Si l’on se réfère au Dictionnaire de droit international public, on entend par juridiction pénale internationale une « instance pénale créée par les États agissant collectivement et ayant le pouvoir de juger les auteurs présumés de crimes relevant de sa compétence » [1]. Une telle définition met en évidence la physionomie des juridictions pénales internationales et présente le cadre général de leur fonctionnement. À ce sujet, il nous semble aisé de comprendre la stipulation de l’article 1 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale qui énonce : « Il est créé une Cour pénale internationale ("la Cour") en tant qu’institution permanente, qui peut exercer sa compétence à l’égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale, au sens du présent Statut (…) ».
De manière générale, on conviendra donc que la création des juridictions pénales internationales réside dans « la volonté de la communauté internationale de mettre fin à l’impunité des auteurs des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de cette communauté et de concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes » [2].
C’est ce que confirma la Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, à travers son considérant dans l’affaire Le Procureur c. Furundzija, lorsqu’elle affirmait que « le Tribunal international a pour mission et devoir, tout en œuvrant à la réconciliation des peuples, de dissuader de commettre de tels crimes et de lutter contre l’impunité. Il est juste que l’auteur de l’infraction soit puni, non seulement parce qu’il a enfreint la loi (punitur quia peccatur), mais également pour que personne ne soit plus tenté de l’enfreindre (punitur ne peccatur) » [3]. Elle poursuivait en disant que « la peine a deux fonctions importantes, le châtiment et la dissuasion » [4].
Il n’en demeure pas moins que, de manière générale, les juridictions pénales internationales ne sauraient remplir cette mission ainsi relatée en dehors de toute coopération avec les États en vertu du principe de la souveraineté (voir par exemple l’article 86 du Statut de Rome). Cela signifie que « les succès de la répression internationale sont ainsi entièrement tributaires de la bonne volonté des États. (…) L’efficacité du système pénal international ne dépend pas de lui-même. Or, la bonne volonté étatique n’existe pas toujours » [4]. En d’autres termes, « la protection de la souveraineté peut ainsi constituer un affront à la finalité initiale de lutte contre l’impunité » [5] compte tenu de « la volonté de protéger les souverainetés étatiques » [6].
Il n’en demeure pas moins que, de manière générale, les juridictions pénales internationales ne sauraient remplir cette mission ainsi relatée en dehors de toute coopération avec les États en vertu du principe de la souveraineté (voir par exemple l’article 86 du Statut de Rome). Cela signifie que « les succès de la répression internationale sont ainsi entièrement tributaires de la bonne volonté des États. (…) L’efficacité du système pénal international ne dépend pas de lui-même. Or, la bonne volonté étatique n’existe pas toujours » [4]. En d’autres termes, « la protection de la souveraineté peut ainsi constituer un affront à la finalité initiale de lutte contre l’impunité » [5] compte tenu de « la volonté de protéger les souverainetés étatiques » [6].
I. De la contribution des juridictions pénales internationales à la promotion du droit et de la justice
La contribution des juridictions pénales internationales à la promotion du droit et de la justice repose, d’une part, sur l’important rôle des juridictions pénales internationales dans l’instauration d’une communauté internationale basée sur le droit et, d’autre part, sur la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes internationaux.
De l'importance du rôle des juridictions pénales internationales dans l’instauration d’une communauté internationale basée sur le droit
C’est sans équivoque que, lorsqu’on parle de juridictions pénales internationales, il y a lieu de distinguer entre celles ayant une vocation universelle et permanente, celles qualifiées d’hybrides, et celles portant le qualificatif de juridictions pénales internationales ad hoc. Chacune de ces juridictions a été créée soit à la suite d’un accord obtenu entre les États qui en sont les promoteurs et l’Organisation des Nations Unies, soit à l’initiative seule de cette Organisation. Pour ce qui est de la Cour pénale internationale, par exemple, l’article 2 de son Statut rappelle qu’elle « est liée aux Nations Unies par un accord qui doit être approuvé par l’Assemblée des États Parties au présent Statut, puis conclu par le Président de la Cour au nom de celle-ci ». On pourra tout de même mentionner le cas du Tribunal international pénal pour le Rwanda, dont la création est intervenue à la suite d’une demande adressée par le gouvernement rwandais au Conseil de sécurité des Nations Unies [7].
