22 novembre 2013

ACTU : CIJ, Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) / Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica)

Catherine MAIA

La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, a rendu le 22 novembre son ordonnance sur la demande en indication de nouvelles mesures conservatoires présentée par le Costa Rica le 24 septembre 2013 (voir communiqué de presse n°2013/23) dans l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), à laquelle a été jointe l’affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica). Cette demande faisait suite à la construction, par le Nicaragua, de deux nouveaux chenaux (caños) dans le «territoire litigieux». Ce territoire avait été défini par la Cour, dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires du 8 mars 2011 (voir communiqué de presse n°2011/6), comme «la partie septentrionale de Isla Portillos, soit la zone humide d’environ trois kilomètres carrés comprise entre la rive droite du caño litigieux [de 2011], la rive droite du fleuve San Juan lui-même jusqu’à son embouchure dans la mer des Caraïbes et la lagune de Harbor Head».

Le 22 novembre, après avoir réaffirmé, à l’unanimité, les mesures conservatoires indiquées dans son ordonnance du 8 mars 2011, la Cour a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
- elle a décidé, à l’unanimité, que le Nicaragua devrait s’abstenir de toute activité de dragage ou autre activité dans le territoire litigieux, et, en particulier, de tous travaux sur les deux nouveaux caños ;
- elle a également décidé, à l’unanimité, et nonobstant le point précédent ainsi que le point 1 du paragraphe 86 de l’ordonnance du 8 mars 2011, que le Nicaragua devrait, dans un délai de deux semaines à compter de la date de la présente ordonnance, combler la tranchée creusée sur la plage au nord du caño oriental, informer immédiatement la Cour de l’achèvement des travaux de comblement de cette tranchée et lui fournir, dans un délai d’une semaine à compter de cet achèvement, un rapport contenant toutes les précisions nécessaires, photographies à l’appui ;
- elle a en outre dit, à l’unanimité, que, sauf nécessité liée à la mise en œuvre des obligations énoncées au point précédent, le Nicaragua devrait i) assurer le retrait du territoire litigieux de tous agents, qu’ils soient civils, de police ou de sécurité et ii) empêcher l’entrée de tels agents dans ledit territoire ;
- elle a également dit, à l’unanimité, que le Nicaragua devrait assurer le retrait du territoire litigieux de toutes personnes privées relevant de sa juridiction ou sous son contrôle et empêcher leur entrée dans ledit territoire ;
- elle a, par ailleurs, déclaré, par quinze voix contre une, que, après avoir consulté le Secrétariat de la Convention de Ramsar et préalablement informé le Nicaragua, le Costa Rica pourrait prendre des mesures appropriées au sujet des deux nouveaux caños, dès lors que de telles mesures seraient nécessaires pour empêcher qu’un préjudice irréparable soit causé à l’environnement du territoire litigieux et que, ce faisant, le Costa Rica éviterait de porter atteinte de quelque façon que ce soit au fleuve San Juan ;
- la Cour a enfin décidé, à l’unanimité, que les Parties devraient l’informer, tous les trois mois, de la manière dont elles assureraient la mise en œuvre desdites mesures conservatoires.

Raisonnement de la Cour

1. Compétence prima facie (par. 21-23)

La Cour rappelle que le Costa Rica entend fonder la compétence de la Cour en l’espèce, d’une part, sur l’article XXXI du traité américain de règlement pacifique signé à Bogotá le 30 avril 1948 et, d’autre part, sur les déclarations d’acceptation de juridiction faites par les deux Parties. Dans son ordonnance du 8 mars 2011, la Cour avait déjà conclu que les instruments invoqués par le Costa Rica semblaient prima facie constituer une base sur laquelle elle pourrait fonder sa compétence pour se prononcer sur le fond. Dans ces circonstances, elle estime qu’elle peut connaître de la présente demande en indication de nouvelles mesures conservatoires.

2. Les droits dont la protection est recherchée et les mesures demandées (par. 24-33)

La Cour rappelle que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’elle tient de l’article 41 de son Statut a pour objet de sauvegarder, dans l’attente de sa décision sur le fond de l’affaire, les droits revendiqués par chacune des parties. Dès lors, elle ne peut exercer ce pouvoir que si les droits allégués par la partie qui demande des mesures apparaissent au moins plausibles. Par ailleurs, un lien doit exister entre les droits qui font l’objet de l’instance pendante devant la Cour sur le fond de l’affaire et les mesures conservatoires sollicitées.

La Cour fait observer que les droits que le Costa Rica cherche à protéger sont ses droits allégués à la souveraineté sur Isla Portillos, à l’intégrité territoriale et son droit de protéger l’environnement sur les espaces sur lesquels il est souverain. Elle conclut que les droits dont le Costa Rica recherche la protection sont plausibles.

