Depuis plusieurs mois, la rumeur courait au sujet d’un accord de coopération nucléaire entre les deux pays. Les premiers échos sont apparus dans la presse étrangère en juin 2007 : une déclaration du directeur de Thales-Brésil, Laurent Mourre, proposait à «une équipe du Brésil d’accompagner la construction de la nouvelle classe du sous-marin nucléaire français Barracuda. Le Brésil gagnerait ainsi des années d’avance en connaissances, quand il se décidera à faire un sous-marin nucléaire» ! Un appel qui se traduisit rapidement et secrètement par la signature d’une lettre d’intention qui prévoit «la transmission progressive des technologies destinées à la construction d’un sous-marin nucléaire». Le ministère français de la Défense démentit cet accord. Pourtant, tout semble bien vrai au regard des derniers événements : visite d’un SNA par le ministre brésilien de la Défense, Nelson Jobim, à Toulon le 26 janvier, puis double rencontre avec son homologue français, Hervé Morin, et Nicolas Sarkozy, le 29 janvier. Enfin, la déclaration de Nelson Jobim dans le quotidien brésilien OGlobo est très claire : le Brésil veut «dessiner une alliance stratégique avec la France pour la construction de sous-marins nucléaires d’attaque».
Cette coopération sera certainement annoncée aujourd’hui lors de la rencontre des présidents Sarkozy et Lula en Guyane française. La France va participer à la construction des futurs SNA brésiliens en transférant une technologie et un savoir-faire ultrasensible. Cela concerne principalement du matériel informatique conçu par Thales et des procédés techniques fondamentaux comme l’acier soudable à haute limite d’élasticité, indispensable pour un SNA. Cet acier est quatre fois plus résistant qu’un acier ordinaire et assure une «glisse» et une absence de frottement de l’eau. Cette coopération ne semble pas inclure de technologie relative au système de propulsion nucléaire. Le fonctionnement des chaufferies nucléaires nécessite en effet de l’uranium hautement enrichi dit de qualité militaire. Ainsi, qui possède un système de propulsion nucléaire possède la matière fissile pour se constituer un arsenal nucléaire. Aligner une flotte de SNA augmente les capacités militaires d’un pays. Discret, le SNA est autonome (hormis sur le plan des vivres) et en plongée permanente, à la différence des autres sous-marins classiques. Ses capacités d’actions sont impressionnantes (destruction de navires, frappes contre terre, transport de commandos, renseignements). A lui seul, il peut déterminer le sort d’un conflit (Malouines, Kosovo).
Jusqu’à maintenant, un pacte tacite entre les puissances nucléaires (Etats-Unis, Russie, France, Royaume-Uni, Chine) avait consenti à ne pas diffuser ce savoir-faire. La location d’un SNA par la Russie à l’Inde (en 2010) et désormais l’alliance stratégique, proposée par le Brésil et acceptée par la France, ouvre une première porte dans le marché export des SNA. D’ici quelque temps, l’offre et la demande pourraient bien se rencontrer, malgré le risque d’une dérive de la technologie de la propulsion nucléaire vers un programme d’arme nucléaire. Si le Traité de non-prolifération nucléaire n’interdit pas ce transfert, cette brèche pourrait avoir des conséquences dans la lutte contre la prolifération. Cela créerait une nouvelle caste au sein de ses membres : des puissances, comme le Brésil, seraient à l’extrême limite de la production de la bombe tout en produisant et en utilisant son composant principal, l’uranium enrichi ! De même, il est à craindre des dommages irréversibles pour l’environnement marin avec l’essor de marines nucléaires qui engendreraient une multiplication des accidents. Ils se comptent déjà par dizaines chaque année allant de la simple collision, à des fuites radioactives, voire à des drames comme celui du Koursk, en 2000.
D’anciennes velléités risquent de se réveiller et toute commande d’un SNA sera suivi d’une course aux armements dans cette même région De nombreuses nations (Inde, Corée du Sud, Argentine) souhaitent rentrer dans le club des marines atomiques. D’autres comme le Canada ou Taiwan s’interrogent. La menace d’une prolifération d’un nouveau genre semble s’amorcer, à moins que les grandes puissances nucléaires ne ratifient un traité d’interdiction de transfert de toutes technologies, nucléaires ou non, vers toutes les plateformes nucléaires.
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(1) Nouveau nom de la Direction des constructions navales après son rapprochement avec Thales.
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  • Article également publié dans Libération (12 février 2008).