1. Loin
d’être nouvelle, l’idée que les étrangers seraient une charge pour la
société et un danger pour la cohésion nationale revient en force. Alors
que la crise économique frappe les foyers les plus modestes et que
l’Europe est en proie à une forte poussée xénophobe, l'étranger fait peur. À moins que ce ne soit sa pauvreté qui effraie, reflet de nos angoisses et de notre égoïsme.
Il est vrai qu’on a rarement vu la même sourde hostilité se manifester à
l’égard des Australiens ou des Suédois… Les autres migrants, eux, sont
projetés sans retenue au centre de nos débats politiques ou électoraux,
bien souvent objets de manipulations perverses, dans un climat populiste
et volontairement stigmatisant.
3. La
question migratoire est pourtant bien plus complexe qu’un titre
racoleur dans les journaux ou une déclaration politique de circonstance.
Il ne s’agit pas d’être pour ou contre. Il y a des faits, des vies
tragiques et des histoires humaines, des impasses souvent. Il y a des
solidarités assumées, à revendiquer parfois, des arbitrages économiques
aussi, et des réalités géopolitiques. Mais n’oublions jamais qu’on ne
quitte pas son pays par plaisir. On le fait pour survivre, pour sortir
de la pauvreté, trouver un poste inaccessible chez soi, acquérir une
formation, offrir un avenir à ses enfants. On le fait dans l’espoir
d’une vie meilleure, pour ne jamais revenir, mais le plus souvent pour
retrouver son pays, fier de sa réussite. Pourquoi les deux millions de
Français travaillant ou étudiant à l'étranger seraient-ils des expatriés
modèles quand les 6,7 millions d’immigrés vivant en France – en
situation régulière dans leur majorité – seraient de simples abuseurs de
nos dispositifs sociaux ? Si la France est riche, elle le doit en
partie à cette immigration, qu’elle soit imposée ou choisie. Il ne faut
jamais l’oublier.
4. Pourtant,
depuis trente ans, depuis que le monde est devenu un espace de libre
circulation des hommes et des biens, notre société est incapable de
proposer une position cohérente et innovante sur l’immigration. Les
chiffres de reconduite aux frontières brandis chaque année par le
ministère de l’Intérieur, comme autant de témoins de l’efficacité d’une
politique de contrôle des flux migratoires, n’ont aucun sens : tous les
experts en dénoncent l’inefficacité et le coût démesuré qu’ils
impliquent. Voilà nos politiques incapables de penser l’Autre, le
migrant, comme légitime dans ses aspirations, préférant le criminaliser
et le reléguer dans des espaces de transit, de rétention ou d’exclusion
urbaine, des espaces de non-droit et de violences.
5. Depuis 1986 et la création de la Mission France, les équipes de bénévoles et de salariés de Médecins du Monde
travaillent aussi auprès des migrants. Ces derniers ont rejoint les
personnes précaires qui font la Une des médias au moment du
déclenchement du plan Grand froid, les travailleurs pauvres, les malades
marginalisés, les oubliés du marché de l’emploi ou du droit au
logement, les personnes isolées.
Par solidarité, par engagement humaniste et militant, les membres de
MdM s’impliquent pour une certaine idée de l’Homme et de ses droits
fondamentaux.
Ils ne sont pas seuls, eux non plus. Contre la chasse policière
impitoyable, des acteurs associatifs de tous bords, tous « délinquants
solidaires »,
se mobilisent sans crainte d’assumer cette solidarité élémentaire, pour
dénoncer simplement une stratégie humainement inacceptable.
6. Comment
analyser cette volonté de contrôler et d’expulser alors qu’il serait
préférable d’accompagner et d’intégrer ? Comment combattre ce refus de
comprendre que les contributions des migrants pour nos sociétés
vieillissantes peuvent être aussi utiles que multiples, sociales et
financières, humaines et culturelles ? Cet étranger qui aspire à la liberté et une vie meilleure nous fait peur car il pointe notre incapacité à nous dépasser.
7. Changer
de regard sur la migration et les migrants. C’est bien là un des défis
les plus importants des années à venir. Il s’agit bien d’accepter les
migrants comme une chance pour nos sociétés. Il faut changer notre façon
de voir la migration qui peut être envisagée comme une opportunité et
non comme un danger.
