S’interroger sur l’existence d’une politique européenne de gestion des crises et de résolution des conflits signifie, principalement, se pencher sur la question de la vision que porte l’Europe quant à la conduite de ses relations internationales (3).
L’Europe est confrontée au niveau externe aux conflits extra-communautaires qui se déroulent en dehors des frontières européennes. Dans quelle mesure l’approche européenne vis-à-vis de l’Irak agité par un grand différend de perception, contribue-t-elle à l’élaboration de sa politique de gestion des crises et de résolution des conflits ? Quels moyens utilise-t-elle, et à quel objectif aspire-t-elle ?
Nous nous rappellerons du début de l’année 2003 comme de la période du véritable échec de la Politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne. À l’origine de toute tension et incompréhension, nous retrouvons les différentes attitudes que les Européens développent vis-à-vis de la conduite des États-Unis en Irak.
En effet, depuis octobre 2002, lorsque le Congrès des États-Unis à autorisé le Président Bush à intervenir militairement en Irak, nous pouvons retrouver des prises de position différentes à l’intérieur de l’Union Européenne, par rapport à cette nouvelle doctrine militaire américaine de la guerre pour la défense préventive, qui a fait couler beaucoup d’encre sur la légalité juridique internationale d’un tel acte au regard de la Charte des Nations unies.
D’un côté, le gouvernement américain prêt à déclencher une guerre, puisqu’il considère que l’Irak détient des armes de destruction massive. De cette façon, l’Irak violerait les précédentes résolutions des Nations unies, lui en interdisant la détention ; de l’autre, des États de l’Union Européenne exprimant des jugements différents quant à la légitimité de cette intervention et poussant à une nouvelle résolution de l’ONU, laquelle autoriserait, à nouveau, des inspections. On veut laisser plus de temps aux inspecteurs pour trouver des preuves évidentes de l’existence des armes de destruction massive, qui ne seront, en réalité, jamais trouvées.
Le Royaume-Uni déclare appuyer les États-Unis dans leurs décisions (4). L’Allemagne affirme tout de suite être opposée à la guerre (5). La France souligne la position centrale du rôle de l’ONU dans la résolution de cette crise (6). L’Italie adopte une position ambiguë, en soutenant officiellement l’importance de l’action des Nations unies, mais en adoptant, de facto, une politique bilatérale de soutien politique et logistique à l’action non multilatérale des États-Unis. L’Espagne (7) et le Portugal quant à eux, ont manifesté clairement leur volonté de se rallier aux positions des Nations unies. Finalement, l’ONU décide, avec la résolution 1441, de reprendre les inspections et de donner encore une possibilité d’issue à l’Irak.
Même si le choix des États-Unis d’agir sans autorisation du Conseil de sécurité est contraire aux principes affichés par l’Union européenne sur le plan politique international, le 2 février 2003, les leaders de huit États européens signent une lettre ouverte, envoyée au Président Bush. Ainsi, les gouvernements du Danemark, de l’Espagne, de la Hongrie, de l’Italie, de la Pologne, du Portugal, de la République Tchèque et du Royaume-Uni affirment soutenir la politique étrangère de Bush.
La fracture parmi ces pays européens est devenue évidente, dans la mesure où la France et l’Allemagne réaffirment que toute décision doit être prise au sein de l’ONU. Pourtant, les États-Unis se déclarent prêts à intervenir et préparent, avec le Royaume-Uni et l’Espagne, une autre résolution, qui impose un ultimatum à Saddam Hussein. Le manque de respect de cet ultimatum entraînerait le déclenchement du conflit. Mais cette résolution est retirée avant le vote, la France et la Russie ayant manifesté leur intention de la bloquer par leur veto. Les États-Unis et le Royaume-Uni, sans autorisation de la part du Conseil de sécurité des Nations unies, attaquent l’Irak le 20 mars 2003. Les combats se terminent officiellement le 1er mai 2003.
Juridiquement, toutefois, cette force de coalition internationale est restée une force d’occupation jusqu’à la date du 30 juin 2004, qui marque le passage de souveraineté au gouvernement intérimaire de l’Irak, selon la résolution 1483 de Conseil de sécurité, votée le 8 juin 2004 (8).
Ce résumé des événements montre bien l’incapacité des États européens à exprimer au moins dans les premiers moments une position commune vis-à-vis du conflit Irakien et l’intervention militaire de chaque pays européen dans le cadre national de l’autre (9).
Cependant, c’est dans la période de l’après-guerre que l’action européenne s’est montrée efficace en Irak, particulièrement dans la gestion civile et militaire des crises. De ce fait, malgré l’insuffisance des conditions de sécurité qui lui auraient permis d’élargir son soutien, la communauté européenne a consacré plus de 300 millions d’euros à l’aide humanitaire et à la reconstruction en Irak entre 2003 et 2004 (10).
