9 avril 2015

ACTU : La CPI n’enquêtera pas, dans l'immédiat, sur les crimes présumés de l’Etat Islamique

Catherine MAIA

La Cour pénale internationale (CPI) a indiqué, le 8 avril, qu’elle n’ouvrira pas, « au stade actuel », d’enquête sur des crimes présumés commis par le groupe Etat Islamique en Irak et en Syrie, dont le génocide, car elle n’en a pas la compétence.

« Des crimes d’une incroyable cruauté ont été signalés, notamment des exécutions en masse, l’esclavage sexuel, des viols et autres formes de violences sexuelles », a déploré la procureure Fatou Bensouda dans un communiqué, évoquant également des allégations de génocide.

Mais l’Irak et la Syrie n’ont pas ratifié le traité fondateur de la CPI, le Statut de Rome de 1998, ce qui donnerait compétence à la CPI pour ouvrir une enquête de son propre chef, a rappelé Mme Bensouda.

Elle a certes indiqué que la CPI avait la compétence pour poursuivre certains des milliers de djihadistes issus de pays ayant ratifié le Statut de Rome, notamment la Tunisie, le Royaume-Uni, la Jordanie, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas ou l'Australie.

Mais là aussi, les perspectives de poursuite semblent « minces », car l’organisation EI est « dirigée principalement par des ressortissants irakiens et syriens » : « A ce stade, les chances qu’a le bureau de pouvoir enquêter et poursuivre les personnes qui portent la responsabilité la plus lourde au sein de la direction de l’EI semblent très minces », a ajouté la procureur. « Au stade actuel, le fondement juridique nécessaire pour procéder à un examen préliminaire était trop étriqué », a-t-elle regretté.

Mme Bensouda a évoqué une autre solution en vue de l’ouverture d’une enquête de la CPI : que le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte une résolution en ce sens, à la manière de ce qui a été fait pour la Libye en 2011. Elle a aussi rappelé que les pays dont sont issus les djihadistes doivent poursuivre ces derniers.

En novembre 2014, Mme Bensouda avait indiqué être en train d’examiner la possibilité de poursuivre des membres du groupe IS pour des crimes de guerre, précisant avoir reçu des communications de la part de plusieurs pays. Les djihadistes de l’Etat islamique ont perpétré de nombreuses exactions dans des zones qu’ils contrôlent, dont des décapitations publiques et des exécutions de masse.

La CPI est le seul tribunal pénal international permanent chargé de poursuivre les plus hauts responsables de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis. Elle a été créée en 2002 et est entrée en fonction l’année suivante.


La procureure de la CPI Fatou Bensouda. (Crédit : CC BY-SA 3.0, Max Koot Studio/Wikimedia)
La procureure de la CPI, Mme Fatou Bensouda



Depuis l'été 2014, mon Bureau reçoit et examine des renseignements à propos d'allégations préoccupantes concernant des atrocités commises de façon généralisée par le prétendu État islamique d'Iraq et du Cham/Grande Syrie (« EIIS » alias « EIIL », « Daesh » ou « EI ») en Syrie et en Iraq. Des crimes d'une incroyable cruauté ont été signalés, notamment des exécutions en masse, l'esclavage sexuel, des viols et autres formes de violences sexuelles ou à caractère sexiste, des actes de torture, des mutilations, l'enrôlement et le recrutement forcé d'enfants et la persécution de minorités ethniques et religieuses, sans oublier la destruction délibérée de biens culturels. Le crime de génocide a par ailleurs été mentionné. Face aux nombreuses interrogations sur les mesures prises par le Bureau à propos de ces allégations, j'ai pris la décision de fournir les explications suivantes.

Les atrocités qui auraient été commises par l'EIIS constituent sans l'ombre d'un doute des crimes graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale et menacent la paix, la sécurité et le bien-être de la région en cause et du monde. Elles ont en outre été perpétrées dans le cadre d'autres crimes présumés commis par d'autres factions belligérantes en Syrie et en Iraq. Cependant, ni la Syrie ni l'Iraq ne sont partie au Statut de Rome – le traité fondateur de la Cour pénale internationale (la « Cour » ou la CPI). Par conséquent, la Cour n'a pas de compétence ratione loci s'agissant des crimes commis sur leur territoire.

Cela étant, ainsi qu'il est prévu au Statut de Rome, la CPI peut exercer sa compétence ratione personae à l'égard des auteurs présumés de crimes s'ils sont ressortissants d'un État partie, et ce, même lorsqu'elle n'a pas de compétence ratione loci. Sur cette base, le Bureau a examiné les communications qu'il a reçues à propos des crimes qui auraient été commis par l'EIIS afin d'évaluer les possibilités d'exercer sa compétence à l'égard des ressortissants d'États parties engagés dans les rangs de cette organisation. Ce faisant, il n'a pas perdu de vue qu'il avait pour politique de concentrer son action sur les personnes qui portent la responsabilité la plus lourde dans les crimes commis à grande échelle.

D'après les informations réunies, des milliers de combattants étrangers ont rallié les rangs de l'EIIS en l'espace de quelques mois seulement. Parmi eux, figure un nombre important de ressortissants d'États parties dont, entre autres, la Tunisie, la Jordanie, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et l'Australie. Certains d'entre eux ont pu être impliqués dans des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre. Quelques uns ont rendu publics leurs crimes odieux en communiquant sur les réseaux sociaux. Les renseignements dont dispose le Bureau indiquent également que l'EIIS est une organisation militaire et politique dirigée principalement par des ressortissants iraquiens et syriens. Partant, à ce stade, les chances qu'a le Bureau de pouvoir enquêter et poursuivre les personnes qui portent la responsabilité la plus lourde au sein de la direction de l'EIIS semblent très minces.

Dans ce contexte, je suis parvenue à la conclusion qu'au stade actuel, le fondement juridique nécessaire pour procéder à un examen préliminaire était trop étriqué. Si les États en cause renouvellent leur engagement et prennent conscience de l'urgence de la situation, des solutions seront peut-être envisageables. La décision d'États non parties ou du Conseil de sécurité de l'ONU de saisir la CPI pour qu'elle intervienne est, cependant, complètement indépendante de sa volonté.

Il convient de rappeler qu'au regard du Statut de Rome, il incombe en premier lieu aux autorités nationales d'enquêter sur les crimes commis à grande échelle et de poursuivre leurs auteurs. Je continuerai à collaborer avec les États concernés afin de coordonner les actions, voire d'échanger des informations se rapportant aux crimes qui auraient été commis par des ressortissants de leur pays en vue d'apporter un soutien aux enquêtes et aux poursuites menées à l'échelon national, le cas échéant. Le Bureau continuera en outre à recueillir tout renseignement supplémentaire qui permettrait d'établir clairement les différentes positions occupées par les ressortissants d'États parties au sein de la structure hiérarchique de l'EIIS.

Je reste profondément préoccupée par la situation actuelle et je souhaite souligner qu'il est de notre devoir en tant que communauté internationale de nous mobiliser compte tenu du sort tragique des victimes qui ont vu leurs droits et leur dignité bafoués. L'EIIS continue à semer la terreur de façon généralisée sur les territoires où il sévit. La communauté internationale s'est engagée à ce que les crimes épouvantables qui heurtent profondément la conscience humaine ne restent pas impunis.
En tant que Procureur de la CPI, je suis prête à jouer mon rôle, en toute indépendance et en toute impartialité, conformément au cadre juridique établi par le Statut de Rome.

Source : CPI

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