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15 octobre 2025

ACTU : Le retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CPI : entre souveraineté et impunité

Catherine MAIA, Pauline EQUIN

Dans un geste présenté comme souverainiste, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé, par un communiqué conjoint le 22 septembre 2025, leur retrait du Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale (CPI). Portée par trois États actuellement dirigés par des juntes militaires, la décision s’inscrit dans une redéfinition de leurs ancrages internationaux et questionne la place de la justice pénale internationale dans des régimes de transition en quête de renforcement politique. Au-delà du geste politique, l’annonce ravive les tensions entre souveraineté, justice internationale et protection des victimes de crimes graves.


Une décision politique juridiquement encadrée

Les trois pays, dirigés par des juntes issues de coups d’État (2020-2023) se sont alliés dans une confédération, l’Alliance des États du Sahel (AES), fondée par un traité adopté à Niamey le 6 juillet 2024. Ils ont souhaité affirmer une ligne dite « souverainiste » en proclamant dans leur communiqué conjoint que le retrait de la CPI s’applique « avec effet immédiat ». À cet égard, le Statut de Rome prévoit toutefois un mécanisme précis. Selon l’article 127, le retrait ne prend effet qu’un an après notification écrite au Secrétaire général des Nations Unies, dépositaire dudit traité. En outre, le retrait n’exonère pas les États de leurs obligations nées lorsqu’ils étaient parties (y compris financières), n’affecte pas la coopération due pour les enquêtes et procédures engagées avant la prise d’effet du retrait, et n’empêche pas la CPI de poursuivre l’examen des affaires déjà entamées. Autrement dit, à ce stade, la coopération reste juridiquement due pour les États sahéliens – qui ont respectivement ratifié le Statut de Rome les 16 août 2000 (Mali), 11 avril 2002 (Niger) et 16 avril 2004 (Burkina Faso) – spécialement pour la situation au Mali, sous enquête depuis 2013 à la suite du renvoi étatique de juillet 2012.

Les trois États ont justifié leur décision par la dénonciation d’une justice néocoloniale et sélective. Cette critique ancienne a été relayée au sein de l’Union africaine et par certaines grandes puissances non parties, comme les États-Unis ou la Russie, qui ont engagé des sanctions contre la CPI. Mais l’argument occulte deux réalités. Premièrement, la CPI est une juridiction de dernier ressort, subsidiaire, qui n’intervient qu’en cas d’inaction ou d’incapacité nationales, conformément à la logique du principe de la complémentarité qui est au cœur du Statut de Rome. Deuxièmement, de nombreuses situations instruites par la CPI l’ont été à la demande d’États africains eux-mêmes, ce qui fragilise la thèse d’un ciblage systémique.

La décision de retrait s’inscrit, par ailleurs, dans une recomposition plus large de la diplomatie des trois États sahéliens : sortie de la CEDEAO effective le 29 janvier 2025, consolidation de l’AES en confédération fondée sur un traité adopté le 6 juillet 2024, prise de distance vis-à-vis de partenaires occidentaux et rapprochement accru avec la Russie. Mais en matière pénale internationale, l’affirmation de souveraineté ne se mesure pas à la capacité d’échapper aux contraintes, elle se vérifie à l’aptitude de chaque État à juger, de manière indépendante et conforme au droit, les auteurs des crimes les plus graves.


Entre vide judiciaire et promesse d’une justice « endogène »


Ce désengagement de la CPI de la part du Burkina Faso, du Mali et du Niger est perçu comme préoccupant par de nombreuses organisations non gouvernementales, car il fragilise le système multilatéral de justice pénale et pose la question d’alternatives nationales crédibles. Amnesty International a qualifié cette décision de « recul préoccupant » dans la lutte contre l’impunité au Sahel et au-delà, appelant les trois États à reconsidérer leur position. Human Rights Watch a souligné que le retrait privera les victimes d’une voie internationale essentielle et accroîtra les risques pour les civils. TRIAL International a également alerté sur un affaiblissement de l’accès à la justice et sur les risques de non‑coopération.

Il convient de rappeler que, malgré ses limites, la CPI conserve des fonctions essentielles en termes non seulement de dissuasion – certes imparfaite, mais réelle dans des contextes de conflits prolongés – ainsi que de pacification et de réparations. À cet égard, l’exemple malien illustre la fonction cruciale de la CPI comme filet de sécurité. En 2016, la Cour a condamné Ahmad Al Faqi Al Mahdi à 9 ans d’emprisonnement pour la destruction des mausolées de Tombouctou, reconnaissant la justiciabilité des atteintes au patrimoine culturel en situation de conflit et ouvrant la voie à des réparations.

