1 décembre 2013

REVUE : "La Grèce vers l'abîme ?", Recherches Internationales (n°96, août-septembre 2013)

Michel ROGALSKI

Aujourd’hui, la Grèce est confrontée à une profonde crise économique qui peut être considérée comme la plus grave de son histoire. Cette crise est autant une crise économique et sociale que politique. Le déclenchement du processus de destruction des liens (faibles) qui organisaient la socio-économie de ce pays est dû à la crise financière en 2007, laquelle, débutée aux États-Unis, a conduit à une récession mondiale qui menace toujours de nombreux pays lourdement endettés en Europe, en premier lieu la Grèce.

Le pays vit sous perfusion financière selon un système de « goutte-à-goutte » au gré des diagnostics établis par le médecin du monde ou, encore mieux, par le médecin sans frontières. Celui-ci n’est autre que la fameuse troïka comprenant la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) – les deux fidèles représentants des intérêts néomercantilistes de l’Allemagne en Europe et de par le monde – et le Fonds monétaire international (FMI) qui impose à la Grèce l’application de politiques néolibérales pour résoudre ses problèmes de déficits public et extérieur. Le remède prescrit comprend toute une série de mesures, notamment la réduction drastique des dépenses publiques, la baisse des salaires et l’augmentation des impôts pour arriver à long terme à stabiliser l’économie. Mais, après cinq ans de traitement de cheval, le malade reste obstinément dans le coma. La crise économique s’aggrave, la dégradation du niveau de vie s’accélère… Le politique, sous tutelle, impuissant, joue les infirmiers administrant continuellement, sans sourciller, les doses d’austérité jugées nécessaires par la troïka. Nécessaires ? Pour quoi et en quoi ?

Selon les experts, ces mesures sont nécessaires pour rassurer les marchés, autrement dit les grands spéculateurs internationaux qui, dans les années 1990, ont trouvé dans la finance les moyens indispensables pour faire de l’argent avec l’argent. Les marchés financiers internationaux ont commencé à surgir comme des champignons grâce aux nouveaux produits financiers, tels que les « produits dérivés » qui ont permis aux investisseurs de « parier » sur toute sorte d’actifs (fluctuations des actions, des dettes, des devises, des cours des matières premières, etc.). La déréglementation des marchés et la généralisation de l’usage des technologies de l’information et de la communication ont favorisé la naissance de l’« argent facile » sans correspondance avec l’évolution de la sphère réelle de l’économie. Puis, l’argent produit devait être rentabilisé, d’où le recommencement d’un nouveau tour de spéculation sur les titres des entreprises, des banques et des États pour finir par le gonflement des comptes des sociétés off-shore établies dans les paradis fiscaux.

Pendant une décennie, disons de 1995 à 2005, les Bourses regorgeaient d’argent « fictif », ce qui a conduit les gouvernements, comme celui de la Grèce, à s’endetter lourdement. Si 2007 est une année fatale pour des milliers de ménages américains (crise des subprimes), elle a aussi été le début de la fin de l’économie, déjà anémique, de la Grèce : la charge de la dette a explosé, les créanciers se sont raréfiés, la troïka a imposé son protocole d’« assainissement » contre garanties et tentatives de sauvegarde de la zone euro (et par ricochet de la charpente financière de l’économie mondiale). En termes très simples, on exige aujourd’hui que les individus, les ménages et la collectivité remboursent les dettes privées et publiques générées par la bulle financière internationale : plus d’impôts, plus de chômage, plus de sacrifices, moins de logiques productives, moins de perspectives d’avenir. Tandis que, il y a encore quelques années, les banques poussaient les Grecs à s’endetter : par cartes de crédit et prêts à la consommation, le taux d’endettement des ménages du pays (65 %) a explosé, même s’il n’est pas extraordinaire au vu des normes européennes (autour de 100 % dans le sud de l’Europe, 70 % en France, un peu moins en Allemagne). Le problème est que le PIB de ce pays ne suit (ou ne devance) pas la consommation qui a fait, depuis plus de 50 ans, la joie des importateurs. Il en est de même avec les créanciers publics qui n’ont pas hésité à promouvoir le surendettement de l’État via, par exemple, le financement des dépenses militaires et énergétiques ou encore, fait significatif, via l’attribution à la Grèce de l’organisation des jeux Olympiques de 1997.