Ne faisons pas le choix du repli, mais osons la rencontre et le risque
de la complexité. Cultivons cette espérance, cette confiance raisonnable
loin du communautarisme.
8. Notre
responsabilité en tant qu'association médicale humanitaire est de
témoigner des réalités humaines qui sont trop souvent occultées par ce
débat complexe et complexifié à l’envi par des enjeux politiciens. Nos
sociétés et nos dirigeants politiques ne pourront pas fuir plus
longtemps ces réalités. C'est tout l'objectif de ce numéro que de
participer à ce débat public, depuis notre place d’acteur de la société
civile, mais avec la force de celui qui affronte au quotidien la
réalité, le regard ou la demande de ce « migrant indésirable ». Alors,
peut-être, réalisera-t-on qu’il incarne au plus près ce personnage que
toute la société appelle de ses vœux tout en ignorant qu’elle l’a sous
les yeux : un citoyen du monde.
9. Pour approfondir ce thème, voir le hors série "Migrations, santé et droit"
de la Revue de droit sanitaire et social (Dalloz), avril 2012 et
notamment le texte de Pierre Salignon (pp. 33-52) sur lequel se base le
présent éditorial. Voir également p. 117-118 de ce numéro.
Thierry Brigaud, Pierre Salignon, Christophe Adam , « Changer de regard sur la migration et les migrants », Humanitaire, n°33, 2012 (Editorial)
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Éditorial
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Thierry Brigaud, Pierre Salignon, Christophe Adam
Changer de regard sur la migration et les migrants [Texte intégral]
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Thierry Brigaud, Pierre Salignon, Christophe Adam
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Retour sur ...
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Olivier Legros
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Olivier Legros
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Dossier
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Table ronde
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Migrants : la riposte humanitaire [Texte intégral]
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Migrants : la riposte humanitaire [Texte intégral]
-
Michel Wieviorka
Les « immigrés » et la société ouverte [Texte intégral] -
Estelle d’Halluin et Anne-Cécile Hoyez
L’initiative associative et les reconfigurations locales des dispositifs d’accès aux soins pour les migrants primo-arrivants. [Texte intégral]
-
Jean-François Corty
Médecine humanitaire, stéréotypes sanitaires et xénophobes : contributions de Médecins du Monde à la déstigmatisation des migrants [Texte intégral]
-
Xavier Chojnicki
Idées reçues sur l’immigration : une lecture économique [Texte intégral]
-
Catherine Withol de Wenden
Les dynamiques migratoires dans le monde [Texte intégral]
-
Jean-Claude Métraux
Quelle riposte ? [Texte intégral]
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Table ronde
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Tribune
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Stéphane Vinhas
Expatriés et nationaux: les deux faces d’un même projet [Texte intégral]
-
Kamel Mohanna
L’action humanitaire : la vision d’un acteur du Sud [Texte intégral]
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Thierry Brigaud
Nous, Médecins du Monde, refusons… [Texte intégral]
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Stéphane Vinhas
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Lire, écouter, voir
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Bernard Granjon
Nous sommes tous des migrants [Texte intégral]Jean-Claude Métraux, La migration comme métaphore, Paris, La Dispute, 2011
-
Ceux qui passent… et ceux qui restent [Texte intégral]
Haydée Sabéran, Ceux qui passent, éditions Carnets Nord, 2012
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L’immigration au prisme de Smaïn Laacher [Texte intégral]
Smaïn Laacher, Ce qu’immigrer veut dire, Le Cavalier Bleu, 2012 et Dictionnaire de l’immigration en France, Larousse, 2012 -
Anne Laude et Olivier Bernard
La migration, entre droit et santé [Texte intégral]
Revue de droit sanitaire et social (Collectif), Migrations, Santé et Droit, Dalloz, Hors série, avril 2012 -
La migration et les Roms expliqués aux enfants [Texte intégral]
Valentine Goby et Ronan Badel, Lyuba ou la tête dans les étoiles. Les Roms, de la Roumanie à l’Île-de-France, Autrement, 2012. -
Philippe Ryfman
Au cœur de la démocratie protestataire [Texte intégral]Lilian Mathieu, La démocratie protestataire. Mouvements sociaux et politique en France aujourd'hui, Presses de Sciences-Po, 2011
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Bernard Granjon
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