18 mars 2019

ACTU : Sanctions des États-Unis et retrait des Philippines : de nouveaux coups durs pour la CPI

Catherine MAIA

Le mois de mars 2019 a été marqué par de nouveaux coups durs pour la Cour pénale internationale (CPI), qui non seulement perd un État membre mais se voit confrontée à des sanctions d’un État non membre.

Un premier coup dur pour la CPI a été porté le 15 mars, avec l’annonce par les États-Unis de la mise en place d’une politique de restrictions des visas à l’encontre de toute personne enquêtant pour la Cour sur d'éventuels crimes commis par des militaires américains en Afghanistan ou dans d'autres pays. Cette décision, qui n’est guère une surprise, vient en réaction à l’annonce par la procureure Fatou Bensouda, en novembre 2017, de sa demande d’autorisation auprès de la Chambre préliminaire pour ouvrir une enquête sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui auraient été commis depuis le 1er mai 2003 en Afghanistan, en lien avec le conflit armé qui s’y déroule. L'Afghanistan ayant adhéré au Statut de Rome le 10 février 2003, la CPI est compétente à l'égard des crimes visés par ledit Statut commis sur le territoire afghan, y compris par des soldats américains, ou par des ressortissants afghans à compter du 1er mai 2003. 

Les États-Unis, qui ne se sont pas membres de la CPI, avaient alors menacé de prendre des sanctions si des enquêtes visaient soit des ressortissants américains, soit des ressortissants israéliens. S'agissant de ce dernier cas, bien qu’Israël, leur allié historique, soit également non membre de la CPI, le 22 mai 2018, la Palestine a invoqué les articles 13-a et 14 du Statut de Rome pour déférer au Procureur sa situation depuis le 13 juin 2014 et sans date de fin à l'égard de crimes qui auraient été commis sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est.

Qu’il s’agisse de l’Afghanistan ou de la Palestine, tous deux parties au Statut de Rome, les renvois ne déboucheront pas automatiquement sur l'ouverture d'une enquête, le procureur devant déterminer, au stade de l’examen préliminaire, s’il y a une base raisonnable justifiant l’ouverture d’une enquête. Pour autant, cela a suffi pour déclencher la colère du président américain Donald Trump, qui se dit prêt à prendre des sanctions additionnelles, y compris économiques, si la CPI ne change pas d’attitude.

Certes, actuellement, la demande d’enquête relative à la situation afghane demeure ouverte, ce qui est une manière pour la CPI de prouver son indépendance. Mais il est indéniable que l’interdiction pour les membres du personnel de la CPI d’entrer aux États-Unis posera des difficultés au regard des liens étroits entre cette juridiction et l’ONU dont le siège est à New York, qu’il s’agisse des réunions de l’Assemblée des États parties à la CPI, de la présentation des rapports par le procureur sur les situations déférées par le Conseil de sécurité, ainsi que de la présentation du rapport par le président de la CPI des travaux de la Cour devant l'Assemblée générale.

Sur le plan juridique, le Gouvernement américain avait notifié le 2 mai 2002 son intention de ne pas devenir partie au Statut de Rome, insistant sur le point qu’ils n’avaient, conformément à l’article 18 a) de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, aucune obligation découlant de leur signature apposée le 31 décembre 2000. Par ailleurs, ils ne sont pas parties à l'Accord de 2002 sur les privilèges et immunités de la CPI . 

Les États-Unis sont-ils pour autant exemptés de l'obligation d'accorder au moins certains privilèges et immunités aux juges et aux autres membres du personnel de la CPI ? Il ne semble pas. En effet, la Cour – organisation internationale indépendante de l'ONU – a le statut d'observateur auprès des Nations Unies en vertu de la Résolution 58/318 de l'Assemblée générale du 13 septembre 2004 sur la coopération entre les deux organisations. Ses responsables invités à participer aux travaux de l'ONU doivent donc pouvoir jouir de certains des privilèges et immunités reconnus dans l’Accord de siège de 1947 entre l’ONU et les États-Unis, ce qui comprend le droit d'accéder au siège des Nations Unies. 

Outre les sanctions américaines, un second coup dur pour la CPI a été porté le 17 mars, avec le retrait officiel des Philippines. Là encore, ce n’est guère une surprise, puisque le président Rodrigo Duterte avait annoncé un an auparavant sa volonté de se retirer du Statut de Rome, conformément à l’article 127 et dans la lignée du retrait du Burundi effectif depuis le 27 octobre 2017.

L'examen préliminaire relatif à la situation aux Philippines a été annoncé le 8 février 2018. Il porte sur l'analyse des crimes qui auraient été commis dans cet État partie depuis le 1er juillet 2016 au moins, dans le cadre d’une véritable « guerre contre la drogue » lancée par le Gouvernement philippin. De fait, depuis l’arrivée au pouvoir du président Rodrigo Duterte, c'est dans un climat d'impunité que des milliers de personnes auraient été tuées, qu'il s'agisse de consommateurs de drogues ou de trafiquants. Si certains meurtres seraient survenus au cours de vagues de violence cautionnées par l’État entre gangs rivaux ou au sein de ceux-ci, d’autres concerneraient des exécutions extra-judiciaires perpétrées au cours d'opérations policières visant à une répression féroce du trafic de drogue. 

Conformément au Statut de Rome, un tel retrait n’aura en principe aucune incidence ni sur la poursuite de l'examen de l’affaire entamée avant la date effective du retrait, ni sur l’obligation de coopération pesant sur le Gouvernement philippin. Le président Rodrigo Duterte a néanmoins
d'ores et déjà assuré que la « guerre contre la drogue » se poursuivrait au moins jusqu’à la fin de son mandat en 2022, si ce n’est au-delà, laissant entendre qu'il ne coopérerait pas avec la Cour.  

Si ces deux coups durs étaient attendus, reste à savoir comment la CPI pourra, à l'avenir, continuer son travail sereinement et efficacement, l’exigence d’impunité dans les cas des crimes les plus graves se heurtant aux obstacles de la mise en application de la justice internationale pénale. Après 17 ans d’existence, certains reprochent à cette juridiction sa sélectivité à l'égard des crimes et des accusés, tandis que d'autres la soupçonnent de corruption et de collusion avec les grandes puissances, autant de critiques rejaillissant négativement sur la CPI qui ne fera peut-être pas l'économie d'une profonde réforme.

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