Le XXe siècle a marqué un tournant décisif pour les droits humains, avec l’adoption de textes internationaux majeurs tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979. Ces avancées ont renforcé la reconnaissance juridique du principe d’égalité entre les sexes, imposant progressivement aux États l’obligation de garantir aux femmes les mêmes droits civils, politiques, économiques et sociaux que les hommes. Toutefois, ces avancées ne se sont pas faites sans heurts, en particulier sur le continent africain, où les normes juridiques se sont historiquement construites à l’intersection des influences coloniales, du droit coutumier et du droit moderne. La reconnaissance et la protection des droits de la femme en Afrique résultent ainsi d’un long combat, marqué par la nécessité d’adapter les cadres juridiques aux réalités socioculturelles locales, tout en intégrant les engagements internationaux en faveur de l’égalité des genres.
Une hétérogénéité des droits de la femme dans l’Afrique précoloniale
Avant la colonisation, les droits et le statut des femmes en Afrique étaient profondément influencés par les structures sociopolitiques et les systèmes de filiation propres à chaque région. Dans les sociétés matrilinéaires, notamment en Afrique forestière où les croyances animistes prédominaient, les femmes bénéficiaient d’une relative indépendance juridique et occupaient des rôles politiques et économiques stratégiques. Elles pouvaient hériter de terres, exercer des fonctions décisionnelles au sein de la communauté et gérer des activités commerciales de grande envergure.
En revanche, dans les sociétés patrilinéaires, majoritaires dans les zones sahéliennes et désertiques, où les religions monothéistes exerçaient une influence prépondérante, les femmes étaient juridiquement subordonnées aux hommes. Leur accès aux responsabilités politiques et économiques était limité, et leur rôle social était souvent restreint aux sphères domestiques et familiales.
Malgré ces disparités, dans plusieurs régions d’Afrique noire francophone, les femmes participaient activement aux processus de délibération communautaire, notamment en tant que conseillères influentes ou détentrices de savoirs traditionnels. Leur autonomie économique s’illustrait à travers des activités agricoles, pastorales et commerciales structurées.
L’arrivée des colons européens, issus de sociétés patriarcales et monothéistes, a profondément bouleversé ces dynamiques. Le droit coutumier, qui conférait aux femmes un rôle central dans certaines sociétés, a été relégué au second plan au profit de systèmes juridiques inspirés des modèles occidentaux. En imposant des structures administratives et légales étrangères aux réalités locales, la colonisation a souvent accentué la dépendance économique et sociale des femmes vis-à-vis des hommes. Ce processus a non seulement réduit leur autonomie dans la gestion des ressources et des affaires publiques, mais il a également contribué à ancrer durablement des inégalités de genre qui perdurent encore aujourd’hui.
Le droit africain des droits de la femme : un cadre normatif en construction face aux inégalités
Face aux inégalités structurelles héritées de l’histoire et aux discriminations persistantes, un mouvement en faveur des droits des femmes s’est progressivement affirmé en Afrique dès la période coloniale. Mobilisations locales, nationales et internationales ont conduit à l’adoption de divers instruments juridiques consacrant ces droits, aussi bien au niveau universel que régional.
Le droit africain des droits de la femme constitue aujourd’hui une branche essentielle du droit international africain et du droit africain des droits de l’homme et des peuples plus spécifiquement. Il repose sur un corpus normatif articulé autour de deux sources principales. D’une part, le droit conventionnel, issu des engagements internationaux et régionaux des États africains, comprend notamment la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 (qui consacre l’égalité entre les sexes dans son article 18(3)) et son Protocole relatif aux droits des femmes de 2003 (dit Protocole de Maputo), qui constitue l’instrument régional le plus avancé en matière de protection des droits des femmes en Afrique. S’y ajoutent la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979, ratifiée par la quasi-totalité des États africains, ainsi que des instruments sous-régionaux, tels que le Protocole de la Communauté de développement de l’Afrique australe sur le genre et le développement de 2008.
D’autre part, le droit coutumier continue d’influencer profondément l’organisation sociale et juridique du continent. Dans de nombreux États, les traditions et pratiques locales ancestrales coexistent avec le droit écrit, parfois en contradiction avec les engagements internationaux pris par les gouvernements. Des pratiques préjudiciables, voire discriminatoires, telles que le mariage précoce, l’excision, la polygamie ou l’exclusion des femmes de l’héritage, persistent en raison du poids des normes traditionnelles et du pluralisme juridique, de sorte que la mise en œuvre du droit africain des droits de la femme dépend d’un effort politique d’harmonisation entre les engagements internationaux et les réalités socioculturelles locales.
