ce livre sont tout à fait
centrales à l’heure où les conflits en zone urbaine jouent un rôle de plus en
plus important dans les guerres contemporaines. La violence devient par
ailleurs de plus en plus visible dans nos cités dites « sensibles », résultant
en partie des rivalités entre acteurs contrôlant l’économie souterraine.
Gyula CSURGAI, Pierre PASCALLON, Alexandre VAUTRAVERS (dir.), Conflits en zone urbaine, Le Polémarque, 2013 (189 p.)
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