Concernant ce pays, Eduardo González Cueva, Expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme au Mali, a déclaré peu après l’annonce de retrait que cette décision constituait un déni pour les victimes de violations graves des droits humains et du droit international humanitaire en raison des risques d’entrave à l’accès à la justice et aux réparations. Il a rappelé que l’État malien restait tenu de coopérer pleinement avec la CPI dans les enquêtes et procédures en cours ou engagées avant la prise d'effet du retrait, le non-respect de cette obligation constituant un manquement au droit international. Appelant les autorités maliennes à reconsidérer leur décision, il a, en outre, insisté sur le risque de vide judiciaire : dans un contexte national fragilisé par des violences, l’abandon des mécanismes internationaux de responsabilité pourrait accroître l’impunité et nuire à la protection des populations.

Pour échapper aux critiques, l’AES a mis en avant la construction d’une justice « endogène » et a annoncé la création d’une Cour pénale et des droits de l’homme de l’AES destinée à juger les crimes graves conformément à ses « valeurs sociétales ». Si l’ambition est légitime, dans la mesure où la proximité géographique et culturelle peut améliorer l’accès à la justice, trois écueils majeurs se dessinent.

D’abord, la capacité et les ressources : ériger une cour pénale régionale exige des garanties budgétaires, des mécanismes de protection des témoins, des services d’enquête spécialisés, un greffe et une défense dotée de moyens adéquats. À court terme, la soutenabilité financière et logistique d’une telle institution est incertaine.

Ensuite, l’indépendance et les garanties : dans des contextes de gouvernement militaire, l’indépendance des magistrats, l’autonomie du parquet et la protection des avocats ne sont pas acquises. Sans garanties fortes, la perception d’une justice instrumentalisée compromettrait la crédibilité des décisions.

Enfin, l’articulation institutionnelle : une juridiction sahélienne devrait s’insérer dans un écosystème juridictionnel africain déjà dense, sans créer de conflits de compétence, notamment avec la Cour africaine de justice et des droits de l’homme (CAJDH) telle que modifiée par le Protocole de Malabo (2014) – lequel prévoit une section pénale – mais n’est pas encore en vigueur faute de ratifications suffisantes. L’enjeu est d’éviter fragmentation et forum shopping. C’est ici que les critiques des ONG prennent tout leur sens. En effet, l’accès des victimes à un recours effectif se réduit drastiquement en l’absence d’alternative opérationnelle crédible. Ces retraits – à l’instar de ceux du Burundi en 2017 et des Philippines en 2019 et de celui de la Hongrie qui devrait prendre effet en 2026 – marquent des replis souverainistes mettant à mal l’universalité de la lutte contre l’impunité portée par la CPI.

Il convient de rappeler que la CPI n’est pas l’ennemie de la souveraineté : elle en est l’auxiliaire lorsque les juridictions nationales sont empêchées. La complémentarité n’est pas une mise sous tutelle, c’est une incitation au renforcement des institutions nationales. L’issue souhaitable n’est donc ni le repli ni l’hostilité, mais la réforme concertée des mécanismes de coopération, la montée en puissance des justices nationales et régionales, et le maintien de la protection des victimes comme boussole. La voie de la réforme est d’ailleurs défendue par plusieurs voix africaines qui, tout en critiquant des biais réels ou perçus, invitent à améliorer l’institution plutôt qu’à l’abandonner.

En définitive, le retrait sahélien de la CPI relève moins d’un sursaut souverain que d’une stratégie d’évitement judiciaire aux coûts élevés pour les victimes. À court terme, il n’efface ni les enquêtes ni les obligations en cours. À moyen terme, il fragilise un pilier du système multilatéral de responsabilité sans offrir, pour l’instant, d’alternative à la hauteur. La souveraineté se prouve en rendant justice –rapidement, indépendamment, efficacement – pas en se soustrayant à la reddition de comptes. La crédibilité du droit pénal au Sahel se jouera moins dans les communiqués que dans la capacité à instruire et juger, au plus près des victimes, les crimes qui offensent la communauté internationale tout entière avec, si nécessaire, l’appui de la CPI.


Assimi Goïta, Abdourahamane Tiani et Ibrahim Traoré (Photo DR)

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