Perdant sa crédibilité, l’économie grecque a révélé le mal-fondé de la zone euro. Dans la panique généralisée, les Grecs sont devenus les boucs émissaires d’une Europe reprise en main par la coalition étatico-financière. La troïka qui dicte la façon dont la Grèce pourra s’en sortir ne se soucie que du sauvetage de l’édifice financier de la mondialisation. Pour ce faire, elle s’appuie sur l’économie la plus puissante de la région : l’Allemagne. Celle-ci trouve son compte en imposant ses choix politiques, technologiques et économiques à l’ensemble européen.

Il est vrai que des voix s’élèvent en Grèce contre les mesures restrictives appliquées uniquement sur les déficits jumeaux (intérieur et extérieur) et les doubles dettes (dette publique ; endettement extérieur). Il serait plus intelligent de se préoccuper de l’amélioration de la compétitivité structurelle de l’économie du pays et de combler les déficits technologique, productif, etc. afin de créer des emplois et rehausser le niveau du PIB pour justifier la société de consommation à la grecque. Ces thèses keynésianisantes prônent la conjugaison des politiques de réduction des coûts avec la modernisation de l’appareil productif du pays en mettant l’accent sur sa diversification, sur son innovativité, sur sa compétitivité ou encore sur sa capacité à créer des emplois intensifs en connaissances et en savoir-faire industriel. Il est donc nécessaire de reconcevoir l’économie du pays en commençant par la valorisation de ses atouts : agriculture, industries de textile et d’habillement, construction navale, bâtiment-travaux publics, tourisme, énergie, etc.

Selon les keynésiens, la perception dominante de la rentabilité à court terme a conduit à l’effilement du tissu productif par : a) la généralisation de la flexibilité et la dégradation simultanée des opportunités d’emploi ; b) l’extension du travail non déclaré ; c) l’incapacité des systèmes d’éducation et de formation à être en phase avec les besoins des grands secteurs de l’économie ; d) l’accélération de la dégradation des systèmes de santé et de sécurité sociale ; e) la déréglementation des marchés. Il est ainsi inimaginable de refonder le système productif du pays sans protection des travailleurs et des chômeurs, sans État social, producteur, consommateur et financier économiquement viable et socialement efficace. Mais le contexte actuel et historique de la Grèce semble être bien plus fort que le concept et les antidotes fabriqués par l’hétérodoxie keynésienne et étatiste. Quelle politique face à la zone euro ? Comment financer le nouvel interventionnisme étatique ? Comment développer les forces de production et sur quelles bases sociales ceci peut-il être réalisable ?

Premier constat : la menace d’une sortie éventuelle de la Grèce de la zone euro est un leurre. Ceci pour deux raisons fondamentales, emboîtées l’une dans l’autre. Si la Grèce sort de la zone euro, elle devra affronter tout de même le troisième pilier de la troïka qui n’est autre que le FMI. Perdant les garanties que lui offre le néolibéralisme européen, aucun usurier ou spéculateur international ne misera sur cette économie chroniquement mal en point. Sa nouvelle monnaie n’aura pas cours sur les marchés financiers et le délabrement social sera achevé. La Grèce n’est ni le Brésil ni l’Argentine, ni économiquement, ni politiquement. D’autant que l’essentiel de son mince potentiel de production est entre les mains des groupes mondiaux, que les chercheurs expatriés représentent plus du double de ceux qui travaillent au pays, que son commerce extérieur représente 60% de son PIB et que… la Grèce, ayant signé tous les accords internationaux (voir ceux de l’OMC) garantissant la libre circulation des marchandises et des capitaux, est corps acteur et corps agi de la mondialisation.

Second constat : le problème économique grec est tout simplement un problème relevant du politique. Une nouvelle politique économique, en effet, suppose la reconsidération des institutions du pays ainsi que la prise en compte des rapports sociaux de production à partir desquels la volonté de changer se rendra compatible avec la nouvelle orientation donnée au développement économique, technologique et social. Mais, l’histoire moderne de la Grèce (du xixe au xxie siècle) nous enseigne que sa constitution, puis sa pérennisation en tant qu’État-nation a été le fruit de l’intervention des grandes puissances tutélaires (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Russie, puis États-Unis et maintenant Europe « communautaire »). Les institutions du pays demeurent exogènes. L’intervention du politique porte essentiellement sur le maintien d’une paix sociale aussi fragile qu’économiquement coûteuse. Premier exemple : par le maintien d’un régime théocratique, la haute bourgeoisie au pouvoir mise toujours (mais avec moins de conviction que dans les décennies précédentes) sur les valeurs de l’orthodoxie chrétienne et sur les « ères de gloire » d’antan pour garder intacte la flamme d’un nationalisme béat. Un autre exemple, le gonflement artificiel des classes moyennes par le développement démesuré de l’appareil étatique ou encore le keynésianisme de consommation dans une économie où les classes productives (entrepreneurs, industriels, salariés d’industrie et de services de valeur) sont restées dans un état embryonnaire. Dernier exemple, le pacte entre l’État et les classes oisives et cosmopolites (rentiers du commerce et de la finance) qui n’ont d’yeux que pour la City, la Suisse, Wall Street, Frankfort, etc. a freiné le développement des forces de production. Le capitalisme grec est celui de la rente. Il ne faut donc pas s’étonner de la remise en cause actuelle des acquis démocratiques fondamentaux (licenciements, refinanciarisation par la privatisation tous azimuts des actifs publics au profit des intérêts allemands, chinois ou russes, violence portée contre les retraités, les jeunes et les malades, policiarisation de la vie sociale, etc.).

