2 décembre 2013

ACTU : Le TIDM ordonne à la Russie la mainlevée de l'immobilisation du navire néerlandais "Arctic Sunrise"

David ROY

Le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) a ordonné, le 22 novembre, à la Fédération de Russie de procéder à la mainlevée de l'immobilisation du navire "Arctic Sunrise" et à la mise en liberté de l'ensemble de son équipage, dès le dépôt d'une caution d'un montant de 3,6 millions d'euros par le Gouvernement des Pays-Bas.

Le navire, un brise-glace exploité par Greenpeace International qui bat pavillon néerlandais, a été saisi le 19 septembre et son équipage arrêté suite à une action de protestation contre des plateformes d'exploitation pétrolière au large des côtes russes.

Le 21 octobre 2013, le Gouvernement des Pays-Bas avait soumis au TIDM une demande en prescription de mesures conservatoires, conformément à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, en affirmant que la Russie avait violé la Convention en procédant à la saisie du navire et l'arrestation de l'équipage. Les juges du TIDM ont rendu leur décision par 19 voix contre deux.



Le TIDM ordonne la mainlevée de l’immobilisation du navire "Arctic Sunrise" et la mise en liberté des personnes détenues dès le dépôt d’une caution

Le Tribunal international du droit de la mer a rendu le 22 novembre son ordonnance en l’Affaire de « l’Arctic Sunrise » (Royaume des Pays-Bas c. Fédération de Russie). Il a ordonné qu’il soit procédé à la mainlevée de l’immobilisation du navire Arctic Sunrise et à la mise en liberté de toutes les personnes qui ont été détenues en rapport avec le différend, et que ledit navire et lesdites personnes soient autorisés à quitter le territoire et les zones maritimes relevant de la juridiction de la Fédération de Russie, dès le dépôt d’une caution d’un montant de 3,6 millions d’euros.

Le différend

Le 21 octobre 2013, le Royaume des Pays-Bas a soumis au Tribunal une demande en prescription de mesures conservatoires conformément à l’article 290, paragraphe 5, de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dans un différend qui l’oppose à la Fédération de Russie concernant l’arraisonnement et l’immobilisation du navire Arctic Sunrise et la détention de son équipage par les autorités de la Fédération de Russie. L’Arctic Sunrise, qui bat pavillon néerlandais, est un brise-glace exploité par Greenpeace International. L’audience publique en l’affaire s’est tenue le mercredi 6 novembre 2013. Par note verbale du 22 octobre 2013 émanant de l’ambassade de la Fédération de Russie à Berlin, la Fédération de Russie a informé le Tribunal qu’elle n’avait pas l’intention de participer à la procédure devant le Tribunal.

L’ordonnance du 22 novembre 2013

Compétence

Dans son ordonnance, le Tribunal examine la déclaration faite par la Fédération de Russie lors de la ratification de la Convention, par laquelle elle « n’accepte pas les procédures de règlement des différends prévues à la section 2 de la partie XV de ladite Convention aboutissant à des décisions obligatoires pour les différends […] qui concernent les actes d’exécution forcée accomplis dans l’exercice de droits souverains ou de la juridiction ». Dans la note verbale du 22 octobre 2013, la Fédération de Russie a informé le Tribunal que, s’appuyant sur cette déclaration, elle avait notifié aux Pays-Bas qu’elle « n’accepte pas la procédure d’arbitrage prévue à l’annexe VII de la Convention engagée par les Pays-Bas ». De l’avis du Tribunal, la déclaration relative aux actes d’exécution forcée faite par la Fédération de Russie conformément à l’article 298, paragraphe 1 b), de la Convention, ne s’applique prima facie qu’aux différends que l’article 297, paragraphe 2 ou 3, de la Convention, exclut de la compétence d’une cour ou d’un tribunal, c’est-à-dire ceux qui concernent la recherche scientifique marine et les pêches.

S’agissant de la non-comparution de la Fédération de Russie, le Tribunal estime que l’absence d’une partie ou le fait, pour une partie, de ne pas faire valoir ses moyens, ne fait pas obstacle à la procédure et n’empêche pas le Tribunal de prescrire des mesures conservatoires, pour autant que la possibilité de faire entendre leurs observations à ce sujet ait été donnée aux parties. Il note que la possibilité a été largement donnée à la Fédération de Russie de présenter ses observations, mais qu’elle a refusé de le faire. Le Tribunal estime que les Pays-Bas ne devraient pas subir les conséquences de la non-comparution de la Fédération de Russie à l´instance et qu’il doit par conséquent déterminer et apprécier les droits respectifs des Parties en se fondant sur les preuves disponibles les plus fiables.

Le Tribunal examine l’argumentation des Pays-Bas selon laquelle le différend porte sur l’interprétation et l’application de certaines dispositions de la Convention, notamment l’article 56, paragraphe 2 (Droits, juridiction et obligations de l’Etat côtier dans la zone économique exclusive), l’article 58 (Droits et obligations des autres Etats dans la zone économique exclusive), l’article 60 (Iles artificielles, installations et ouvrages dans la zone économique exclusive), l’article 87, paragraphe 1 a) (Liberté de la haute mer) et l’article 110, paragraphe 1 (Droit de visite). Le Tribunal examine également la note verbale du 22 octobre 2013, dans laquelle la Fédération de Russie déclare que « [l]es mesures prises par les autorités russes à l’égard du navire "Arctic Sunrise" et de son équipage l’ont été, et continuent de l’être, dans l’exercice de la juridiction, y compris pénale, de la Fédération de Russie, en vue de faire respecter les lois et règlements de la Fédération de Russie, en sa qualité d’Etat côtier, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer ». Le Tribunal estime qu’il existe une divergence de vues quant à l’applicabilité des dispositions de la Convention relatives aux droits et obligations de l’Etat du pavillon et de l’Etat côtier et que les dispositions invoquées par les Pays-Bas semblent constituer une base sur laquelle pourrait être fondée la compétence du tribunal arbitral. Il déclare par conséquent que le tribunal arbitral prévu à l’annexe VII aurait prima facie compétence pour connaître du différend.

Prescription de mesures conservatoires

Le Tribunal considère qu’« au vu des circonstances de l’espèce, l’urgence de la situation exige que le Tribunal prescrive, conformément à l’article 290, paragraphe 5, de la Convention, des mesures conservatoires » et estime « approprié d’ordonner que, dès qu’une caution ou autre garantie financière aura été fournie par les Pays-Bas, il soit procédé à la mainlevée de l’immobilisation du navire Arctic Sunrise et à la mise en liberté de toutes les personnes qui ont été détenues en rapport avec le présent différend, et que ledit navire et lesdites personnes soient autorisés à quitter le territoire et les zones maritimes relevant de la juridiction de la Fédération de Russie ».

Le Tribunal fixe à 3 600 000 euros le montant de la caution ou autre garantie financière qui doit être déposée par les Pays-Bas auprès de l’autorité compétente de la Fédération de Russie et prendre la forme d’une garantie bancaire délivrée par une banque présente dans la Fédération de Russie ou une banque ayant un accord de correspondance avec une banque russe.

 Le Tribunal rappelle que l’article 290, paragraphe 6, de la Convention impose aux Parties de se conformer sans retard aux mesures conservatoires prescrites. Il décide en outre, en application de l’article 95, paragraphe 1, du Règlement du Tribunal, que chacune des Parties lui présentera au plus tard le 2 décembre 2013 un rapport et d’autres éléments d’information sur les dispositions qu’elle a prises pour mettre en œuvre les mesures conservatoires prescrites. 

Dans son ordonnance du 22 novembre 2013, le Tribunal :

« 1) Par 19 voix contre 2,

prescrit, en attendant la décision du tribunal arbitral prévu à l’annexe VII, les mesures conservatoires suivantes en vertu des dispositions de l’article 290, paragraphe 5, de la Convention :

a) La Fédération de Russie doit procéder immédiatement à la mainlevée de l’immobilisation du navire Arctic Sunrise et à la mise en liberté de toutes les personnes qui ont été détenues, dès que les Pays-Bas auront déposé auprès de la Fédération de Russie une caution ou autre garantie financière d’un montant de 3 600 000 euros sous forme de garantie bancaire ;

b) Dès le dépôt de la caution ou autre garantie financière visée ci-dessus, la Fédération de Russie fait en sorte que le navire Arctic Sunrise et toutes les personnes qui ont été détenues soient autorisés à quitter le territoire et les zones maritimes relevant de sa juridiction ;

POUR : M. YANAI, Président ; M. HOFFMANN, Vice-Président ; MM. MAROTTA RANGEL, NELSON, CHANDRASEKHARA RAO, AKL, WOLFRUM, NDIAYE, JESUS, COT, PAWLAK, TÜRK, KATEKA, GAO, BOUGUETAIA, PAIK, Mme KELLY, MM. ATTARD, juges ; M. ANDERSON, juge ad hoc ;

CONTRE : MM. GOLITSYN, KULYK, juges.

2) Par 19 voix contre 2,

décide que les Pays-Bas et la Fédération de Russie, chacun en ce qui le concerne, lui présenteront au plus tard le 2 décembre 2013 le rapport initial visé au paragraphe 102 et autorise le Président à leur demander tous nouveaux rapports et compléments d’information qu’il jugera utiles après ce rapport.

POUR : M. YANAI, Président ; M. HOFFMANN, Vice-Président ; MM. MAROTTA RANGEL, NELSON, CHANDRASEKHARA RAO, AKL, WOLFRUM, NDIAYE, JESUS, COT, PAWLAK, TÜRK, KATEKA, GAO, BOUGUETAIA, PAIK, Mme KELLY, M. ATTARD, juges ; M. ANDERSON, juge ad hoc ;

CONTRE : MM. GOLITSYN, KULYK, juges ».

M. Anderson, juge ad hoc, joint une déclaration à l’ordonnance du Tribunal. M. Wolfrum et Mme Kelly, juges, joignent une opinion individuelle commune à l’ordonnance du Tribunal. MM. Jesus et Paik, juges, joignent une opinion individuelle à l’ordonnance du Tribunal et MM. Golitsyn et Kulyk, juges, joignent une opinion dissidente à l’ordonnance du Tribunal.

Le texte de l’ordonnance et une webémission enregistrée de la séance publique sont disponibles sur le site Internet du Tribunal.

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