De par leur contribution à l’existence de ces juridictions, les Nations Unies semblent avoir trouvé un soutien à leur « foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites » (paragraphe 2 du préambule de la Charte des Nations Unies), toute chose qui leur permettrait de « créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international » (paragraphe 3 du préambule de la Charte des Nations Unies). Dès lors, l’existence des juridictions pénales internationales n’est pas loin de constituer une aubaine pour les Nations Unies pour parvenir à la réalisation de l’idée selon laquelle « tous les États doivent s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies » (paragraphe 7 du Statut de Rome).
Dans une telle perspective, comme l'indiquent Henri D. Bosly et Damien Vandermeersch [8], ces juridictions semblent prendre le pas sur les juridictions nationales en termes d’atouts. D’abord, par le fait qu’elles émanent de la communauté internationale, les juridictions pénales internationales transcendent les intérêts des États en rendant la justice au nom de cette communauté internationale, d’où leur légitimité. Ensuite, partant de leur supranationalité et de leur composition représentative de la communauté internationale, ces juridictions offrent, à bien des égards, des garanties d’indépendance et d’impartialité. Par ailleurs, les immunités relatives à la qualité officielle de l’auteur du crime (gouvernant) ne sont pas opposables aux juridictions pénales internationales. Enfin, ces juridictions apportent une contribution massive à la création et à l’interprétation uniforme du droit international. Dans une telle logique, on aurait tort de ne pas croire que les juridictions pénales internationales participent à l’instauration d’une communauté internationale basée sur le droit.
Peut-on en dire autant de la participation de ces juridictions à la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes internationaux?
De la participation des juridictions pénales internationales à la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes internationaux
Reprenant à notre compte le point de vue du professeur Marco Sassòli, le droit international humanitaire est la branche du droit international qui légifère sur l’usage de la violence dans les conflits armés pour le limiter afin, d’une part, de protéger celles et ceux qui ne participent pas ou plus aux combats et, d'autre part, d’encadrer le conflit dans le seul but d’atteindre son objectif qui n'est rien d’autre que d’affaiblir la puissance militaire de l’ennemie [8]. Éric David renchérit en disant que « si la guerre est le mal absolu, le droit international humanitaire permet (ou devrait permettre) d’en atténuer les horreurs » [9]. La question se pose ainsi de savoir comment est-ce que les règles relatives au droit international humanitaire pourraient, par elles-mêmes, limiter ou atténuer l'impact des conflits armés en l’absence de toute juridiction internationale qui se chargerait de la poursuite et de la répression des auteurs des crimes internationaux.
A cet égard, c’est sans équivoque que les juridictions pénales internationales sont le reflet de la punition de ceux qui s’aventurent dans la commission des crimes internationaux. La Cour pénale internationale fixe précisément sa compétence en la matière via l’article 5 de son Statut. Relativement à cette Cour, Sean D. Murphy rappelle, à juste titre, que « under the influence of the Rome Statute, in recent years several States have adopted or amended national laws that criminalize crimes against humanity, as well as other crimes » [10]. Avant la Cour pénale internationale, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, à l’article 1, paragraphe 2, de son Statut, indiquait : « Il est créé un Tribunal spécial pour la Sierra Leone chargé de poursuivre les personnes qui portent la responsabilité la plus lourde des violations graves du droit international humanitaire et du droit sierra-léonais commis sur le territoire de la Sierra Leone depuis le 30 novembre 1996 ». Des dispositions analogues se retrouvent dans les autres statuts. C’est sur la base de telles dispositions que, à titre d'exemple, dans le cadre de l’affaire Le Procureur c. Drazen Erdemovic, la Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie est parvenue à la condamnation du sieur Drazen Erdemovic à une peine de dix ans d’emprisonnement pour son rôle dans la commission de crimes contre l’humanité lors du conflit en Yougoslavie [11].
Toutefois, il n’en demeure pas moins l’existence de limites qui entravent, à bien des égards, l’exercice par ces juridictions de leur mission.
