A partir d’une analyse fouillée des discours, des textes et des projets de la Banque mondiale, elle explore le pouvoir de transformation des programmes de grande ampleur conduits dans les Etats du Sud. Elle s’intéresse tout particulièrement aux projets qui affectent des peuples autochtones, comme la construction d’un oléoduc entre le Tchad et le Cameroun, et qui ont fait l’objet de plaintes auprès du « Panel d’inspection ». Ce dernier est un mécanisme mis en place par la Banque elle-même afin d’examiner la conformité de ses projets avec ses politiques de sauvegarde.
Il en ressort que selon les représentants des peuples autochtones, la procédure de consultation établie par la Banque mondiale et recommandée par divers textes internationaux ne permet pas de prendre réellement en compte leur opinion. Elle ne garantit donc pas que le projet qui touchera leurs villages et leurs territoires leur soit utile. Bien au contraire, ces projets se traduisent souvent par des transformations profondes dans la vie des communautés, par des déplacements de populations et par l’augmentation de conflits. C’est l’une des raisons pour lesquelles les représentants autochtones réclament auprès des Nations unies le respect du principe du consentement libre, préalable et formé en connaissance de cause, et le droit de dire non. Il va sans dire que cette idée de blocage passe mal auprès de la plupart des décideurs, dont le leitmotiv est l’intérêt supérieur du développement national, intérêt qui masque parfois des motivations moins nobles.
Cela pose un défi redoutable car si le développement est la condition par laquelle la création de richesse permet d’améliorer le niveau de vie relatif des individus, le développement pensé sans les peuples autochtones reste le moyen de les faire disparaître des territoires convoités et de les assimiler dans l’ensemble des populations pauvres, migrantes et urbanisées. Ce développement a partie liée avec un discours justifiant un processus de normalisation qui s’appuie sur un système de classification des populations, des groupes, des opérations et des pays.
Bien entendu, toute opération de développement ne présente pas ce caractère tragique et la Banque mondiale s’efforce par de nouveaux projets de revenir sur les effets désastreux des premiers… Mais ne conviendrait-il pas d’anticiper sur les effets sociaux et humains des projets envisagés, en des termes qui ne soient pas purement techniques, tenant compte de la fragilité des modes de vie autochtones ? C’est ici que la machine antipolitique qui vise à créer de la richesse en se fondant sur des arguments essentiellement économiques et des indicateurs à foison rencontre ses limites. Comme le montre Céline Germond-Duret, la Banque, malgré l’instauration de son propre mécanisme d’inspection pour examiner et corriger les projets qui violeraient les règles qu’elle se donne, réévalue constamment ses activités et reproduit souvent les erreurs dénoncées.
Ce livre ouvre de nouvelles perspectives sur ce que le développement veut dire et invite à la réflexion sur les compétences requises des populations concernées pour résister au déploiement d’arguments d’autorité qui sont d’autant plus difficiles à contrer qu’ils se présentent comme étant pour leur bien. Où l’on comprend comment le développement est passé d’une mission civilisatrice à une mission salvatrice.
D’après la préface rédigée par Irène Bellier, anthropologue au CNRS.

TABLE DES MATIERES
Préface
Abréviations
Introduction
Chapitre I – Les effets des interventions de développements
Chapitre II – La Banque mondiale et son Panel d’inspection : critiques, autoévaluation et responsabilisation
Chapitre III – Construction et représentation : les Pygmées du Cameroun comme menace, comme pauvres ou comme victimes
Chapitre IV – Le projet d’oléoduc Tchad-Cameroun et ses conséquences sur les populations pygmées
Chapitre V – Généralisation de l’analyse
Chapitre VI – Rhétorique interventionniste et normalisation
Conclusion
Annexes
Références bibliographiques


Banque mondiale, peuples autochtones et normalisation


Céline GERMONT-DURET, Banque mondiale, peuples autochtones et normalisation, Paris : Karthala ; Genève : Institut de hautes études internationales et du développement, 2011 (288 pp.)

Céline Germond-Duret est chercheuse au Centre for Sustainable Development de la University of Central Lancashire, au Royaume-Uni. Elle est titulaire d’un doctorat en science politique et relations internationales de l’Institut de hautes études internationales et du développement, à Genève. Spécialisée dans les questions de développement et d’environnement, en grande partie abordées sous un angle discursif, elle porte une attention particulière à la participation des populations locales et à la situation des peuples autochtones.