À la suite de la mise en œuvre de la résolution 1546 (2004) du Conseil de sécurité des Nations unies et de l’invitation adressée à l’Union européenne de lancer des activités de formation dans le domaine de l’État de droit à l’attention de professionnels irakiens, le Conseil européen a adopté l’action commune 2005/190/PESC le 7 mars 2005, instituant une mission intégrée : État de droit pour l’Irak (EUJUST LEX) (11).
Toutefois, cette tendance risque de devenir très lourde, à l’avenir, pour l’exercice de la politique étrangère commune. Cette attitude des diplomaties européennes est aussi possible à cause du manque d’un cadre juridique contraignant, au sein de la PESC. Ceci devrait sanctionner la violation de la clause selon laquelle les États doivent s’abstenir de toute opération qui soit contraire aux intérêts de l’Union européenne. Mais, comment peut-on repérer l’intérêt de l’UE dans ces circonstances ? Le manque d’un document juridique définissant la stratégie de l’Union permet aux États membres de sortir du cadre de la PESC lorsqu’ils le jugent avantageux.



(1) R. KAGAN, La puissance et la faiblesse : les États-Unis dans le nouvel ordre mondial, Paris, Plon, 2003, p. 60.
(2) A. PAECHT (dir.), Les relations transatlantiques : de la tourmente à l’apaisement, Paris, PUF/IRIS, 2003.
(3) A. RASTBEEN, «Quel rôle pour l’Europe dans la gestion des crises au Moyen-Orient ?», Géostratégiques, «L'Europe et les crises au Moyen-Orient», n° 15, 2007.
(4) G. BRIGUET, Grands États européens dans la guerre d’Irak : raisons et justifications, Genève, Institut européen de l’Université de Genève, 2004, p.17.
(5) Les raisons officielles avancées par Berlin quant à son refus de la guerre rejoignent, en grande partie, celles évoquées par la France. En effet, celle-ci dit également penser que l’Irak pourrait être entièrement désarmé à l’aide de solutions pacifistes et en évitant la guerre. Dans un éditorial écrit pour le New York Times, l’ancien chancelier allemand G. Schröder affirme : « Nous ne devons pas oublier que la sécurité dans le monde d’aujourd’hui ne peut être garantie par un pays agissant seul, elle peut seulement être atteinte par le biais d’une coopération internationale. « Gerhard Schröder : il est temps de travailler "ensemble pour gagner la paix" », La Presse Canadienne, 2003, http://www.broadcastnews.ca/english/online/full/ Monde/030919/ M091936AU.html (juillet 2003).
(6) Le 5 février 2003, le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, a annoncé au Conseil de sécurité de l'ONU que la France souhaitait le renforcement des missions des inspecteurs en désarmement en Irak et a proposé notamment le déploiement de Mirage IV d'observation. Il a souligné que la France n'excluait pas l'emploi de la force contre l'Irak, mais seulement en dernier recours. Voir BRIGUE Gaëlle, op. cit., p.15.
(7) L’hostilité d’une grande partie de la population à cette guerre n’a pas empêché le gouvernement espagnol de José Maria Aznar de participer au conflit. Parmi les raisons officielles données par Madrid afin de justifier son engagement figure l’importance de la lutte contre le terrorisme. En effet, l’appui de la politique anti-terroriste des États-Unis entre dans la continuité globale de sa politique de répression vis-à-vis des groupes terroristes basques de l’ETA, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001.
(8) Le deuxième argument de cette décision était purement européen. En effet, la décision espagnole a été celle d’un calcul stratégique hispano-américain en vue de fournir un nouveau rôle à celle-ci au sein de l’Union européenne élargie.
(9) Pour plus de détail sur ce sujet voir H. ABOU TALEB, « La résolution aux concessions réciproques », Al Ahram Hebdo, 28 mai 2003.
(10) La tendance européenne dans cette guerre est marquée par le fait que les États préfèrent donner une réponse bilatérale aux États-Unis, puisque celle-ci se conforme mieux à leurs intérêts nationaux. Il s’agirait d’un bilatéralisme lié aux circonstances du moment et aux personnalités politiques au pouvoir, comme dans le cas de l’Italie et de l’Espagne.
(11) Déclaration sur les relations entre l’UE et l’Irak, lors du Conseil européen du 5 novembre 2004.
(12) EUJUST LEX est la première mission intégrée de l’UE dans le domaine de l’État de droit. Elle a été créée sur la base du rapport d’une mission d’enquête commune effectuée en 2004. La phase opérationnelle a commencé le 1er juillet 2005.