13 juin 2014

RAPPORT : HRW, République Démocratique du Congo : mettre fin à l'impunité pour les violences sexuelles

David ROY

L'est de la République démocratique du Congo (RD Congo) est le théâtre d'horribles scènes de viol et d'autres formes de violence sexuelle depuis près de deux décennies. Des dizaines de milliers de femmes, de filles, d'hommes et de garçons ont été violés ou ont été victimes d'autres abus sexuels. Le nombre exact des victimes n'est pas connu.


La réunion de dirigeants mondiaux et d’activistes des droits humains qui se tiendra à Londres du 10 au 13 juin 2014, à l'occasion du Sommet mondial pour l'élimination des violences sexuelles commises en période de conflit, est une occasion importante pour le Gouvernement congolais, pour les bailleurs de fonds et pour les autres parties prenantes, de prendre des engagements concrets afin de soutenir les efforts visant à rendre justice aux victimes dans l'est de la RD Congo. Le présent document fournit une vue d'ensemble de certains des cas les plus graves de viols collectifs et d'autres formes de violence sexuelle commis ces dernières années par des militaires de l'armée nationale congolaise et par des groupes armés non-étatiques, ainsi que des efforts inadéquats effectués pour faire rendre des comptes aux responsables. Il contient des recommandations afin de renforcer les moyens de rendre justice pour les crimes de violence sexuelle commis en RD Congo.


TABLE DES MATIERES

Introduction
Enlèvements, viols et mutilations commis par des militaires de l'armée nationale près de Shalio en avril 2009
Viols de masse commis dans la région de Luvungi, dans le territoire de Walikale en juilllet 2010
Viols de masse commis par les militaires de l'armée nationale à Fizi, en janvier 2011
Viols de masse et esclavage sexuel commis par les FDLR
Viols de masse commis par l'armée dans la région de Minova, en novembre 2012
Viols commis par le M23 à Goma, en novembre 2012
Viols de masse commis par les Maï Maï Kifuafua a Karete et Musenge, dans le territoire de Walikale, en juillet 2013
Viols commis par l'armée dans le territoire de Rutshuru, en novembre 2013
Recommandations

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Des dizaines de groupes armés sont actifs dans l'est de la RD Congo, et nombre d'entre eux – ainsi que des membres des forces de sécurité congolaises – ont perpétré des actes de violence sexuelle. Des groupes armés ont enlevé et détenu des femmes et des filles congolaises pour en faire leurs esclaves sexuelles. Souvent, les auteurs de ces actes ont blessé leurs victimes à coups de machette ou avec d'autres armes, avant de les violer ou après l'avoir fait. Des fillettes âgées de pas plus de deux ans et des femmes de plus de 80 ans ont été prises pour cibles, ainsi que des hommes et des garçons. De nombreuses victimes ont souffert de graves problèmes de santé après le viol, qui ont souvent entraîné leur mort.

Les groupes armés et des membres de l'armée congolaise ont eu recours au viol comme arme de guerre pour «punir » les civils appartenant à un groupe ethnique particulier, ou parce qu'ils les accusaient de soutenir «l'ennemi ». La honte et la peur d'être rejetées par leurs familles ou leurs communautés ont dissuadé de nombreuses femmes et filles de dénoncer les viols dont elles avaient été victimes. D'autres victimes vivent dans des zones reculées où les services psychosociaux ou médicaux sont inexistants. Beaucoup ont été menacées par leurs violeurs, ou par des membres de leur groupe armé ou unité militaire, ce qui a dissuadé les victimes de réclamer justice.

Ces dernières années, les autorités congolaises ont effectué un plus grand nombre d'arrestations et ouvert des poursuites judiciaires pour viol, mais la grande majorité des auteurs de viols demeurent impunis. Les officiers supérieurs portant une responsabilité de commandement à l’égard de militaires qui commettent des viols sont pratiquement intouchables. Le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l'homme (BCNUDH) en RD Congo a relevé 187 condamnations par des tribunaux militaires pour des actes de violence sexuelle de juillet 2011 à décembre 2013. Quatre des condamnés étaient des membres de groupes armés; les autres étaient des militaires, des policiers ou d'autres agents de l'État. Sur les 136 militaires de l'armée nationale déclarés coupables, trois seulement étaient des officiers de haut rang, en l’occurrence des lieutenants-colonels. Le procès d'un général, Jérôme Kakwavu, sous l'inculpation de viol, est en cours.

Les violences sexuelles généralisées dans l'est de la RD Congo ne cesseront pas tant que leurs auteurs, notamment les chefs qui ont une responsabilité de commandement, ne seront pas traduits en justice. Les autorités gouvernementales devraient signifier clairement et fermement aux soldats, aux officiers, aux combattants et aux chefs de guerre que le viol se paye au prix fort. Les autorités gouvernementales qui protègent des commandants ou qui font obstacle aux enquêtes et aux poursuites judiciaires devraient également être traduites en justice.

Le système judiciaire congolais est miné par la corruption, par la faiblesse de ses capacités et par les ingérences politiques. Les magistrats manquent souvent de la formation nécessaire et de l'équipement approprié pour mener des enquêtes approfondies. En raison du faible niveau de sécurité dans les prisons et de la corruption qui règne au sein du personnel judiciaire et pénitentiaire, de nombreux suspects arrêtés pour viol se sont évadés de prison; certains sont retournés voir les victimes qui les avaient dénoncés pour les menacer. D'autres languissent dans des conditions d'incarcération déplorables dans l'attente de leur jugement, pendant des semaines, des mois, voire des années. L'insécurité persistante dans l'est de la RD Congo et la présence continue de groupes armés a entravé les efforts pour arrêter les commandants de groupes armés. D'autre part, le Gouvernement a souvent adopté au cours de la dernière décennie une politique qui revenait à récompenser d'anciens chefs de groupes armés et des présumés criminels de guerre en les intégrant dans les rangs de l'armée nationale et en leur donnant des postes élevés, ce qui n'a fait que perpétuer le cycle des violences et de l'impunité.

Human Rights Watch est convaincu qu'un nouveau mécanisme judiciaire est nécessaire en RD Congo afin de mettre fin à l'impunité dont bénéficient les auteurs de graves crimes contre le droit international, y compris les violences sexuelles. Une proposition du Gouvernement de créer des Chambres spécialisées mixtes pourrait constituer une bonne solution et mérite le soutien de la communauté internationale. Ces chambres seraient mises en place au sein du système judiciaire national congolais, avec la participation de juges et d'autres personnels internationaux pendant une durée limitée. Elles auraient pour mandat de juger les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et d'actes de génocide commis en RD Congo depuis 1993. La ministre de la Justice et des Droits humains a rédigé un projet de loi portant création de ces Chambres spécialisées mixtes, et le président Joseph Kabila a exprimé publiquement son soutien à ce mécanisme.

Enlèvements, viols et mutilations commis par des militaires de l'armée nationale près de Shalio en avril 2009

Du 27 au 30 avril 2009, des militaires de l'armée congolaise ont délibérément attaqué des réfugiés et d'autres civils sur les collines de Shalio, Marok et Bunyarwanda dans le territoire de Walikale, au Nord-Kivu, lors d'opérations militaires contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Les FDLR sont un groupe armé composé essentiellement de Hutus rwandais, dont certains ont participé au génocide au Rwanda en 1994. Les militaires congolais ont tué au moins 129 réfugiés hutus rwandais, essentiellement des femmes et des enfants. De nombreuses femmes et filles ont été violées pendant ces attaques et certaines d'entre elles ont été tuées par la suite.

Un groupe de militaires a emmené 40 femmes et filles de Shalio vers une position de l'armée située non loin de là à Busurungi, où ils les ont gardées comme esclaves sexuelles et leur ont fait subir des viols collectifs, entre autres abus. Une semaine plus tard, 10 de ces femmes se sont enfuies. Human Rights Watch s'est entretenu avec plusieurs d'entre elles. L'une d'elles avait été mutilée : ses assaillants lui avaient découpé des morceaux de chair sur les seins et le ventre. Le sort des 30 autres femmes est inconnu.

L'une des victimes a déclaré à Human Rights Watch :
«Quand les militaires nous ont attaqués à Shalio, j'ai perdu six membres de ma famille, dont ma fille âgée de 8 ans et mes fils de 12 ans et de 15 ans, qui ont tous été battus à mort sous mes yeux à l'aide de bâtons. Puis quatre militaires m'ont emmenée à l'écart et m'ont violée. Ils m'ont dit que j'étais la femme d'un membre des FDLR et qu'ils pouvaient me faire subir tout ce qu'ils voulaient. J'ai réussi à m'enfuir mais depuis ce jour, je me sens très mal et j'ai constamment mal au ventre».
Human Rights Watch n'a pas connaissance de la moindre enquête judiciaire sur les exactions commises à Shalio et dans les environs, qui pourraient équivaloir à des crimes contre l'humanité et à des crimes de guerre selon le droit international.

