5 mai 2015

ACTU : Au Burundi, la nouvelle candidature du président Nkurunziza validée par la Cour constitutionnelle malgré la contestation

Catherine MAIA

Briguer un nouveau mandat malgré la limite imposée par la loi : telle est la volonté du président du Burundi, Pierre Nkurunziza, qui vient d’obtenir le feu vert de la Cour constitutionnelle, le 5 mai, pour se présenter une troisième fois. Saisi par 14 sénateurs qui demandaient l’interprétation des articles 96 et 302 de la Constitution, la Cour constitutionnelle a conclu que « le renouvellement une seule et dernière fois de l’actuel mandat présidentiel au suffrage universel direct pour cinq ans, n’est pas contraire à la Constitution du Burundi du 18 mars 2005 ».

Elu en 2005, réélu en 2010, Pierre Nkurunziza pourra donc participer à la présidentielle du 26 juin 2015, malgré la contestation des opposants, qui manifestent dans la capitale, Bujumbura, depuis sa désignation comme candidat par son parti le CNDD-FDD le 25 avril dernier. Au moins quatre manifestants ont trouvé la mort en début de semaine, portant à 13 le nombre de tués en neuf jours.

Pour les opposants, cette candidature est contraire à la Constitution et à l’accord d’Arusha, datant de 2000, qui a ouvert la voie à la fin de la longue guerre civile burundaise (1993-2006) et posé les bases des actuelles institutions.

Mais selon le vice-président de la Cour constitutionnelle qui a refusé de signer cette décision et a dû, depuis, fuir le pays, cette dernière s’est fait tordre le bras. Sylvère Nimpagaritse a assuré à l’AFP que les juges de la Cour s’étaient vus pressés, par de hauts responsables qu’il a refusé de nommer, de signer un arrêt « imposé de l’extérieur », validant la candidature de Pierre Nkurunziza. « En mon âme et conscience, j’ai décidé de ne pas apposer ma signature sur un arrêt, une décision qui carrément est à côté de la loi et qui a été imposée de l’extérieur, qui n’a rien de juridique ».

Menaces de mort

La Constitution, comme l’accord d’Arusha, limitent en effet à deux le nombre de mandats présidentiels. Mais les partisans du chef de l’Etat estiment que le premier mandat de Pierre Nkurunziza, élu par le Parlement en 2005 comme premier président de l’après-transition au titre d’un article transitoire de la Constitution, n’entre pas dans le champ de l’article 96 de la Loi fondamentale qui prévoit l’élection au suffrage direct et stipule que le mandat présidentiel n’est renouvelable qu’une fois. C’est en ce sens que, dans son arrêt du 5 mai, la Cour constitutionnelle a proclamé que l’article 96 signifie que le nombre de mandats au suffrage universel direct est limité à deux seulement tandis que l’article 302 crée un mandat spécial au suffrage universel indirect distinct des mandats prévus à l’article 96.

Sylvère Nimpagaritse a assuré qu’une majorité des sept juges de la Cour estimaient initialement inconstitutionnelle la candidature controversée.

« Mais dès le soir du 30 avril, on a commencé à subir d’énormes pressions et même des menaces de mort, mais on a eu le courage de revenir le lendemain pour poursuivre les délibérations », a poursuivi M. Nimpagaritse. « Deux membres de la Cour parmi ceux qui avaient soutenu que le renouvellement d’un troisième mandat violait l’accord d’Arusha et la Constitution ont eu peur » et ont changé d’avis, a-t-il continué.

« Ils m’ont confié que si jamais on ne se ravisait pas, on aurait humilié le président, qu’on risquait gros, qu’on risquait nos vies et qu’il fallait donc rejoindre l’autre camp », a-t-il ajouté, soulignant que les juges s’étaient vus expliquer que signer cette décision devait éviter l’embrasement du pays.

Inquiétude du Rwanda

Craignant des violences, 24 000 Burundais ont fui au Rwanda voisin, pays à la composition ethnique similaire. Sept mille autres se sont réfugiés en République démocratique du Congo, selon l’agence des Nations unies pour les Réfugiés (HCR).