II. De la dépendance du fonctionnement des juridictions pénales internationales de la bonne volonté des États
Dans la mesure où, les juridictions pénales internationales ne sauraient posséder de territoire et de police pour pouvoir mener d’elles-mêmes leurs enquêtes, il va sans dire qu’elles nécessitent la coopération des États pour exercer leur compétence (article 86 du Statut de Rome). Comprenons ainsi, avec Marc Henzelin, que « si quelques tribunaux ont bien été mis sur pied récemment pour juger quelques individus dans des circonstances très spécifiques, seuls les États ont toujours actuellement le pouvoir général d’arrêter les prévenus et de juger et punir les coupables » [12]. Ceci tient, en réalité, de l’expression du principe de la souveraineté. C’est à ce niveau qu’il est aisé de comprendre les répercussions de ce principe sur l’évolution du droit international pénal, en général, et sur le fonctionnement des juridictions pénales internationales, en particulier.
Ainsi, est-il courant de déplorer que les présumés coupables de crimes internationaux, souvent livrés par les gouvernants aux juridictions pénales internationales, ne sont que ceux qui s’opposent à leur exercice du pouvoir étatique. L'exemple sympomathique nous est donné par le conflit armé interne qui survint en Côte d’Ivoire à la faveur des élections de 2010 et dans le cadre duquel Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé étaient les seuls à avoir été transférés à la Cour pénale internationale, à l’exception des partisans de l’actuel chef d’État ivoirien, Alassane Ouattara.
Par ailleurs, l’expérience permet parfois de dénoter la mise en place d’une certaine politique pénale se voulant réaliste, au risque d'une instrumentalisation par certains acteurs internationaux. Dans une interview réalisée en juillet 2011, en plein milieu de la crise en Libye, Saïf Al-Islam Kadhafi, l’un des fils du guide libyen Mouammar Kadhafi, qui fît d’ailleurs l’objet d’un mandat d’arrêt international pour crimes contre l’humanité émis par la Cour pénale internationale, dénonça ce travers en ces termes : « Il y a deux mois, on nous appelait de plusieurs pays, en nous disant : "Si vous partez en exil, on fera cesser les poursuites. On réglera ça". Ça signifie que ce n’est pas un véritable tribunal. C’est un outil pour nous mettre sous pression » [13].
Dans une autre optique, soulignons la résistance de certains États comme les États-Unis, principalement à l’égard de cette juridiction pénale internationale permanente qu’est la Cour pénale internationale. Au départ, ils avaient conditionné leur adhésion au Statut de cette Cour à la prise en compte de leurs intérêts particuliers. Toutefois, « n’étant pas parvenus à imposer les dispositions qui conditionnaient leur participation à cette Cour au sein du Statut créant la Cour pénale internationale, ils sont revenus sur leur engagement » [14]. À ce sujet, John R. Bolton qui fut sous-secrétaire américain pour le contrôle des armes et la sécurité internationale faisait cette remarque : « Pour un certain nombre de raisons, les États-Unis ont considéré que la Cour pénale internationale avait des conséquences inacceptables pour leur souveraineté nationale. En particulier, la Cour pénale internationale est une organisation dont les dispositions sont contraires aux notions américaines de souveraineté, de « shecks and balances » et d’indépendance nationale. Elle est dangereuse pour les intérêts des États-Unis » [15].
Dans une autre optique, soulignons la résistance de certains États comme les États-Unis, principalement à l’égard de cette juridiction pénale internationale permanente qu’est la Cour pénale internationale. Au départ, ils avaient conditionné leur adhésion au Statut de cette Cour à la prise en compte de leurs intérêts particuliers. Toutefois, « n’étant pas parvenus à imposer les dispositions qui conditionnaient leur participation à cette Cour au sein du Statut créant la Cour pénale internationale, ils sont revenus sur leur engagement » [14]. À ce sujet, John R. Bolton qui fut sous-secrétaire américain pour le contrôle des armes et la sécurité internationale faisait cette remarque : « Pour un certain nombre de raisons, les États-Unis ont considéré que la Cour pénale internationale avait des conséquences inacceptables pour leur souveraineté nationale. En particulier, la Cour pénale internationale est une organisation dont les dispositions sont contraires aux notions américaines de souveraineté, de « shecks and balances » et d’indépendance nationale. Elle est dangereuse pour les intérêts des États-Unis » [15].
D’une manière générale, c’est pour faire droit à leur souveraineté nationale que des pays choisissent parfois de s’exclure de la sphère de compétence des juridictions pénales internationales, comme il en est à l’égard de la Cour pénale internationale non seulement des États-Unis, mais aussi de la Chine, de la Russie, de l'Inde ou de l’Indonésie [16]. Aussi est-il aisé de comprendre l’idée selon laquelle « la souveraineté est considérée comme l’obstacle majeur à l’effectivité du droit international pénal » [17]. En cela, on aurait tort de ne pas croire à l’affirmation selon laquelle la mission des juridictions pénales internationales est loin d’aller au-delà du simple fait de pallier d’éventuelles carences des systèmes judiciaires nationaux lorsqu’ils sont confrontés à des situations « extrêmes » [18].