Les dictats de la troïka que l’État grec applique consciencieusement ciblent la partie de la population la plus faible, la plus nécessiteuse, la plus hétérogène et la plus malléable. La crise d’identité génère à son tour des dérives politiques comme la montée d’une extrême droite (Aube dorée) gonflée par les déchus des classes moyennes, qui s’en prend avec facilité aux plus faibles et précaires : les immigrés (balkaniques, sud-asiatiques, africains, etc.), bien utiles pourtant dans le fonctionnement de l’« économie de proximité » qui fait encore vivre des millions d’individus. Mais quels types de digues et de remparts le politique propose-t-il pour contrer la montée du fascisme ? Nous avons vu que la grande bourgeoisie ne jure que par la troïka, les classes populaires sont déboussolées et exigent le repli national… Alors, que dire de la bourgeoisie éclairée, éduquée, jeune et entreprenante ? Celle-ci, éparpillée dans différents partis du centre et du centre gauche, grossit surtout les rangs du parti réformateur SYRIZA (passé en juillet 2013 de coalition en parti à part entière) s’alliant avec l’intelligentsia urbaine et contestatrice, et s’ouvrant à la social-démocratie locale ! Que veut-elle ? Longtemps favorable à la sortie de la Grèce de la zone euro, elle a bien mis de l’eau dans son vin (même si au sein de SYRIZA les « anti-euro » ne manquent pas, d’où un gros souci de cohérence dans les discours, les programmes et les actes), prônant une annulation des protocoles signés avec la troïka et une renégociation des conditions du maintien du pays dans cette zone. On revient ainsi aux propositions keynesianisantes évoquées plus haut. Oui pour un État social, protecteur, producteur et régulateur ; oui pour une plus juste répartition des charges et des bénéfices ; oui pour le lancement de grands programmes d’investissement industrialisants et écolocompatibles ; oui pour une meilleure gouvernance de l’économie et de la société donnant plus de poids aux parties prenantes marginalisées et appauvries, etc. Mais, encore une fois, sur quelles bases financières, productives et institutionnelles une telle politique pourrait-elle s’appuyer ? Avec quelle monnaie ? Avec quelles marges de liberté politique dans une Europe organisée par les Traités de Maastricht, d’Amsterdam, de Nice et de Lisbonne et que les gouvernements grecs ont signés avec zèle et les yeux fermés ?

Comme le montrent les auteurs de ce dossier de Recherches internationales, la crise grecque est bien vicieuse. Elle est aussi bien le résultat de la malformation de la zone euro que le produit d’une société qui reste à inventer dans et avec l’« espace européen ».

Dimitri UZUNIDIS, « La crise grecque : le fiasco européen annoncé » (extrait de la Présentation)


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Nul ne doute plus que l’Union européenne et sa zone euro soient entrées depuis nombre d’années dans une crise profonde. Les sondages répétés annuellement sur l’adhésion des populations concernées indiquaient depuis longtemps une lente désaffection pour le processus de la construction européenne, chiffres confirmés par l’extrême faiblesse des mobilisations lors des consultations électorales européennes. Le refus par référendum du traité constitutionnel proposé en 2005 avait alors secoué les certitudes les mieux établies. Les manœuvres entreprises par la droite, avec l’aval du Parti socialiste, pour contourner ce séisme à travers l’adoption du traité de Lisbonne avaient fini par convaincre qu’Europe et démocratie ne faisaient décidément pas bon ménage. La frayeur fut grande. Car au-delà du refus du traité et de ses orientations, le message envoyait le refus d’un quitus donné à ce qui se faisait depuis des décennies. Refus du passif, refus des promesses, la sanction était lourde. Depuis, la crise américaine et son impact sur la crise des dettes européennes ont révélé les fragilités de la construction de la zone euro actée dans son principe dès le traité de Maastricht. Pensée pour accélérer le processus de convergence économique entre les pays membres, elle en a exacerbé les contradictions et les divergences, au point que cette monnaie est devenue un atout pour certains et un boulet pour d’autres qui n’ont même pas l’espoir de pouvoir dévaluer. Ses mesures de sauvetage ont été prétexte à imposer des politiques austéritaires frappant plus violemment les pays de l’Europe du Sud. Aujourd’hui la zone euro, avec son taux de croissance économique quasiment le plus faible du monde, apparaît comme la région qui s’est montrée la plus incapable de se sortir de la crise de 2008.