La Cour examine ensuite le lien entre les droits dont la protection est recherchée et les mesures conservatoires demandées. Elle est d’avis que ce lien est bien réel en ce qui concerne les trois premières demandes du Costa Rica, la première tendant à assurer en particulier la cessation dans le territoire litigieux de tous travaux sur les deux nouveaux caños, la deuxième consistant à ordonner au Nicaragua de retirer immédiatement du territoire litigieux tous agents, installations et matériel qui y ont été introduits par lui-même ou par toute personne relevant de sa juridiction ou provenant de son territoire, et la troisième visant à permettre au Costa Rica d’effectuer dans le territoire litigieux, sur les deux nouveaux caños et les zones attenantes, tous travaux de remise en état qui se révéleraient nécessaires pour empêcher qu’un préjudice irréparable soit causé audit territoire. En revanche, la Cour n’estime pas nécessaire d’établir l’existence d’un lien entre les droits revendiqués par le Costa Rica et la quatrième mesure conservatoire demandée, qui tend à ce que chacune des Parties informe la Cour de la manière dont elle assure la mise en œuvre de toute mesure conservatoire que celle-ci indiquerait. Selon elle, cette demande ne vise pas à protéger les droits du Costa Rica mais tend à assurer le respect des mesures conservatoires éventuellement indiquées par la Cour.

3. Risque de préjudice irréparable et urgence (par. 34-50)

La Cour rappelle qu’elle tient de l’article 41 de son Statut le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires lorsqu’un préjudice irréparable risque d’être causé aux droits en litige dans une procédure judiciaire. Ce pouvoir ne sera exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige avant que la Cour n’ait rendu sa décision définitive.

La Cour recherche si la situation du territoire litigieux et, notamment, les deux nouveaux caños et la tranchée située près du caño oriental, en leur état actuel, présentent un risque de préjudice irréparable pour les droits revendiqués par le Costa Rica. Elle estime disposer de suffisamment d’éléments pour conclure que, vu la longueur, la largeur et la position de cette tranchée, il existe un risque réel de voir celle-ci atteindre la mer des Caraïbes, soit par l’action de la nature, soit par celle de l’homme, voire par leur action conjointe. Une modification du cours du fleuve San Juan pourrait alors s’ensuivre, avec de sérieuses conséquences pour les droits revendiqués par le Costa Rica. La Cour est donc d’avis que la situation du territoire litigieux révèle l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable pour les droits revendiqués par le demandeur en l’espèce.

La Cour estime en outre qu’il y a urgence pour les raisons suivantes : i) pendant la saison des pluies, le débit accru des eaux coulant dans le San Juan, et donc dans le caño oriental, pourrait avoir pour effet de prolonger la tranchée et de la relier à la mer, au risque d’amener ainsi le fleuve à suivre un nouveau cours ; ii) la tranchée pourrait également être reliée à la mer sans grande difficulté par des personnes entrées dans cette zone depuis le sol nicaraguayen ; iii) un campement militaire nicaraguayen est établi à seulement quelques mètres de la tranchée ; et iv) le Nicaragua a indiqué à la Cour où se trouvaient les dragues, sans toutefois exclure que puissent se trouver dans le territoire litigieux d’autres équipements susceptibles d’être utilisés pour prolonger la tranchée. A cet égard, la Cour n’est pas convaincue que les instructions par lesquelles le président du Nicaragua a signifié au président exécutif de l’autorité nationale portuaire que les travaux de nettoyage menés dans la zone du delta devaient cesser immédiatement et qu’il devait être procédé au retrait du personnel et du matériel présents dans le territoire litigieux, et que les assurances par lesquelles l’agent du Nicaragua a indiqué que son gouvernement s’estimait tenu de ne pas entreprendre d’activités tendant à relier l’un ou l’autre de ces deux caños à la mer, et d’empêcher toutes personnes ou tous groupes de personnes d’entreprendre de telles activités, soient suffisantes pour écarter tout risque imminent de préjudice irréparable.

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La Cour conclut de ce qui précède qu’il y a lieu pour elle d’indiquer des mesures conservatoires afin de répondre à la nouvelle situation prévalant dans le territoire litigieux et que ces mesures viendront s’ajouter à celles s’imposant déjà aux Parties en vertu de l’ordonnance du 8 mars 2011.

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Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, M. Bhandari, juges ; MM. Guillaume, Dugard, juges ad hoc ; M. Couvreur, greffier.

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M. le juge Cançado Trindade joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ; MM. les juges ad hoc Guillaume et Dugard joignent des déclarations à l’ordonnance.

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Un résumé de l’ordonnance figure dans le document intitulé «Résumé n°2013/3», auquel sont annexés des résumés de l’opinion et des déclarations. Le présent communiqué de presse, le résumé de l’ordonnance, ainsi que le texte intégral de celle-ci figurent également sur le site Internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires».

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Source : CIJ

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