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13 octobre 2025

ACTU : Les implications juridiques de la première phase de l’accord entre Israël et le Hamas : vers une mise en œuvre incertaine du plan pour Gaza

Catherine MAIA, Laetitia PARRA

Le 29 septembre 2025, le président américain Donald Trump a présenté, à Washington, un plan de paix en 20 points visant à mettre un terme au conflit débuté en octobre 2023 à la suite de l’attaque menée par le Hamas en Israël et de la riposte de ce dernier dans la bande de Gaza. Le plan, soutenu par plusieurs États arabes, prévoit notamment un cessez-le-feu immédiat, des libérations croisées d’otages et de prisonniers, un retrait progressif des forces israéliennes vers une ligne convenue et la mise en place d’une administration transitoire.

Dans la nuit du 8 au 9 octobre 2025, Israël et le Hamas ont annoncé accepter la première phase du plan : cessez-le-feu, libérations, reprise et sécurisation de l’aide humanitaire, repositionnement des forces israéliennes. Cette étape – dont la mise en œuvre a débuté le 10 octobre 2025 et s’est déroulée jusqu'au 13 octobre – n’aborde toutefois pas les points les plus sensibles, tels que la gouvernance de Gaza, la démilitarisation et les garanties de sécurité, qui sont renvoyés aux phases ultérieures.

Ainsi, si la première phase de l’accord bilatéral entre Israël et le Hamas marque un tournant diplomatique, en amorçant un processus de paix longtemps perçu comme impossible et en conférant une légitimité et une base consensuelle au plan Trump, elle est loin de dissiper toutes les incertitudes juridiques et pratiques qui l’entourent. En particulier, elle soulève la question de ses effets et de sa portée sur le plan juridique ainsi que, plus largement, celle des perspectives et des conditions de légalité et de faisabilité des phases suivantes du plan Trump au regard du droit international.
 
Effets et portée juridique de l’accord bilatéral entre Israël et le Hamas


Longtemps perçu comme un projet unilatéral américain, le plan Trump s’inscrit désormais, pour sa première phase, dans un cadre accepté politiquement par les deux parties. Cette acceptation crée des obligations réciproques d’exécution relatives au cessez-le-feu, aux libérations, à l’accès humanitaire et au repositionnement des forces.

Du point de vue du droit international humanitaire, un tel arrangement vaut engagement de cessation des hostilités assorti de mesures concrètes. Il implique notamment : la mise en œuvre effective du cessez-le-feu, la réalisation des libérations selon des modalités vérifiables, la facilitation de l’aide et la sécurisation des accès, le repositionnement des forces selon la ligne convenue. Ces obligations doivent être exécutées de bonne foi, ce qui proscrit l’instrumentalisation de la trêve et impose la prévisibilité et la transparence des mesures annoncées.

Concernant le périmètre au-delà de la première phase, le document américain esquisse un cadre plus large qui éclaire déjà certains enjeux juridiques, qui restent à mettre en œuvre.

Le volet militaire prévoit la fin des combats, qui est associée, à terme, à un abandon durable de la lutte armée par le Hamas, à un désarmement accompagné de la neutralisation des infrastructures (y compris les tunnels) et à un retrait progressif des forces israéliennes, avec renonciation à toute annexion ou revendication d’occupation. Ces éléments, s’ils étaient poursuivis, appellent des mécanismes de vérification indépendants et soulèvent la question de l’usage de la force pendant la trêve et des zones tampons.

Le volet humanitaire comprend la libération de l’ensemble des otages israéliens, la libération de détenus palestiniens et une reprise massive de l’aide humanitaire. Sur le plan juridique, cela suppose des modalités de filtrage, de sécurité et de transit claires, ainsi qu’un suivi indépendant pour prévenir les détournements.

Le volet politique et institutionnel, quant à lui, prévoit une présence internationale à dominante américaine, comprenant une force de stabilisation et une composante civile technocratique associant des Palestiniens et des experts internationaux. Ce volet pose d’emblée des questions de base juridique, de statut des personnels (privilèges et immunités), ainsi que de contrôle démocratique et de représentation, d’autant que ni le Hamas ni l’Autorité palestinienne ne seraient associés à l’administration de Gaza.

Cet accord n’emporte, en outre, ni reconnaissance mutuelle de statut ni modification des positions juridiques de fond des parties ; il fixe des règles de conduite pour la seule phase concernée, sans préjudice du statut. Son exécution reste toutefois incomplète : la première phase ne règle pas, en particulier, la gouvernance de Gaza, la démilitarisation, ni les garanties de sécurité. Ces points appelleront des dispositions additionnelles ou des mécanismes tiers (suivi indépendant, calendrier de vérification, modalités de règlement des différends, rôle éventuel de garants). Des informations récentes sur des règlements de comptes menés par le Hamas après le retrait de Tsahal illustrent le risque de dérives répressives en l’absence de mécanismes de supervision crédibles.

Ainsi, la première phase de l’accord est de nature à produire des effets immédiats - cesser les hostilités, libérer, laisser passer l’aide, se repositionner - tout en laissant ouvertes les questions institutionnelles et sécuritaires qui conditionneront la viabilité des phases suivantes. Les volets projetés du plan de paix (désarmement avec éventuelles amnisties, force de stabilisation, administration civile technocratique, non-annexion) devront être précisés, fondés sur une base juridique claire et soumis à un contrôle effectif pour éviter les dérives potentielles.
 
Perspectives de légalité et de faisabilité du plan pour Gaza dans son ensemble


L’acceptation de la première phase du plan pour Gaza constitue une avancée politique réelle. Pour que les étapes ultérieures acquièrent, elles aussi, une pleine assise juridique, leur conception et leur exécution devront respecter le droit international.