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[1] Jean Salmon (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 628.
[2] Henri D. Bosly, Damien Vandermeersch, Génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre face à la justice : les juridictions internationales et les tribunaux nationaux, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 17.
[3] Le Procureur c/ Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, jugement du 10 décembre 1998, § 288.
[4] Ibid.
[5] Robert Kolb, Droit international pénal : précis, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 261.
[6] Alain-Guy Tachou Sipowo, La Cour pénale internationale entre protection des secrets et impératif d'effectivité, Paris, Pedone, 2016, p. 3.
[7] Marie-Luce Pavia, « La place de la victime devant les tribunaux pénaux internationaux », Archives de politique criminelle, n° 24, 2002, p. 63.
[8] Conseil de sécurité, Résolution 955 (1994) du 8 novembre 1994, § 1.
[9] Marco Sassòli, Antoine A. Bouvier, Anne Quintin, Un droit dans la guerre ?, volume I, Genève, CICR, 2e éd., 2012, p. 12.
[10] Éric David, « Le bien est l’ennemi du mal », in Paul Tavernier, Laurence Burgorgue-Larsen(dir.), Un siècle de droit international humanitaire, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 271.
[11] Sean D. Murphy, « The International Law Commission’s Proposal for a Convention on the Prevention and Punishment of Crimes against Humanity », Case Western Reserve University School of Law, vol. 50, 2018, p. 256.
[12] Le Procureur c. Drazen Erdemovic, affaire n° IT-96-22, jugement du 29 novembre 1996, §§ 2 et 111.
[2] Henri D. Bosly, Damien Vandermeersch, Génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre face à la justice : les juridictions internationales et les tribunaux nationaux, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 17.
[3] Le Procureur c/ Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, jugement du 10 décembre 1998, § 288.
[4] Ibid.
[5] Robert Kolb, Droit international pénal : précis, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 261.
[6] Alain-Guy Tachou Sipowo, La Cour pénale internationale entre protection des secrets et impératif d'effectivité, Paris, Pedone, 2016, p. 3.
[7] Marie-Luce Pavia, « La place de la victime devant les tribunaux pénaux internationaux », Archives de politique criminelle, n° 24, 2002, p. 63.
[8] Conseil de sécurité, Résolution 955 (1994) du 8 novembre 1994, § 1.
[9] Marco Sassòli, Antoine A. Bouvier, Anne Quintin, Un droit dans la guerre ?, volume I, Genève, CICR, 2e éd., 2012, p. 12.
[10] Éric David, « Le bien est l’ennemi du mal », in Paul Tavernier, Laurence Burgorgue-Larsen(dir.), Un siècle de droit international humanitaire, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 271.
[11] Sean D. Murphy, « The International Law Commission’s Proposal for a Convention on the Prevention and Punishment of Crimes against Humanity », Case Western Reserve University School of Law, vol. 50, 2018, p. 256.
[12] Le Procureur c. Drazen Erdemovic, affaire n° IT-96-22, jugement du 29 novembre 1996, §§ 2 et 111.
[13] Marc Henzelin, Le principe de l'universalité en droit pénal international : droit et obligation pour les États de poursuivre et juger selon le principe de l'universalité, Bruxelles, Bruylant, 2000, p.124.
[14] Cité par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer dans Pas de paix sans justice ? Le dilemme de la paix et de la justice en sortie de conflit armé, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, pp. 99-100.
[15] Clémence Bouquemont, La Cour pénale internationale et les États-Unis, Paris, L'Harmattan, 2003, p. 16.
[16] « Le Statut de Rome a 20 ans (1998-2018) : 10 enjeux pour une Cour pénale internationale effective et indépendante », Paris, FIDH, 2018, p 5.
[17] Alain-Guy Tachou Sipowo, op. cit., p. 13.
[18] Julian Fernandez, Xavier Pacreau (dir.), Statut de Rome de la Cour pénale internationale : commentaire article par article, vol. I, Paris, Pedone, 2012, p. 311.
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