14 novembre 2019

ACTU : Lorsque les actions de la CIJ et de la CPI convergent dans la lutte contre l’impunité : le cas des crimes contre les Rohingya au Myanmar

Catherine MAIA

À quelques jours d’intervalle seulement, les crimes qui auraient été commis en Birmanie à l’encontre de la minorité musulmane rohingya se retrouvent au cœur de l’actualité de la justice internationale, d’une part, avec une saisine de la Cour internationale de Justice (CIJ) sollicitée pour juger l'État du Myanmar, d’autre part, avec l’ouverture d’une enquête par la Cour pénale internationale (CPI) visant à établir les responsabilités individuelles.

Le 11 novembre 2019, la Gambie a saisi la CIJ contre le Myanmar, en raison de violations alléguées de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, ratifiée par les deux États, selon laquelle « Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu'il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu'elles s'engagent à prévenir et à punir » (article 1).

Soutenue par les 57 États membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), c’est par une démarche inédite que ce petit pays d’Afrique récemment sorti de décennies d'une dictature violente, dénonce des actes qui auraient été commis sur un autre continent, l’Asie, par le biais d’actes adoptés, accomplis ou tolérés par le gouvernement du Myanmar à l’encontre de membres du groupe des Rohingya. Pour la Gambie, ces actes - qui incluent des meurtres, des atteintes graves à l’intégrité physique et mentale, des mesures visant à prévenir les naissances ou encore des transferts forcés - sont de nature génocidaire, car visant spécifiquement la minorité musulmane rohingya dans le but de la détruire en tout ou partie. Dès septembre 2018, elle a demandé que soit mis un terme à ces agissements au gouvernement du Myanmar, lequel a contesté avoir perpétré des actes illicites. 

Dans sa requête introductive d’instance, la Gambie fonde la compétence de la CIJ à l’égard de ce litige sur l’article 36 §1 du Statut de la Cour, ainsi que sur l’article IX de la Convention sur le génocide, selon lequel « Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l'interprétation, l'application ou l'exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d'un État en matière de génocide (…), seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d'une partie au différend »

La Gambie affirme notamment qu’« aux alentours du mois d’octobre 2016 (…) l’armée du Myanmar (connue sous le nom de ‘Tatmadaw’) et d’autres forces de sécurité du pays ont commencé à mener contre [l]e groupe [des Rohingya] des ‘opérations de nettoyage’ – expression que le Myanmar lui-même utilise – généralisées et systématiques. Les actes de génocide commis lors de ces opérations visaient à détruire les Rohingya en tant que groupe, en tout ou en partie, par des meurtres de masse, des viols et d’autres formes de violence sexuelle, ainsi que par la destruction systématique de leurs villages par le feu, qui se produisait souvent alors que les habitants étaient enfermés dans leurs maisons. Depuis août 2017, avec la reprise par le Myanmar de ses 'opérations de nettoyage', ces actes de génocide se poursuivent de manière plus massive et à plus grande échelle sur le plan géographique ».

La Gambie affirme également que « les actes de génocide commis lors de ces opérations visaient à détruire les Rohingya en tant que groupe, en tout ou en partie, par des meurtres de masse, des viols et d’autres formes de violence sexuelle, ainsi que par la destruction systématique de leurs villages par le feu, qui se produisait souvent alors que les habitants étaient enfermés dans leurs maisons », et que, « depuis août 2017, avec la reprise par le Myanmar de ses 'opérations de nettoyage', ces actes de génocide se poursuivent de manière plus massive et à plus grande échelle sur le plan géographique ».

Au regard de la gravité des faits allégués, la Gambie prie la CIJ de dire et juger que le Myanmar a manqué et continue de manquer aux obligations qui lui incombent au regard de la Convention sur le génocide et doit immédiatement mettre fin à tout fait internationalement illicite continu et se conformer pleinement aux obligations qui lui incombent au regard de la Convention. La Gambie prie aussi la CIJ de dire et juger que le Myanmar doit s’assurer que les personnes ayant commis le génocide soient punies par une instance judiciaire compétente, notamment une juridiction pénale internationale, qu’il doit satisfaire à ses obligations de réparation au profit des victimes et qu’il doit offrir des assurances et des garanties de non-répétition de nouvelles violations de la Convention sur le génocide.

Par ailleurs, la requête de la Gambie s’accompagne d’une demande en indication de mesures conservatoires visant à protéger les droits du groupe des Rohingya et ceux de la Gambie au titre de la Convention sur le génocide, ainsi qu’à éviter que le différend ne s’aggrave ou ne s’étende dans l'attente du prononcé de l’arrêt définitif en cette affaire. Rappelons que dans sa première affaire en lien avec la Convention sur le génocide, la CIJ avait accepté de prononcer des mesures provisoires contre la Serbie en 1993 et avait finalement conclu que la Serbie avait enfreint son obligation de prévenir et de sanctionner le génocide en Bosnie-Herzégovine.

Dans le cas d'espèce, dès 2017, le drame des Rohingya a été largement documenté par l’ONU et des organisations non gouvernementales. En septembre 2019, la Mission internationale indépendante d’établissement des faits au Myanmar, créée en 2017 par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, avait notamment conclu que « le Myanmar ne respecte pas son obligation de prévenir le génocide, d’enquêter sur de tels crimes et de mettre en place une législation efficace qui pénalise et sanctionne le génocide ».

À cet égard, le Bureau du Procureur de la CPI a reçu de nombreuses communications et rapports concernant la commission de ces crimes, ce qui a conduit la Procureure, le 18 septembre 2018, à ouvrir un examen préliminaire à propos de la déportation supposée du peuple rohingya du Myanmar vers le Bangladesh.

Franchissant une nouvelle étape, le 14 novembre 2019, la Chambre préliminaire III de la CPI a autorisé la Procureure à procéder à une enquête sur les crimes relevant de la compétence de la CPI qui auraient été commis en République populaire du Bangladesh/République de l'Union du Myanmar, la « situation au Bangladesh/Myanmar » devenant ainsi la 12è situation sous enquête et la première en Asie.

Dans sa décision, la Chambre a confirmé que la CPI peut exercer sa compétence ratione loci concernant des crimes dès lors qu’une partie des comportements criminels serait perpétrée sur le territoire d'un État partie. Dans le cas d’espèce, bien que le Myanmar ne soit pas un État partie, le Bangladesh a, quant à lui, ratifié le Statut de Rome de la CPI en 2010.

Par ailleurs, après avoir examiné les informations disponibles, la Chambre a également confirmé sa compétence ratione materiae, dès lors qu'il existe une « base raisonnable » de croire que des actes de violence généralisés et/ou systématiques pourraient être qualifiés de crimes contre l'humanité, de déportation à la frontière entre le Myanmar et le Bangladesh et de persécution pour des motifs d'ordre ethnique et/ou religieux contre la population rohingya.

Enfin, au regard de l'ampleur des crimes allégués et du nombre de victimes présumées, la Chambre a estimé que la situation atteignait nettement le seuil de gravité nécessaire pour l'ouverture d'une enquête de la Cour (article 17-1§d du Statut de Rome). En effet, d’après les documents à sa disposition, ce sont entre 600 000 et un million de Rohingya qui auraient été déplacés de force du Myanmar vers le Bangladesh voisin, à la suite d'actes de coercition allégués.

En conséquence, la Chambre préliminaire III autorise l'ouverture d'une l'enquête pour tout crime, y compris les crimes futurs, répondant aux conditions suivantes : a) il relève de la compétence de la CPI ; b) il serait commis au moins en partie sur le territoire du Bangladesh ou le territoire de tout autre État partie ou État acceptant la compétence de la CPI ; c) il est suffisamment lié à cette situation ; et d) il aurait été commis après la date de l'entrée en vigueur du Statut de Rome pour le Bangladesh ou un autre État partie concerné.

Il reste à espérer que ces poursuites judiciaires parallèles qui s’ouvrent à La Haye soient, enfin, le préalable à une amélioration du sort des Rohingya sur le terrain.

1 commentaire :

  1. A ceux qui ont crié au déclin de la justice internationale - et en particulier de la justice internationale pénale - voilà qu'elle nous offre une marque de vitalité porteuse d'espoir.

    RépondreSupprimer