Tout d’abord, toute réorganisation politique ou sécuritaire doit respecter le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même (article 1 commun des Pactes de 1966). Une administration transitoire ne saurait être instaurée sans un consentement effectif et représentatif des Palestiniens, assorti de garanties de participation et de redevabilité, sans quoi sa légitimité démocratique et juridique serait contestable.

En outre, la création, à l’initiative d’acteurs extérieurs, d’une autorité transitoire pour Gaza exige une base juridique claire : mandat du Conseil de sécurité, consentement valable des autorités palestiniennes compétentes et/ou accords dûment formalisés. À défaut, l’entreprise s’exposerait au grief d’une ingérence illicite et, selon le degré de contrôle effectif, pourrait relever du régime de l’occupation.

Par ailleurs, l’idée d’un retrait vers une ligne convenue doit être encadrée par des critères vérifiables (calendrier, zones, surveillance). Le statut d’occupation dépendant du contrôle effectif, un simple repositionnement ne suffit pas à y mettre fin. Les formulations ouvertes (telles que « jusqu’à disparition de toute menace ») doivent être précisées pour prévenir un contrôle prolongé contraire aux exigences du droit applicable. Les enseignements de la jurisprudence internationale, notamment l’avis consultatif de 2004 sur les Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, appellent un plein respect du droit humanitaire et des droits de l’homme.

La poursuite du plan devra également intégrer, sans conditionnalité discriminatoire, la protection des civils et la facilitation d’une aide humanitaire rapide et sans entrave lorsque la population est insuffisamment approvisionnée. Restent centrales l’interdiction des transferts forcés de civils et, s’agissant d’éventuelles évacuations, l’obligation de retour dès la cessation des hostilités. Est également prohibé le transfert, par une puissance occupante, de sa propre population civile vers le territoire qu’elle occupe.

Le plan pour Gaza s’accompagne, par ailleurs, d’un certain nombre d’ambiguïtés politiques majeures.

Le texte du plan ne clarifie pas la trajectoire vers une solution à deux États. Il écarte la reconnaissance immédiate d’un État palestinien et renvoie à d’hypothétiques réformes de l’Autorité palestinienne, sans engagement ferme en faveur de la création d’une entité étatique. La Cisjordanie n’est pas mentionnée, et l’engagement de non-annexion et de non-occupation vise Gaza uniquement, laissant entiers les enjeux juridiques relatifs aux autres territoires palestiniens. Cette dissociation va à rebours de l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice de 2024 sur les Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, qui a mis l’accent sur l’unité du Territoire palestinien occupé pour l’exercice du droit à l’autodétermination, et affaiblit la cohérence d’ensemble tout en nourrissant une insécurité juridique durable.

De même, le plan évoque une amnistie pour les membres du Hamas qui renoncent à la lutte armée et déposent les armes, sans traiter symétriquement des responsabilités pénales que pourraient encourir d’autres acteurs et sans évoquer l’existence de poursuites en cours devant la Cour pénale internationale. Il n’aborde pas non plus la question des réparations dues aux victimes palestiniennes, alors que le cadre international pertinent – notamment l’avis consultatif de 2024 de la Cour internationale de Justice – insiste sur des obligations de cessation et de réparation. Une paix durable requiert pourtant des mécanismes crédibles de justice transitionnelle (vérité, responsabilité, réparation) compatibles avec les exigences du droit international.

Le plan n’esquisse pas davantage de réponses opérationnelles sur les frontières, le sort des réfugiés ou la réconciliation inter-palestinienne, alors même que ces paramètres sont au cœur des résolutions onusiennes et du cadre multilatéral établi de longue date. À cet égard, si l’urgence humanitaire justifie certaines mesures immédiates, l’architecture d’un règlement durable ne peut se réduire à un arrangement politique décorrélé des principes et paramètres du droit international.

Face à ces ambiguïtés, la faisabilité juridique du plan dépendra de trois conditions : un fondement juridique incontestable pour toute présence ou administration extérieure, une participation palestinienne significative garantissant l’autodétermination, et des mécanismes opérationnels précis (suivi indépendant, vérification, règlement des différends), afin d’empêcher que les clauses de sécurité ne se traduisent par un contrôle indéfini, tout en intégrant les enjeux de statut, de responsabilité et de réparation.

En définitive, si l’accord sur la première phase constitue un progrès réel en stabilisant temporairement la situation à Gaza et en introduisant un cadre commun, il laisse subsister des ambiguïtés en matière de souveraineté, de légalité et de gouvernance. Pour maintenir un cap viable et conforme au droit, les étapes suivantes devront reposer sur un consentement palestinien effectif, respecter les normes applicables et prévoir un suivi indépendant. À défaut, la paix promise ne serait qu’un arrangement politique précaire, dépourvu de fondement juridique solide et de légitimité durable.

À ce stade, le plan ressemble davantage à une plateforme de principes qu’à un instrument normatif abouti. L’adhésion aux éléments initiaux n’est qu’un point de départ : il faudra la traduire en un ou plusieurs accords formalisant droits et obligations, avec un calendrier et des mécanismes de mise en œuvre.

La réussite passera, enfin, par un ancrage multilatéral crédible. Sans implication structurée d’acteurs régionaux et internationaux – y compris pour la supervision civile et sécuritaire – toute approche unilatérale restera fragile. C’est de l’articulation entre consentement des populations concernées, encadrement juridique robuste et portage collectif que dépendra la durabilité du processus.




Le plan de paix pour Gaza, présenté le 29 septembre dernier par Donald Trump en présence de Benyamin Netanyahou à Washington, prévoit à terme le désarmement du Hamas et un retrait d'Israël du territoire enclavé.
Crédits : The White House / Flickr

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