Article épinglé

INFOS

Multipol est un réseau international et interdisciplinaire de chercheurs et d’experts en droit international et relations internationales , ...

13 décembre 2025

ACTU : Amnistie et contrôle de conventionalité : le cas des événements du 8 janvier 2023 au Brésil

Marina SOARES DA FONSÊCA, Thiago OLIVEIRA MOREIRA

Le 8 janvier 2023, des groupes radicaux ont envahi et saccagé les principaux sièges des pouvoirs de la République fédérative du Brésil – le Congrès national, le Palais du Planalto (siège de l’Exécutif) et la Cour suprême fédérale (Supremo Tribunal Federal - STF) – à Brasília. Intervenues une semaine après l’investiture du président Luiz Inácio Lula da Silva, ces attaques visaient explicitement à contester le résultat des élections et à déstabiliser l’ordre constitutionnel. Les faits ont donné lieu à des centaines d’enquêtes et de poursuites pénales, visant tant les exécutants que les instigateurs et financeurs.

Dans ce contexte, le débat sur l’éventualité d’une amnistie en faveur des personnes impliquées dans ces actes exige davantage que de simples évaluations politiques : il requiert rigueur juridique et fidélité aux engagements internationaux assumés par le Brésil. À la lumière de la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, une telle amnistie ne serait pas seulement inopportune : elle serait juridiquement inconventionnelle.

Amnisties et contrôle de conventionalité dans le droit brésilien

Au cours des dernières années, la justice fédérale brésilienne a réaffirmé avec constance la nécessité d’exercer un contrôle de conventionalité sur la Loi n° 6.683/1979, dite loi d’amnistie – adoptée en 1979 pour clore la période dictatoriale et accorder une amnistie pénale au sortir du régime militaire – en écartant ses effets dans les affaires portant sur des crimes contre l’humanité, conformément à la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

À titre d’illustration, la 5e Chambre du Tribunal régional fédéral de la 3e région (TRF-3) a accueilli un recours du Ministère public fédéral (Ministério Público Federal - MPF), ordonnant la réception d’une accusation pénale dirigée contre deux médecins-légistes pour fausse déclaration et dissimulation de cadavre, en lien avec des décès survenus durant la dictature militaire.

Dans cette décision, le juge rapporteur a rappelé que le Brésil est soumis à la compétence contentieuse de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, dont les arrêts doivent être respectés tant dans leurs effets directs que dans l’interprétation du droit interne. Cette orientation a été institutionnellement renforcée par la création, au sein du Conseil national de justice (Conselho Nacional de Justiça - CNJ), des Unités de suivi et de contrôle de l’exécution des décisions de la Cour interaméricaine (UMFs), par la Recommandation CNJ n° 123/2022, ainsi que par le Pacte national du pouvoir judiciaire pour les droits de l’homme.

La Cour interaméricaine des droits de l’homme a été catégorique dans des affaires emblématiques, telles que Gomes Lund et autres (Guerrilha do Araguaia) c. Brésil et Herzog et autres c. Brésil : les États ne peuvent recourir à des mesures législatives, y compris des amnisties, pour empêcher l’enquête, la poursuite et la sanction des graves violations des droits de l’homme. Cette interprétation ne se limite pas aux contextes dictatoriaux. Dans l’affaire Márcia Barbosa de Souza c. Brésil, la Cour a, en effet, affirmé que tout obstacle politique ou législatif entravant la responsabilisation de fonctionnaires publics constitue une violation directe de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.

Il convient également de souligner que le Brésil a été condamné en décembre 2025 par la Cour interaméricaine dans l’affaire Leite, Peres Crispim et autres c. Brésil pour manquement à son obligation d’enquêter. Dans cet arrêt, la Cour a précisé que les dispositions de la loi d’amnistie brésilienne ne sauraient constituer un obstacle à l’enquête sur les faits, ni à l’identification et à la sanction des responsables. Elle a, en outre, rappelé que ces dispositions ne peuvent produire des effets identiques ou analogues dans d’autres affaires de violations graves des droits de l’homme garanties par la Convention américaine.