C’est dans ce contexte que s’engage le débat sur les futures élections du Parlement européen. L’Union européenne, longtemps présentée comme le rempart de la mondialisation, en est devenue le laboratoire et la pointe avancée. Elle en cristallise la plupart des méfaits. C’est en effet la région du monde où des liens étroits se sont noués entre pays riverains, dans le cadre d’un dispositif juridique et institutionnel qui décrit l’ensemble des relations entre les pays membres et de ceux-ci avec l’Union européenne. Des pans entiers d’activités ont été « communautarisés »,c’est-à-dire régulés par Bruxelles. Des traités se sont empilés, constitutionnalisant des abandons de souveraineté, organisant l’austérité sous couvert de gouvernance de la zone euro, ou de bonne gestion budgétaire. L’ensemble de ce dispositif a réalisé patiemment le maillage du continent au profit d’une oligarchie financière. Faisant fi de toute démocratie, celle-ci a ainsi construit les frontières de ce qui était permis, le « cercle de la raison » ou les murs d’une prison néolibérale. Vouloir en sortir est désormais interdit, sauf à remettre en cause l’édifice. La construction européenne est ainsi apparue comme une géniale construction au service des bourgeoisies financières pour préserver leurs intérêts. Elle fait figure aujourd’hui de nouvelle « Sainte alliance » contre laquelle toute velléité d’alternative réelle se brisera et sera ramenée à ce qui reste autorisé, une alternance de complaisance. L’Union européenne est ainsi devenue une réductrice d’incertitude réduisant l’oscillation du balancier politique.

Sauf à en rabattre sur son programme, aucun projet transformateur radical d’un état membre ne peut s’en accommoder. Il y a donc un besoin urgent d’une autre Europe, construite sur d’autres logiques et d’autres valeurs. Il convient de sortir du déni de démocratie en s’assurant qu’aucune clause européenne ne pourrait remettre en cause l’application d’un programme librement choisi par un peuple et donc rappeler qu’il ne peut exister de démocratie sans souveraineté qui l’organise. L’Europe ne doit pas être perçue comme un lieu d’où partiraient oukases et interdits mais bien au contraire comme une structure permissive à même d’accompagner les trajectoires singulières de ses états membres. Aucun engrenage ne doit pouvoir être mis en place qui entraînerait un peuple dans une voie contraire à ses vœux. Une telle Europe devrait être toilettée de toutes les dispositions qui émaillent ses traités et organisent l’option néolibérale et financière qui la mine. Priorité aux coopérations, au social, à la solidarité, aux valeurs humaines, à la démocratie ; refus de l’austérité, de la concurrence déloyale, du primat des marchés financiers. Il convient de rompre avec la conception de l’Europe comme celle d’un super-état ce qui conduirait par paresse intellectuelle à décliner à cette échelle les options retenues pour le cadre national.

L’Union européenne est une construction juridico-institutionnelle, qu’on ne transformera pas en un super-pays en ajoutant de façon trompeuse ses agrégats économiques. Parler du poids commercial de l’Europe n’a aucun sens dès lors qu’une très grosse part de ses échanges se fait dans le cadre continental et de façon brutale et déloyale, et que ses pays membres se retrouvent en concurrence féroce sur des marchés tiers. Ajouter des dépenses militaires ne fait guère plus de sens dans une zone où les pays ne partagent pas les mêmes engagements et dans laquelle deux d’entre eux dotés de l’arme nucléaire n’ont jamais imaginé un seul instant devoir la mettre en commun avec les autres. Il est tout aussi illusoire d’envisager un système de retraites à l’échelle de toute l’Europe, tant y coexistent des modèles différents selon les pays. L’Europe n’a pas vocation à devenir un super-pays ou une fédération.

