La situation demeure confuse au lendemain du départ précipité du président Ben Ali. À Tunis et en banlieue de la capitale, les habitants s'organisent en comités de défense, en réaction aux pillages perpétrés la nuit dernière.
D'après des témoins, les actes répréhensibles seraient notamment le fait de policiers et de partisans du régime.
Selon Reuters, à Ariana, en banlieue, la foule a encerclé quatre hommes qui tiraient des coups de feu par les fenêtres d'une jeep. Ils ont été désarmés et livrés à la police.
L'armée a déployé des chars et des blindés dans les endroits sensibles à Tunis et ses environs pour éviter de nouveaux actes de violence.
Un manque de vivres se fait aussi ressentir dans la capitale, causé notamment par le pillage et les restrictions à la circulation dues à l'état d'urgence. La plupart des boulangeries, magasins d'alimentation et pompes à essence sont fermés.
Dans l'est du pays, plus de 40 détenus ont été tués dans un incendie à la prison de Monastir. Les causes du sinistres ne sont pas connues, mais plusieurs autres établissements pénitenciers ont connu des tentatives de mutinerie.
Les acteurs politiques à la recherche d'une nouvelle voie
Zine el-Abidine Ben Ali a été définitivement écarté du pouvoir samedi en Tunisie, lorsque le Conseil constitutionnel a nommé président par intérim le président du Parlement tunisien, Foued Mebazaa.
Vendredi, le premier ministre Mohammed Ghannouchi avait annoncé qu'il prendrait l'intérim après le départ précipité de Ben Ali, chassé de la présidence sous la pression populaire.
M. Ghannouchi avait décidé de prendre le pouvoir en vertu de l'article 56 de la Constitution tunisienne, ce qui gardait cependant la porte ouverte à un éventuel retour de M. Ben Ali. Cette décision avait été contestée par plusieurs juristes, des membres de l'opposition, et des manifestants dans la rue.
La nomination de Foued Mebazaa a finalement été faite à la demande du premier ministre, en vertu de l'article 57.
M. Mebazaa a promis que « tous les Tunisiens, sans exception », seraient associés au processus politique en vue de consacrer le pluralisme et la démocratie.
Samedi, de nombreux représentants des partis d'opposition et de la société civile ont défilé au Palais du gouvernement pour des discussions portant sur d'éventuelles réformes démocratiques.
Le Conseil a aussi annoncé qu'une élection présidentielle devait être organisée dans les 60 jours.
A Londres où il vit en exil, le chef du parti islamiste tunisien Ennhadha, Rached Ghannouchi, a déclaré préparer son retour au pays et être favorable à la formation d'un gouvernement d'union nationale.
Le président déchu Ben Ali s'est réfugié avec sa famille en Arabie Saoudite. Il a quitté la Tunisie après 23 ans d'un règne sans partage.
Un mouvement contagieux ?
« L'écho de cet événement sans précédent dans le monde arabe se fera entendre sans aucun doute dans plus d'un pays de la région » prédit au Liban le journal An-Nahar. Et la prophétie trouve échos auprès d'experts. Selon Amr Hamzawi, du centre pour le Proche-Orient de la fondation américaine Carnegie « les ingrédients que l'on trouve en Tunisie (chômage, répression policière et entraves à la démocratie) sont aussi présents ailleurs », du Maroc à l'Algérie, de l'Égypte à la Jordanie, explique-t-il.
D'ailleurs au Caire, des dizaines d'Égyptiens se sont joints à un groupe de Tunisiens qui célébraient devant leur ambassade le départ de Ben Ali.
Les autorités égyptiennes ont laissé savoir samedi qu'elles suivaient la situation en Tunisie et disent respecter le choix du peuple tunisien.
En Jordanie, une cinquantaine de syndicalistes jordaniens ont organisé une manifestation devant l'ambassade de Tunisie à Amman, pour appeler à la propagation de « la révolution tunisienne » samedi. La veille, des centaines de Jordaniens sont descendus dans les rues de plusieurs villes vendredi pour manifester contre le coût de la vie et les politiques de leur gouvernement.
L'Algérie, État voisin de la Tunisie, a connu des émeutes meurtrières en janvier, provoquées par la colère de la population confrontée à une hausse des prix de produits alimentaires de base.
Certains experts mettent toutefois en garde contre un optimisme prématuré, avançant que des incertitudes pèsent encore sur la transition tunisienne.
Sources : Radio-Canada.ca avec Agence France Presse et Reuters
Commentaires
Cependant, l’article 41 de la Constitution tunisienne spécifie que le président de la République bénéficie d'une immunité judiciaire durant et après son mandat. Aujourd’hui, Ben Ali n’aurait donc pas à répondre des actes et faits commis durant les 23 années de son régime. Le gouvernement et le ministère de la Justice tunisiens auront à prévoir une procédure spéciale afin que le mandat émis ne soit pas entaché de vice de forme.
Le président Ben Ali a fui le 14 janvier la Tunisie, sous la pression d'une révolte populaire sans précédent qui a mis à terre le régime. Il a trouvé refuge en Arabie Saoudite. Son épouse Leïla, honnie par la population pour avoir mis le pays en coupe réglée, a également quitté le pays, à une date et pour une destination inconnues.
Benhassen Trabelsi, le frère de Leïla lui aussi en fuite, est également visé par cette enquête ainsi que huit autres membres de la famille Trabelsi détenus en Tunisie.
Le général Ali Sériati visé par une autre enquête
Le ministre de la Justice a par ailleurs indiqué que six membres de la garde présidentielle, dont l'ancien chef de la sécurité du président de Ben Ali, le général Ali Sériati, étaient poursuivis dans le cadre d'une enquête distincte visant des exactions contre la population et les forces de sécurité. La justice tunisienne avait déjà annoncé l'ouverture d'une information judiciaire le 16 janvier visant notamment le général Sériati pour « complot contre la sécurité intérieure de l'État, incitation à commettre des crimes et à s'armer et provocation au désordre ».
Le général est considéré comme le commanditaire de la campagne de terreur menée par des miliciens armés fidèles à l'ancien président dans les jours qui ont immédiatement suivi sa chute. Ces hommes avaient semé la peur en commettant des exactions contre des civils et en tirant sur des membres des forces de sécurité à Tunis et dans d'autres villes du pays.
Remaniement toujours attendu
Les policiers ont tiré des grenades lacrymogènes contre un groupe de manifestants, qui avaient arraché à mains nues un premier barrage de barbelés et leur jetaient des pierres, afin de les repousser.