Catherine MAIA
Les vétos de la Russie et de la Chine le 22 mai 2014,
s’opposant à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU visant à déférer la situation
en Syrie à la Cour pénale internationale (CPI), trahissent les
victimes des crimes graves commis dans ce pays selon Human Rights Watch (HRW).
Cette résolution bénéficie d’un large soutien international et a été approuvée
par les 13 autres membres du Conseil de sécurité.
Ni les autorités syriennes ni les dirigeants de groupes armés
non étatiques n’ont pris de mesures concrètes afin d’exiger des comptes pour
les crimes graves commis dans le passé et actuellement, en violation des droits
humains. L’absence de poursuites judiciaires à l’encontre des responsables de
ces violations n'a fait qu'alimenter de nouvelles atrocités de la part de
toutes les parties belligérantes, selon HRW.
Au moins 60 pays de toutes les régions du monde ont pris
position en faveur des victimes en apportant leur soutien au renvoi de la
situation en Syrie à la CPI. Ce renvoi aurait donné à la Cour la compétence à
l’égard des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, indépendamment de
la partie syrienne les ayant perpétrés.
Le 15 mai, plus de 100 organisations du monde entier ont émis
une déclaration exhortant le Conseil de sécurité à adopter la résolution
proposée par la France. Le large soutien en faveur de la résolution de la part
des Gouvernements comme des organisations non gouvernementales traduit la
détermination généralisée pour rendre la justice pour les crimes graves commis
en Syrie, a indiqué HRW.
C’est la quatrième fois que la Russie et la Chine ont opposé
conjointement leur véto à des résolutions sur la Syrie depuis le début de la
crise en 2011. Le Conseil de sécurité a adopté deux résolutions unanimes, l’une
sur le recours aux armes chimiques et l’autre conçue pour ouvrir un accès
humanitaire – bien qu’avec peu de succès jusqu’ici. Mais aucun de ces deux
résolutions ne comportait de dispositions concrètes pour garantir la justice
pour les crimes graves en cours en Syrie.
La résolution proposée par la France contenait certaines
faiblesses. En guise de concession aux États-Unis, selon certains diplomates,
le texte comprenait une disposition qui exempterait les ressortissants de pays
non-États parties à la CPI de la compétence de la Cour dans le cas où ils
participeraient à des opérations en Syrie mandatées par le Conseil de sécurité
des Nations Unies. Le projet de résolution faisait également porter toute la
charge financière d'une enquête sur la Syrie aux États parties à la CPI,
interdisant tout financement de l’ONU pour les poursuites résultant de la
saisine par le Conseil de sécurité, et ne rendait pas obligatoire la
coopération pour les pays non membres de la CPI.
Bien que soutenant finalement la résolution comme un grand
pas pour la justice en Syrie, HRW estimait que ces dispositions auraient sapé
la capacité de la Cour à travailler efficacement et risquaient de créer une
situation de deux poids, deux mesures dans l’application de la justice.
La Russie a, par le passé, formulé des objections à
l’implication de la CPI, par exemple dès le 15 janvier 2013, décrivant les
efforts pour obtenir une saisine de la CPI comme « inopportuns et contreproductifs ». L’ambassadeur de la Russie à l’ONU,
Vitaly Churkin, a affirmé aux médias dans deux déclarations récentes que la
position de la Russie n’avait pas
changé et que la proposition de saisir la Cour
n’était « pas une bonne idée ». La Chine ne s’était pas exprimée
publiquement sur la saisine de la CPI, dans la période précédant le vote du 22
mai 2014. Ni la Russie ni la Chine n’ont proposé aucun mécanisme crédible
permettant de garantir que justice soit rendue pour les victimes de violations
graves en Syrie.
Au cours des trois dernières années, HWR a largement documenté les exactions perpétrées par les forces gouvernementales et
pro-gouvernementales et a conclu qu'elles ont commis des crimes contre
l'humanité et des crimes de guerre. Le Gouvernement continue de mener des
attaques aériennes et d'artillerie aveugles frappant des zones civiles et de
détenir arbitrairement, de torturer et d’exécuter de façon extrajudiciaire les
civils et les combattants. HRW a également documenté des crimes de guerre et
des crimes contre l'humanité commis par de nombreux groupes armés non
étatiques, notamment l'utilisation de voitures piégées pour cibler les civils,
l'utilisation aveugle d’obus de mortier, l'enlèvement, la torture et les
exécutions extrajudiciaires.
Le dernier rapport de
la Commission d'enquête de l'ONU pour la Syrie, publié le 5 mars 2014, a
constaté que toutes les parties au conflit en Syrie ont continué de commettre
des crimes graves au regard du droit international et a conclu que le Conseil
de sécurité ne parvenait pas à
prendre des mesures pour mettre fin à l’impunité. La commission, qui a publié sept rapports
détaillés depuis sa création en août 2011, a
recommandé que le Conseil de sécurité confère à la CPI un mandat pour enquêter
sur les exactions en Syrie. La Haut-commissaire des Nations unies pour les
droits de l'homme a, à plusieurs reprises, recommandé que le Conseil de sécurité défère la situation à la
CPI, y compris au cours d’une présentation au Conseil de sécurité le 8
avril.
En dépit du double véto, le vote du Conseil de sécurité du 22
mai n’est que le début, et non la fin, d’une pression résolue pour rendre
justice aux victimes en Syrie, a assuré HRW. Dans le futur, la nécessité de
rendre des comptes pour les crimes commis en Syrie ne sera pas moins pressante
ou vitale. Les Gouvernements qui ont appuyé l’effort en faveur d’une saisine de
la CPI devraient rester résolus à rechercher la justice pour les victimes en
Syrie, que ce soit au Conseil de sécurité, à l’Assemblée générale de l’ONU, au
Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, ou par d’autres moyens y compris le
recours à la compétence universelle, selon HRW.
La Syrie n’est pas un État partie au Statut de Rome, le
traité qui a institué la CPI. Par conséquent, la CPI ne peut obtenir
juridiction sur les crimes commis dans ce pays que si le Conseil de sécurité
défère la situation en Syrie à la Cour, ou si la Syrie accepte volontairement
la juridiction de la CPI. Le Conseil de sécurité a déjà procédé à des saisines
de la CPI dans deux cas similaires, celui de la région du Darfour au
Soudan en 2005, avec le soutien de la Russie et l’abstention de la Chine, et
celui de la Libye en 2011, avec le soutien de la Russie et de la Chine.
« La Russie et la Chine se retrouvent de plus en
plus isolées en continuant d’insister cruellement sur la poursuite de
l’impunité pour les atrocités massives commises en Syrie », a conclu Richard Dicker. « Mais le mouvement en faveur de la justice en
Syrie est plus fort que jamais, et les crimes sont bien trop horribles pour
être balayés sous le tapis avec deux vétos ».
Dans le
même sens, un groupe d'experts indépendants
des Nations Unies ont exprimé, le 30 mai, leur préoccupation concernant la
décision du Conseil de sécurité de ne pas référer la situation en Syrie à la CPI
en affirmant que cela accentue le risque de nouvelles atrocités dans le conflit
syrien.
« Le double véto
contre le projet de résolution qui prévoyait de référer la situation en Syrie à
la CPI risque d'exposer la population syrienne à davantage de violations
massives des droits de l'Homme et du droit humanitaire international.
L'incapacité à poursuivre ceux qui sont responsables de telles violations
pourrait alimenter les atrocités », ont déclaré les experts dans un communiqué
de presse, dont le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de
religion ou de conviction, Heiner Bielefeldt, le Rapporteur spécial sur les
droits de l'Homme et la lutte antiterroriste, Ben Emmerson, et le Rapporteur
spécial sur la torture, Juan Mendez.
Les experts des
droits de l'Homme ont souligné que l'absence de poursuites au niveau national
en Syrie renvoyait la responsabilité au Conseil de sécurité des Nations Unies,
qui aurait dû référer la situation à la CPI.
« Le renvoi de
la situation en Syrie vers la CPI aurait été une démarche importante et
nécessaire aussi bien pour la protection des civils que pour empêcher de
nouvelles violations de la part de l'ensemble des parties prenantes au conflit,
et pour lutter contre l'impunité pour de graves violations des droits de l'Homme
et du droit humanitaire international, qui dans certains cas pourraient
constituer des crimes contre l'humanité », ont-ils affirmé.
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