Les actes du 8 janvier et l’interdiction interaméricaine de l’impunité

Les attaques du 8 janvier 2023 s’inscrivent dans un type de violations que le système interaméricain des droits de l’homme appréhende comme particulièrement graves, en raison de l’atteinte portée à l’ordre démocratique, à la séparation des pouvoirs, à l’intégrité des institutions représentatives et au fonctionnement de l’État de droit. Dans ce cadre, l’argument selon lequel le Congrès national pourrait adopter une amnistie en l’absence d’une interdiction constitutionnelle expresse apparaît désormais dépassé.

La Cour interaméricaine reconnaît que les Parlements nationaux exercent eux aussi un contrôle de conventionalité, y compris à titre préventif, et doivent conformer leurs actes aux obligations internationales de l’État. Ce qu’elle rejette de manière constante, en revanche, c’est l’utilisation de prérogatives législatives pour instaurer une impunité institutionnalisée face à des attaques contre la démocratie ou à de graves violations des droits de l’homme.

Une éventuelle amnistie des actes du 8 janvier reproduirait ainsi, en plein XXIe siècle, une logique d’impunité structurelle déjà condamnée dans le contexte de la dictature militaire – non par identité des faits, mais par similitude des mécanismes juridiques d’effacement de la responsabilité. Une telle initiative exposerait le Brésil à une nouvelle responsabilisation internationale et compromettrait la crédibilité du Ministère public, du pouvoir judiciaire et des mécanismes internes mis en place pour l’exécution des décisions internationales.

En ce sens, le précédent établi dans l’Action directe d’inconstitutionnalité (ADI) n° 7.330, relative à la grâce de Noël accordée par décret présidentiel à des personnes condamnées pour le massacre du Carandiru à São Paulo en 1992, permet d’éclairer le débat. Il montre qu’une mesure étatique qui réduit fortement les peines applicables à des faits graves peut produire un effet d’impunité. Or, le texte approuvé en décembre 2025 par la Chambre des députés, qui modifie les règles de fixation des peines, conduit à une atténuation substantielle des sanctions applicables aux personnes impliquées dans les actes du 8 janvier et est, à ce titre, susceptible de produire un effet similaire.

Rosa Weber, en sa qualité de présidente du Tribunal fédéral suprême, a ainsi reconnu, dans une décision liminaire rendue en janvier 2023, que le fait de favoriser les auteurs de graves violations des droits de l’homme porte atteinte à la dignité humaine, méconnaît les recommandations de la Commission interaméricaine des droits de l’homme et neutralise le devoir étatique d’enquêter, de poursuivre et de sanctionner.

Ce même raisonnement s’applique aux initiatives législatives visant à atténuer la réponse pénale face à des actes dirigés contre l’ordre démocratique. En recréant un mécanisme d’impunité incompatible avec la Convention américaine relative aux droits de l’homme, elles s’analysent, en substance, comme des formes d’amnistie indirecte, déjà rejetées tant par le Tribunal fédéral suprême que par la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

La même logique s’applique aux projets de loi actuellement en discussion au Congrès national, notamment le PL n° 5.064/2023, au Sénat fédéral, et le PL n° 1.815/2025, à la Chambre des députés, qui visent à amnistier les personnes impliquées dans les actes du 8 janvier. En réduisant ou en neutralisant la réponse pénale à des conduites dirigées contre l’ordre démocratique, ces initiatives recréent un mécanisme d’impunité incompatible avec la Convention américaine relative aux droits de l’homme.

La démocratie ne se défend pas par l’oubli, mais par la responsabilisation. En reconnaissant la compétence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, le Brésil s’est engagé à respecter une jurisprudence qui condamne, sans ambiguïté, toute amnistie empêchant l’État de répondre efficacement aux attaques contre l’ordre démocratique. À ce titre, les initiatives législatives visant à amnistier les actes du 8 janvier 2023 sont inconventionnelles et contraires aux obligations internationales de l’État brésilien.





Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire