1 juin 2014

ACTU : Conseil de sécurité de l’ONU : les deux vétos trahissent les victimes syriennes selon Human Rights Watch

Catherine MAIA

Les vétos de la Russie et de la Chine le 22 mai 2014, s’opposant à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU visant à déférer la situation en Syrie à la Cour pénale internationale (CPI), trahissent les victimes des crimes graves commis dans ce pays selon Human Rights Watch (HRW). Cette résolution bénéficie d’un large soutien international et a été approuvée par les 13 autres membres du Conseil de sécurité.

« Moscou et Pékin peuvent opposer leur véto à une résolution, mais ils ne peuvent pas réprimer le désir de justice du peuple syrien et de tous les gouvernements qui cherchent à défendre les droits de ce peuple », a déclaré Richard Dicker, directeur de la division Justice internationale à HRW « Alors que la crise syrienne entre dans sa quatrième année, que les atrocités commises par toutes les parties font rage et que le nombre de victimes dépasse de loin 150 000 morts, la Russie et de la Chine ont effectivement voté de manière honteuse en faveur de la poursuite de l’impunité ».

Ni les autorités syriennes ni les dirigeants de groupes armés non étatiques n’ont pris de mesures concrètes afin d’exiger des comptes pour les crimes graves commis dans le passé et actuellement, en violation des droits humains. L’absence de poursuites judiciaires à l’encontre des responsables de ces violations n'a fait qu'alimenter de nouvelles atrocités de la part de toutes les parties belligérantes, selon HRW.

Au moins 60 pays de toutes les régions du monde ont pris position en faveur des victimes en apportant leur soutien au renvoi de la situation en Syrie à la CPI. Ce renvoi aurait donné à la Cour la compétence à l’égard des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, indépendamment de la partie syrienne les ayant perpétrés.

Le 15 mai, plus de 100 organisations du monde entier ont émis une déclaration exhortant le Conseil de sécurité à adopter la résolution proposée par la France. Le large soutien en faveur de la résolution de la part des Gouvernements comme des organisations non gouvernementales traduit la détermination généralisée pour rendre la justice pour les crimes graves commis en Syrie, a indiqué HRW.

C’est la quatrième fois que la Russie et la Chine ont opposé conjointement leur véto à des résolutions sur la Syrie depuis le début de la crise en 2011. Le Conseil de sécurité a adopté deux résolutions unanimes, l’une sur le recours aux armes chimiques et l’autre conçue pour ouvrir un accès humanitaire – bien qu’avec peu de succès jusqu’ici. Mais aucun de ces deux résolutions ne comportait de dispositions concrètes pour garantir la justice pour les crimes graves en cours en Syrie.

La résolution proposée par la France contenait certaines faiblesses. En guise de concession aux États-Unis, selon certains diplomates, le texte comprenait une disposition qui exempterait les ressortissants de pays non-États parties à la CPI de la compétence de la Cour dans le cas où ils participeraient à des opérations en Syrie mandatées par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Le projet de résolution faisait également porter toute la charge financière d'une enquête sur la Syrie aux États parties à la CPI, interdisant tout financement de l’ONU pour les poursuites résultant de la saisine par le Conseil de sécurité, et ne rendait pas obligatoire la coopération pour les pays non membres de la CPI.

Bien que soutenant finalement la résolution comme un grand pas pour la justice en Syrie, HRW estimait que ces dispositions auraient sapé la capacité de la Cour à travailler efficacement et risquaient de créer une situation de deux poids, deux mesures dans l’application de la justice.

La Russie a, par le passé, formulé des objections à l’implication de la CPI, par exemple dès le 15 janvier 2013, décrivant les efforts pour obtenir une saisine de la CPI comme « inopportuns et contreproductifs ». L’ambassadeur de la Russie à l’ONU, Vitaly Churkin, a affirmé aux médias dans deux déclarations récentes que la position de la Russie n’avait pas changé et que la proposition de saisir la Cour n’était « pas une bonne idée ». La Chine ne s’était pas exprimée publiquement sur la saisine de la CPI, dans la période précédant le vote du 22 mai 2014. Ni la Russie ni la Chine n’ont proposé aucun mécanisme crédible permettant de garantir que justice soit rendue pour les victimes de violations graves en Syrie.