« Tout en respectant la souveraineté du Burundi dans la gestion de ses affaires intérieures, le Rwanda considère la sécurité d’une population innocente comme une responsabilité régionale et internationale », a déclaré la ministre rwandaise des affaires étrangères Louise Mushikiwabo dans un communiqué. Et d’ajouter : « Nous appelons les dirigeants du Burundi à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour ramener le calme dans le pays ».

Le 4 mai, lors d’un déplacement au Kenya, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a estimé que la décision de Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat était contraire à la Constitution burundaise.

A l’automne, la volonté du président burkinabé d’alors, Blaise Compaoré, de briguer un nouveau mandat en faisant fi de la Constitution avait provoqué un soulèvement populaire l’obligeant à démissionner.



Sources : AFP/Le Monde

3 commentaires :

  1. Brian MENELET6 mai 2015 à 15:02

    L'interprétation des articles de la Constitution incriminés laissent une ambiguïté quant à la possibilité d'une troisième mandat de P. Nkurunziza. En effet, l'on parle de deux mandats consécutifs au suffrage universel direct, alors que, par exception, le Président en exercice a été élu en 2005 par le Parlement (suffrage universel indirect donc). Par contre, la lecture combinée des Accrods d'Arusha et de la Constitution (les Accords d'Arusha faisant partie du bloc constitutionnel burundais de par les premiers articles de la Constitution de 2005), ainsi que l'esprit de ces deux textes est clairement ignoré par la Cour Constitutionnelle. Faut de formation/compétence de ses membres qui se seraient sentis liés par le texte plutot que par l'esprit du texte? Pas sûr. Le témoignage du Vice-Président de cette institution laisse à penser que le politique a tenu la plume du judiciaire, encore une fois. Mes collègues juristes burundais distinguent, non sans ironie, non pas deux mais trois types de magistrature au Burundi. On connait la magistrature assise que l'on oppose généralement à la magistrature debout. Au Burundi, une troisième sorte de magistrature a émergé il y a déjà plusieurs années: la magistrature couchée, qui tremble ou coopère volontairement avec l'Exécutif, ce nouvel épisode en est, semble-t-il, la preuve...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il ne faut, cependant, pas oublier que le processus d'instauration et d'institutionnalisation de la justice constitutionnelle est un procédé lent et complexe. Il ne s'agit aucunement de trouver des excuses à la capitulation de la Cour constitutionnelle. L'attitude du vice président est sans aucun doute digne d'admiration. De même, il n'y a aucune raison de douter de ses allégations concernant les méthodes ignobles utilisées par l'exécutif pour intimider les juges. Il ne fait aucun doute, à mon avis, que la candidature du président Nkurunziza pour un troisième mandat es contraire à la Constitution et aux accords d'Arusha, tant dans leur lettre que dans l'esprit qui les anime. Cependant, lorsque l'on regarde l'exemple français, l'on se rend compte qu'il a fallu au Conseil Constitutionnel français presque vingt ans avant d'oser censurer une loi pour inconstitutionnalité. Pendant sa présidence, le général De Gaulle n'a eu de cesse que de qualifier cette institution de "chien de garde de l'exécutif". Dans l'histoire, les juges, qu'ils soient ou non constitutionnels, ont toujours fait preuve d'une extrême prudence dans leurs rapports avec les autres pouvoirs constitués. Par ailleurs, le Burundi reste une jeune démocratie, capable de re-basculer dans la guerre civile à tout moment. Les périodes troublées n'ont jamais été propices à une grande audace de la part des juridictions constitutionnelles.
      Par ailleurs, il n'est absolument pas certain qu'une décision de refus de la Cour Constitutionnelle aurait permis de faire plier le président et ses partisans. A mon avis, seul un effort de pression populaire et internationale, telle que celles qui sont intervenues au Burkina Faso pourraient entraîner un recul de Nkurunziza, même si l'on ne peut pas souhaiter aux manifestants burundais le sort des martyres burkinabés.
      Peut-être trouvera-t-on de nouvelles raisons d'espérer dans la réunion qui se tient actuellement en Tanzanie...

      Supprimer