Kadidiatou HAMA
Réunis en sommet extraordinaire les 11 et 12 octobre, les Chefs d'Etat et de Gouvernement
ont estimé que les dirigeants en exercice jouissaient
d'une immunité et qu'aucun ne devrait être traduit devant un tribunal
international durant son mandat.
Dans sa résolution finale, le Sommet demande "le sursis des poursuites" contre le Président, Uhuru Kenyatta, et le vice-Président du Kenya, William Ruto, en vertu de
l'article 16 du Statut de Rome, traité fondateur de la CPI, qui permet
au Conseil de sécurité de l'ONU d'imposer à la CPI la suspension de
toute enquête ou poursuite pour une durée d'un an, renouvelable de facto
indéfiniment chaque année.
L'UA réclame que cet ajournement intervienne avant le commencement du
procès de Uhuru Kenyatta, le 12 novembre à La Haye. Le procès de son
vice-Président, William Ruto - et de son co-accusé, l'animateur radio
Joshua arap Sang - s'est ouvert le 10 septembre.
Selon le ministre éthiopien des Affaires étrangères, Tedros Adhanom
Gebrayesus, dont le pays assure la présidence en exercice de l'UA,
l'organisation a estimé que M. Kenyatta ne devrait pas se rendre à La
Haye tant que l'UA n'aurait pas reçu de réponse.
MM. Kenyatta et Ruto, élus en mars, sont les premiers dirigeants en
exercice jugés par la CPI. Ils sont poursuivis séparément depuis 2011
pour leurs responsabilités respectives dans les terribles violences
politico-ethniques sur lesquelles avait débouché la précédente
présidentielle de fin 2007, au cours de laquelle ils appartenaient à
deux camps opposés.
Selon cette résolution, l'UA compte également proposer au Conseil de
sécurité le renvoi des poursuites contre le Président soudanais Omar
el-Béchir, objet d'un mandat d'arrêt de la CPI pour crimes de guerre,
crimes contre l'humanité et génocide au Darfour (ouest du Soudan). "Aucune poursuite ne doit être engagée devant un tribunal
international contre un Chef d'Etat ou de Gouvernement en exercice",
affirme l'UA dans sa résolution qui dénonce "la politisation et
l'utilisation abusive des inculpations des dirigeants africains par la
CPI".
L'article 27 du Statut de Rome prévoit expressément qu'aucune
"qualité officielle" - notamment celle de chef d'Etat - ou immunité ne
peuvent être opposées à la CPI. La présidente de la Commission de l'UA, Nkosazana Dlamini-Zuma a
indiqué le 12 octobre que l'UA allait aussi étudier la possibilité de demander
des amendements au Statut de Rome, notamment cet article 27.
Le Kenya et ses deux dirigeants ont jusqu'ici, conformément à leurs
engagements, collaboré avec la CPI, mais estiment désormais que leurs
procès les empêchent de remplir leurs fonctions.
M. Kenyatta a lancé le 12 octobre, devant ses pairs, sa plus violente
critique contre la CPI depuis son inculpation, la qualifiant de "jouet
des pouvoirs impérialistes en déclin". "Cette Cour agit sur demande des Gouvernements européens et
américain, contre la souveraineté des Etats et peuples africains (...)
des gens ont qualifié cette situation de 'chasse raciale', j'ai de
grandes difficultés à être en désaccord", a-t-il ajouté. "Tout le monde sauf l'Afrique semble exempt de rendre des comptes", a
poursuivi M. Kenyatta: "nous ne récoltons que des préjugés et une
chasse raciale à la CPI".
Le Premier ministre éthiopien et Président en exercice de l'UA,
Hailemariam Desalegn, avait déjà utilisé le terme de "chasse raciale"
pour dénoncer le fait que seuls des Africains ont été inculpés ou jugés
depuis le début des travaux de la CPI en 2002.
A l'ouverture du Sommet, il a dénoncé un "traitement inique"
de l'Afrique par la CPI. Mme Dlamini-Zuma avait, de son côté, estimé que
l'Afrique devrait aussi "renforcer la capacité de (ses) systèmes
judiciaires, nationaux et continentaux (...) afin que la CPI devienne en
réalité une Cour de dernier ressort".
Les défenseurs des droits de l'Homme soulignent que la justice
knéyane n'a jugé qu'une infime poignée d'exécutants et aucun responsable
des violences qui ont fait un millier de morts et plus de 600.000
déplacés fin 2007 et début 2008.
Davis Malombe, vice-Directeur de la Commission kényane des droits de
l'Homme a estimé le 12 octobre que la demande d'ajournement "n'était rien
d'autre qu'une nouvelle tentative de faire dérailler et de retarder la
justice pour les victimes kényanes", estimant que des requêtes
similaires avaient déjà été refusées et devraient l'être à nouveau. L'ex-Secrétaire général de l'ONU Kofi Annan a lui estimé que le débat
visait davantage à protéger les "leaders" que les "victimes".
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