Le lieutenant-colonel Innocent Zimurinda, ancien officier d'un groupe armé, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), qui a été intégré dans l'armée congolaise au début de 2009, a joué un rôle important dans l'attaque de Shalio. Selon des informations dignes de foi recueillies par Human Rights Watch, notamment lors d'entretiens avec des militaires qui étaient présents lors de l'attaque et auprès de sources au sein des Nations Unies (ONU), le lieutenant-colonel Zimurinda a lui-même ordonné l'assassinat de toutes les personnes capturées par ses forces, y compris les réfugiés.

Zimurinda est un proche allié du général Bosco Ntaganda, le commandant adjoint en exercice des opérations militaires menées à l'époque contre les FDLR. Le général Ntaganda se trouvait à Ngungu lors du massacre de Shalio, non loin du lieu où Zimurinda était basé. L'étroitesse des relations entre les deux hommes fournit une base solide pour enquêter sur la possibilité d'une implication de Ntaganda dans cette attaque.

Ntaganda est actuellement détenu par la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, où il est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité pour sa responsabilité présumée dans des meurtres, des viols, l'esclavage sexuel, le recrutement et l'utilisation au combat d'enfants soldats et des pillages dans le district de l'Ituri dans l'est de la RD Congo, de 2002 à 2003. Cependant, il ne fait pas l'objet d'accusations formelles pour des crimes commis dans la province du Nord-Kivu, tels que l'incident décrit ci-dessus.

En 2012, Zimurinda a rejoint le M23, un groupe armé nouvellement créé et composé essentiellement d'anciens combattants du CNDP qui avaient déserté les rangs de l'armée nationale. Il s'est enfui au Rwanda en mars 2013 à la suite d'affrontements internes entre deux factions du M23 et de la défaite de la faction dirigée par Ntaganda. En mai 2013, les autorités congolaises ont émis un mandat d'arrêt contre Zimurinda pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité et, en juillet, elles ont officiellement réclamé son extradition du Rwanda. Au moment de la rédaction de ce document, on présume que Zimurinda se trouve toujours au Rwanda.

Viols de masse commis dans la région de Luvungi, dans le territoire de Walikale, en juillet 2010

Dans ce qui constitue l'un des plus graves cas de viols à grande échelle commis ces dernières années dans l'est de la RD Congo, des combattants appartenant à une coalition de trois groupes armés ont violé au moins 387 civils - 300 femmes, 23 hommes, 55 filles et 9 garçons – dans 13 villages situés le long de la route menant de Kibua à Mpofi dans le territoire de Walikale, entre le 30 juillet et le 2 août 2010. Parmi les auteurs figuraient des combattants du groupe Nduma Defence of Congo (NDC) ou Maï Maï Sheka, dirigé par Ntabo Ntaberi Sheka; un groupe de combattants des FDLR dirigé par le capitaine Sérafin Lionso; et un groupe de déserteurs de l'armée dirigé par le lieutenant-colonel Emmanuel Nsengiyumva.

Une femme de 38 ans, mère de cinq enfants, du village de Luvungi a déclaré à Human Rights Watch :
«J'ai entendu des coups de feu et alors que je tentais de m'enfuir, [les combattants] m'ont interceptée et m'ont dit que je n'irais nulle part. Ils m'ont emmenée, avec mon mari et mes enfants. Ils ont pris tout ce qu'ils voulaient dans notre maison. Puis ils nous ont ordonné de les aider à transporter ce qu'ils avaient pris dans les autres maisons de notre village. En chemin, ils nous ont séparés en trois groupes – je me suis retrouvée dans un groupe, mon mari dans un second groupe et les enfants dans un troisième. 
Quand nous sommes arrivés à un endroit situé assez loin dans la forêt, ils m'ont dit de déposer ce que je portais. Puis ils m'ont attachée à un arbre, bras et jambes écartés. Je ne pouvais pas bouger. Ils m'ont enlevé mes vêtements et ont commencé à me violer. D'abord le premier, puis le deuxième, le troisième, le quatrième et le cinquième. Je commençais à saigner abondamment mais je ne pouvais rien faire. Quand le sixième homme a voulu me violer à son tour, il a dit qu'il fallait me nettoyer. Il a ôté sa veste et me l'a introduite de force dans les parties génitales. Le saignement ne cessant pas, il a continué. Vous pouvez imaginer la taille d'une main et de sa veste qu'il a introduites de force dans mon sexe et la douleur que j'ai endurée. Malgré la douleur, j'ai pu libérer un de mes bras et alors que j'essayais de me défendre, l'un d'eux m'a immédiatement coupé la main gauche avec sa machette. J'ai alors perdu connaissance et je ne sais pas combien d'autres hommes m'ont violée. