26 décembre 2012

REVUE : "Migration : une chance à saisir", Humanitaire (n°33, 2012)

Catherine MAIA

1. Loin d’être nouvelle, l’idée que les étrangers seraient une charge pour la société et un danger pour la cohésion nationale revient en force. Alors que la crise économique frappe les foyers les plus modestes et que l’Europe est en proie à une forte poussée xénophobe, l'étranger fait peur. À moins que ce ne soit sa pauvreté qui effraie, reflet de nos angoisses et de notre égoïsme. Il est vrai qu’on a rarement vu la même sourde hostilité se manifester à l’égard des Australiens ou des Suédois… Les autres migrants, eux, sont projetés sans retenue au centre de nos débats politiques ou électoraux, bien souvent objets de manipulations perverses, dans un climat populiste et volontairement stigmatisant. 

2. La migration n’est jamais présentée comme une opportunité ou une richesse, qui profite non seulement à celui qui migre, mais aussi au pays de départ et à celui qui l’accueille. Tout au long de la récente campagne présidentielle française, l’étranger a tenu le rôle du bouc émissaire, tour à tour responsable de nos déficits sociaux, profiteur du système, éloigné de notre culture et nos valeurs. 

3. La question migratoire est pourtant bien plus complexe qu’un titre racoleur dans les journaux ou une déclaration politique de circonstance. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre. Il y a des faits, des vies tragiques et des histoires humaines, des impasses souvent. Il y a des solidarités assumées, à revendiquer parfois, des arbitrages économiques aussi, et des réalités géopolitiques. Mais n’oublions jamais qu’on ne quitte pas son pays par plaisir. On le fait pour survivre, pour sortir de la pauvreté, trouver un poste inaccessible chez soi, acquérir une formation, offrir un avenir à ses enfants. On le fait dans l’espoir d’une vie meilleure, pour ne jamais revenir, mais le plus souvent pour retrouver son pays, fier de sa réussite. Pourquoi les deux millions de Français travaillant ou étudiant à l'étranger seraient-ils des expatriés modèles quand les 6,7 millions d’immigrés vivant en France – en situation régulière dans leur majorité – seraient de simples abuseurs de nos dispositifs sociaux ? Si la France est riche, elle le doit en partie à cette immigration, qu’elle soit imposée ou choisie. Il ne faut jamais l’oublier.

4. Pourtant, depuis trente ans, depuis que le monde est devenu un espace de libre circulation des hommes et des biens, notre société est incapable de proposer une position cohérente et innovante sur l’immigration. Les chiffres de reconduite aux frontières brandis chaque année par le ministère de l’Intérieur, comme autant de témoins de l’efficacité d’une politique de contrôle des flux migratoires, n’ont aucun sens : tous les experts en dénoncent l’inefficacité et le coût démesuré qu’ils impliquent. Voilà nos politiques incapables de penser l’Autre, le migrant, comme légitime dans ses aspirations, préférant le criminaliser et le reléguer dans des espaces de transit, de rétention ou d’exclusion urbaine, des espaces de non-droit et de violences. 

5. Depuis 1986 et la création de la Mission France, les équipes de bénévoles et de salariés de Médecins du Monde travaillent aussi auprès des migrants. Ces derniers ont rejoint les personnes précaires qui font la Une des médias au moment du déclenchement du plan Grand froid, les travailleurs pauvres, les malades marginalisés, les oubliés du marché de l’emploi ou du droit au logement, les personnes isolées. Par solidarité, par engagement humaniste et militant, les membres de MdM s’impliquent pour une certaine idée de l’Homme et de ses droits fondamentaux. Ils ne sont pas seuls, eux non plus. Contre la chasse policière impitoyable, des acteurs associatifs de tous bords, tous « délinquants solidaires », se mobilisent sans crainte d’assumer cette solidarité élémentaire, pour dénoncer simplement une stratégie humainement inacceptable.

6. Comment analyser cette volonté de contrôler et d’expulser alors qu’il serait préférable d’accompagner et d’intégrer ? Comment combattre ce refus de comprendre que les contributions des migrants pour nos sociétés vieillissantes peuvent être aussi utiles que multiples, sociales et financières, humaines et culturelles ? Cet étranger qui aspire à la liberté et une vie meilleure nous fait peur car il pointe notre incapacité à nous dépasser. 

7. Changer de regard sur la migration et les migrants. C’est bien là un des défis les plus importants des années à venir. Il s’agit bien d’accepter les migrants comme une chance pour nos sociétés. Il faut changer notre façon de voir la migration qui peut être envisagée comme une opportunité et non comme un danger. Ne faisons pas le choix du repli, mais osons la rencontre et le risque de la complexité. Cultivons cette espérance, cette confiance raisonnable loin du communautarisme.

8. Notre responsabilité en tant qu'association médicale humanitaire est de témoigner des réalités humaines qui sont trop souvent occultées par ce débat complexe et complexifié à l’envi par des enjeux politiciens. Nos sociétés et nos dirigeants politiques ne pourront pas fuir plus longtemps ces réalités. C'est tout l'objectif de ce numéro que de participer à ce débat public, depuis notre place d’acteur de la société civile, mais avec la force de celui qui affronte au quotidien la réalité, le regard ou la demande de ce « migrant indésirable ». Alors, peut-être, réalisera-t-on qu’il incarne au plus près ce personnage que toute la société appelle de ses vœux tout en ignorant qu’elle l’a sous les yeux : un citoyen du monde.

9. Pour approfondir ce thème, voir le hors série "Migrations, santé et droit" de la Revue de droit sanitaire et social (Dalloz), avril 2012 et notamment le texte de Pierre Salignon (pp. 33-52) sur lequel se base le présent éditorial. Voir également p. 117-118 de ce numéro.

Thierry Brigaud, Pierre Salignon, Christophe Adam , « Changer de regard sur la migration et les migrants », Humanitaire, n°33, 2012 (Editorial)


Migration : une chance à saisir


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