Cette Europe à laquelle on aspire devra se faire à 27 ou 30 membres,sauf à décider de revenir à une configuration des origines. C’est dire que le rythme de son évolution est incertain et donc imprévisible. On est dans un registre de conquête patiente de petits pas, d’autant plus que l’axe politique moyen s’est déplacé à droite en Europe et que les forces sociales-démocrates et conservatrices ont de sa conception une vision commune. C’est un tanker qu’il faut faire bouger et pas une barque. Cette situation convient très bien à l’oligarchie qui est aux affaires. La gauche de changement est dans une autre posture.Il lui faut définir son rapport à l’Europe actuelle tout en sachant qu’elle possède certes un projet pour demain mais que ce n’est pas avec celui-là qu’elle devra composer. Il lui faut penser en séquences et préparer l’opinion à la nécessité d’un bras de fer avec les institutions européennes, les marchés financiers et leur logique.

La question concrète qui est posée à la gauche de changement ne peut être éludée. Si le cadre européen actuel constitue un mur contre lequel se fracassera toute velléité transformatrice et qu’il n’est pas possible de le renverser avant un certain temps, quand bien même on aurait une vision claire de ce par quoi il faudrait le remplacer, que convient-il de faire rapidement pour appliquer son programme ? On se souvient que Jospin avait capitulé en trois semaines face à Bruxelles et qu’il n’avait fallu que trois jours à Hollande pour rallier le traité Merkozy. Doit-on être condamné à l’impuissance ? Le nœud gordien de tout exercice d’un pouvoir progressiste est devenu celui du rapport à l’Europe, avant même celui d’un autre contenu à cette Europe dont on a vu qu’il relevait d’une autre séquence. Car il ne fait aucun doute que le programme d’une gauche alternative n’est plus euro-compatible, au sens où il ambitionne justement de sortir du « cercle de la raison » dans lequel voudraient l’enfermer les institutions bruxelloises qui susurrent qu’il n’y aurait pas d’autre alternative. La question posée est donc celle des marges de manœuvre nécessaires par rapport à l’Europe pour changer de politique.

On doit préparer l’opinion publique à la nécessité d’un bras de fer avec les institutions européennes et avec l’idée qu’aucun changement substantiel n’est envisageable sans des formes de désobéissance ou de mesures unilatérales qui contrarieraient les logiques délétères de la construction européenne. Au risque d’ouvrir une crise majeure en Europe. Ce que la Grèce n’a pu faire, du fait de son poids, est à la portée d’un grand pays fondateur de l’Europe et ne serait pas sans susciter d’échos à l’échelle du continent. De telles mesures anticiperaient une Europe alternative à celle des marchés et de la finance et préserveraient le besoin de souveraineté propre à toute expérience transformatrice. Sans entrer sur le fond du débat d’une éventuelle sortie de la zone euro, voire de l’Union européenne, annoncer à l’avance qu’une telle sortie est impensable, c’est mal se préparer à l’affrontement inévitable qui se profile avec Bruxelles. C’est jeter ses armes avant de partir à la guerre. Même si une arme de dissuasion n’a pas vocation à servir, se priver de sa menace, c’est s’affaiblir et c’est en laisser l’usage à une droite populiste en embuscade qui ne rêve que de rassembler toute forme d’opposition à l’actuelle construction européenne.

Michel ROGALSKI, « Que faire de l'Europe » (extrait de l'Editorial)




SOMMAIRE

  • Michel ROGALSKI
  •  Patrice JORLAND
Sauve qui peut en Afghanistan

LA GRECE VERS L’ABÎME ?

  • Dimitri UZUNIDIS
  • Sophie BOUTILLIER et Dimitri UZUNIDIS
La tragédie grecque ou les enseignements de l’histoire pour comprendre la crise actuelle
  • Gabriel COLLETIS
Quel avenir pour la Grèce ?
  • Yannis EUSTATHOPOULOS
Grèce : développement économique ou croissance par dégradation ?
  • Iphigena KAMTSIDOU
L’intérêt public aux temps de crise
  • Gorge Kalpadakis
Aspects internationaux et géopolitiques de la crise financière chypriote
  • Philippe LéGé
Athènes vue de Bruxelles et de Washington
  • Dimosthenis PAPADATOS
Stratégie de l’état capitaliste en crise : post-fascisme, néo-nazisme et l’« arc national »
« TRACES »
  • Paul Euzière
L’intervention britannique contre la Résistance grecque : prélude à la Guerre Froide
NOTES DE LECTURE


RECHERCHES INTERNATIONALES
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