Le 5 mars 2025, la communauté internationale célèbre, comme chaque année depuis 2022, la Journée internationale de sensibilisation au désarmement et à la non-prolifération. L’Assemblée générale des Nations Unies, dans sa Résolution A/RES/77/51 du 7 décembre 2022, a instauré cette journée internationale afin de promouvoir le désarmement et la non-prolifération, tout en sensibilisant l’opinion publique à ces enjeux. Cette date revêt une forte valeur symbolique dans ce domaine, puisqu’elle marque également l’anniversaire de l’entrée en vigueur, en 1970, du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), adopté en 1968, dont nous célébrons cette année les 55 ans.
Le TNP : une asymétrie des obligations consenties par les parties
Le TNP repose sur trois piliers, à savoir : la non-prolifération nucléaire, le désarmement nucléaire et l’usage pacifique de l’atome. Ce traité établit une distinction de régime entre les parties : les États dotés et les États non dotés de l’arme nucléaire. Les États dotés de l’arme nucléaire, sont ceux qui ont fabriqué ou fait exploser une arme nucléaire avant le 1er janvier 1967, comme le dispose l'article 9 du TNP. De ce fait, on qualifie d’États dotés (EDAN) la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie. Les autres États sont catégoriquement qualifiés d’États non dotés (EDAN).
Cette distinction entre États dotés et non dotés fait peser des obligations différentes, selon que l’État possède ou non l’arme nucléaire. C’est ce qui lui vaut d’être qualifié de « discriminatoire ». Mais la réalité juridique est tout autre. Le TNP crée un régime juridique applicable aux États qui en sont parties. Un État ne devient partie à un traité que s’il y consent, conformément à sa souveraineté et aux principes du droit international. Les États non dotés ont librement consenti à se soumettre aux obligations découlant du TNP, ce qui empêche la qualification de « traité discriminatoire ». Pour que la qualification soit plus juste, il conviendrait plutôt de parler de « traité asymétrique », car ces obligations n’ont pas été imposées.
En effet, le TNP crée des obligations dites asymétriques. Selon que l’État soit doté ou non doté de l’arme nucléaire, les obligations qu’il doit respecter sont différentes. Un État doté doit répondre à l'article 1 du TNP et donc s’engager à ne pas transférer le contrôle de l’arme, ni aider un État qui ne la détient pas à l’acquérir. L’État non doté, lui, doit répondre à l’article 2 et donc accepter de ne jamais détenir le contrôle de l’arme nucléaire. C’est cette asymétrie d’obligations qui lui vaut d’être parfois qualifié de traité discriminatoire. Ce traité n’a cependant pas été fondé sur une distinction arbitraire, comme le démontre l’économie générale du texte.
Le TNP : une discrimination de désarmement imposée par les États dotés
Si l’on procède à une analyse purement juridique, sans prendre en compte les enjeux politico-stratégique de l’arme nucléaire et de la dissuasion, la discrimination ne réside pas réellement dans cette opposition d’obligations différentes. Comme cela a été évoqué, les États ont librement consenti à cette distinction de régime concernant le contrôle de l’arme nucléaire. Ce régime est certes inégalitaire, mais il repose sur une inégalité consentie. Cependant, au sein de cette asymétrie d’obligations, il existe une stipulation du traité qui, elle, peut poser problème et être qualifiée de discriminatoire.
L’article 6 du TNP dispose que : « Chacune des Parties au Traité s'engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ». Cette disposition s’adresse à tous les États parties, qu’ils soient EDAN ou ENDAN. Ainsi, la logique voudrait que tous les États parties au TNP coopèrent et négocient de bonne foi un traité de désarmement nucléaire. Cette disposition, qui n’a jamais été véritablement respectée par les États dotés, peut donc être qualifiée de discriminatoire.
En effet, les États non dotés respectent leurs obligations de non-possession et de non-contrôle de l’arme nucléaire en se soumettant aux garanties de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), conformément à l’article 3 du TNP. À l’inverse, les États dotés conservent le contrôle de l’atome militaire tout en perfectionnant leurs armes.