Des mécanismes de protection, mais un combat toujours actuel
Pour garantir l’application effective des droits des femmes et pour résoudre les contradictions entre les différents systèmes juridiques, plusieurs mécanismes de protection ont été mises en place en Afrique. Ces mécanismes visent la promotion, l’interprétation et, plus largement, la mise en œuvre des normes relatives aux droits humains, en particulier ceux des femmes, des enfants et des groupes vulnérables.
L’Union africaine, en tant que principale organisation continentale, joue un rôle fondamental dans ce processus. À travers ses politiques et déclarations, elle œuvre pour un environnement juridique plus favorable à l’égalité de genre. À cette fin, elle a adopté en 2004 la Déclaration solennelle sur l’égalité entre les hommes et les femmes en Afrique qui, bien que non contraignante, réaffirme solennellement l’engagement des États membres à promouvoir les droits des femmes et à éliminer toutes les formes de discrimination fondée sur le sexe.
En parallèle, des organes juridictionnels et quasi-juridictionnels, tels que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant, sont des leviers importants dans la supervision de la mise en œuvre de ces droits. Ces institutions, dotées de mandats différents, collaborent pour garantir que les États membres respectent leurs obligations en matière de droits humains et offrent aux victimes de violations de droits humains, dont les femmes, la possibilité de porter plainte contre leurs gouvernements si ceux-ci ne respectent pas les engagements pris.
Pour les États ayant fait une déclaration permettant aux individus ou aux organisations non gouvernementales de saisir la Cour africaine (huit sur les 55 membres de l’Union africaine), celle-ci a la possibilité d’examiner les plaintes individuelles contre un État membre. Elle est ainsi un recours essentiel lorsque les mécanismes nationaux ne sont pas suffisants pour garantir la protection des droits des femmes. De plus, la Commission africaine et le Comité africain d’experts œuvrent en amont pour sensibiliser les États membres et promouvoir la conformité des normes nationales avec les normes internationales de protection des droits humains et en aval pour traiter des plaintes individuelles et faire des recommandations aux États.
Les organisations sous-régionales, telles que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et l’Autorité intergouvernementale sur le développement (IGAD), disposent également de mécanismes juridiques qui complètent et renforcent les efforts continentaux. Ces organisations ont établi des tribunaux sous-régionaux, comme la Cour de justice de la CEDEAO, capable de rendre des décisions contraignantes pour les États membres. Ces juridictions permettent aux individus, y compris les femmes, de saisir la Cour en cas de violation de leurs droits fondamentaux.
Malgré l’existence de ces mécanismes de protection, la jurisprudence africaine en matière de droits des femmes reste encore limitée et insuffisante. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, bien qu’elle ait rendu des décisions importantes dans des affaires concernant les droits des femmes, fait face à des obstacles pour garantir la mise en œuvre effective de ses arrêts face à des États parfois réticents. De même, la Commission africaine des droits de l’homme et le Comité africain d’experts, malgré leur rôle essentiel dans la sensibilisation et l’accompagnement des États, ne peuvent qu’émettre des recommandations sans force contraignante. L’effectivité de ces mécanismes est également minée par le manque de ressources et l’absence de processus de suivi robustes pour assurer que les décisions et recommandations soient effectivement appliquées.
Ainsi, la question des droits des femmes en Afrique ne se limite pas à une réflexion théorique sur les instruments juridiques existants. Il s’agit d’une lutte continue pour que les droits des femmes ne soient pas seulement une promesse écrite, mais une réalité vécue dans les sociétés africaines. C’est ce qu’il ressort de l’ouvrage collectif Le droit africain des droits de la femme : questions choisies, qui explore les défis actuels à l’accès aux droits fondamentaux – tels que l’éducation, l’autonomie économique et la participation politique – ainsi que les mécanismes de protection, et propose des pistes concrètes pour renforcer l’effectivité des droits des femmes sur le continent africain. Ce livre est une ressource essentielle pour comprendre pourquoi, malgré les avancées, le combat vers une véritable égalité entre les sexes en Afrique est encore loin d’être gagné.
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