Au cours des trois dernières années, HWR a largement documenté les exactions perpétrées par les forces gouvernementales et pro-gouvernementales et a conclu qu'elles ont commis des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre. Le Gouvernement continue de mener des attaques aériennes et d'artillerie aveugles frappant des zones civiles et de détenir arbitrairement, de torturer et d’exécuter de façon extrajudiciaire les civils et les combattants. HRW a également documenté des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis par de nombreux groupes armés non étatiques, notamment l'utilisation de voitures piégées pour cibler les civils, l'utilisation aveugle d’obus de mortier, l'enlèvement, la torture et les exécutions extrajudiciaires.

Le dernier rapport de la Commission d'enquête de l'ONU pour la Syrie, publié le 5 mars 2014, a constaté que toutes les parties au conflit en Syrie ont continué de commettre des crimes graves au regard du droit international et a conclu que le Conseil de sécurité ne parvenait pas à prendre des mesures pour mettre fin à l’impunité. La commission, qui a publié sept rapports détaillés depuis sa création en août 2011, a recommandé que le Conseil de sécurité confère à la CPI un mandat pour enquêter sur les exactions en Syrie. La Haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l'homme a, à plusieurs reprises, recommandé que le Conseil de sécurité défère la situation à la CPI, y compris au cours d’une présentation au Conseil de sécurité le 8 avril.

En dépit du double véto, le vote du Conseil de sécurité du 22 mai n’est que le début, et non la fin, d’une pression résolue pour rendre justice aux victimes en Syrie, a assuré HRW. Dans le futur, la nécessité de rendre des comptes pour les crimes commis en Syrie ne sera pas moins pressante ou vitale. Les Gouvernements qui ont appuyé l’effort en faveur d’une saisine de la CPI devraient rester résolus à rechercher la justice pour les victimes en Syrie, que ce soit au Conseil de sécurité, à l’Assemblée générale de l’ONU, au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, ou par d’autres moyens y compris le recours à la compétence universelle, selon HRW.

La Syrie n’est pas un État partie au Statut de Rome, le traité qui a institué la CPI. Par conséquent, la CPI ne peut obtenir juridiction sur les crimes commis dans ce pays que si le Conseil de sécurité défère la situation en Syrie à la Cour, ou si la Syrie accepte volontairement la juridiction de la CPI. Le Conseil de sécurité a déjà procédé à des saisines de la CPI dans deux cas similaires, celui de la région du Darfour au Soudan en 2005, avec le soutien de la Russie et l’abstention de la Chine, et celui de la Libye en 2011, avec le soutien de la Russie et de la Chine.

« La Russie et la Chine se retrouvent de plus en plus isolées en continuant d’insister cruellement sur la poursuite de l’impunité pour les atrocités massives commises en Syrie », a conclu Richard Dicker. « Mais le mouvement en faveur de la justice en Syrie est plus fort que jamais, et les crimes sont bien trop horribles pour être balayés sous le tapis avec deux vétos ».

Dans le même sens, un groupe d'experts indépendants des Nations Unies ont exprimé, le 30 mai, leur préoccupation concernant la décision du Conseil de sécurité de ne pas référer la situation en Syrie à la CPI en affirmant que cela accentue le risque de nouvelles atrocités dans le conflit syrien.

« Le double véto contre le projet de résolution qui prévoyait de référer la situation en Syrie à la CPI risque d'exposer la population syrienne à davantage de violations massives des droits de l'Homme et du droit humanitaire international. L'incapacité à poursuivre ceux qui sont responsables de telles violations pourrait alimenter les atrocités », ont déclaré les experts dans un communiqué de presse, dont le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion ou de conviction, Heiner Bielefeldt, le Rapporteur spécial sur les droits de l'Homme et la lutte antiterroriste, Ben Emmerson, et le Rapporteur spécial sur la torture, Juan Mendez.

Les experts des droits de l'Homme ont souligné que l'absence de poursuites au niveau national en Syrie renvoyait la responsabilité au Conseil de sécurité des Nations Unies, qui aurait dû référer la situation à la CPI.

« Le renvoi de la situation en Syrie vers la CPI aurait été une démarche importante et nécessaire aussi bien pour la protection des civils que pour empêcher de nouvelles violations de la part de l'ensemble des parties prenantes au conflit, et pour lutter contre l'impunité pour de graves violations des droits de l'Homme et du droit humanitaire international, qui dans certains cas pourraient constituer des crimes contre l'humanité », ont-ils affirmé.

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