Le non-respect de l’article 6, et donc l’absence de progrès vers un désarmement général et complet, contribue à créer une forme de discrimination dans la mise en œuvre des obligations du TNP. En effet, le régime de non-prolifération instauré par le TNP a pour objectif de prévenir la prolifération horizontale de l’arme nucléaire (c’est-à-dire son acquisition par de nouveaux États), tout en imposant aux États dotés de mener de bonne foi des négociations sur un traité de désarmement général et complet.
Dans son avis consultatif du 8 juillet 1996 concernant la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, la Cour internationale de Justice (CIJ) interprète l’article 6 du TNP à l’aune du principe d’interprétation des traités et apporte ainsi des précisions sur l’obligation de négocier de bonne foi. À cet égard, la CIJ estime que « la portée juridique de l'obligation considérée dépasse celle d'une simple obligation de comportement ; l'obligation en cause ici est celle de parvenir à un résultat précis – le désarmement nucléaire dans tous ses aspects – par l'adoption d'un comportement déterminé, à savoir la poursuite de bonne foi de négociations en la matière » (§ 99). Ainsi, l’obligation de négocier de bonne foi n’est pas seulement une obligation de comportement, mais elle est aussi une obligation de résultat. Ce résultat passe par la négociation et la conclusion d’un accord international portant sur le désarmement nucléaire général et complet, sous un contrôle strict et efficace.
Or, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) adopté en 2017 et entré en vigueur en 2021 a été négocié et ratifié sans la participation des États dotés. Les EDAN ont tous catégoriquement refusé de participer à la négociation du TIAN et ne veulent pas être parties au traité, ni même y être simplement membres observateurs. La pratique d’infirmation du TIAN par les EDAN relève d’une volonté juridique de nier l’opinio juris concernant ce traité. En effet, si un jour l’interdiction de l’arme nucléaire devenait une coutume internationale, du fait de l’existence du TIAN, les EDAN ne seraient alors pas liés par cette obligation coutumière. Cela démontre, que depuis 55 ans, l’article 6 du TNP n’a pas été pleinement respecté par ces États. Ce manquement contribue à rendre le TNP discriminatoire en ce qui concerne l’exécution de ses obligations par les États dotés.
La différence de régime entre États dotés et non dotés est certes inégalitaire, mais elle demeure licite. Elle l’est parce qu’elle repose sur le consentement des États et respecte le principe essentiel de la souveraineté des États. En revanche, la non-application de bonne foi de l’article 6 par les États dotés peut, elle, être considérée comme une source de discrimination. Cette discrimination repose sur le fait que les États non dotés respectent leurs obligations de non contrôle de l’arme nucléaire et d’application des garanties de l’AIEA, tandis que les États dotés se contentent de conserver leurs arsenaux et d’en perfectionner la technologie, sans véritablement négocier un traité de désarmement général et complet. Cela crée donc une inégalité quant à l’exécution des obligations qui incombent aux États parties.
Ainsi, les obligations du TNP finissent par créer un régime juridique où les cinq États dotés se contentent de maintenir leur arsenal sous couvert de dissuasion nucléaire, tandis que les autres États, eux, respectent leurs obligations jusqu’à adopter un traité d’interdiction totale des armes nucléaires. C’est donc dans cette application asymétrique, et plus précisément dans le non-respect de l’article 6, que peut résider le véritable caractère discriminatoire du TNP, et non dans la distinction entre États dotés et non dotés.
Ouverture de la Conférence d'examen du Traité sur la non-prolifération, le 5 mai 1975, au Palais des Nations à Genève. La Conférence avait comme objectif d’examiner le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.
Article clair et passionnant. Les EDAN se sont mis au chaud en signant LE TNP. Il est toujours de bon augure de s'appuyer sur la bonne foi de la Chine, de la Russie ou des USA.
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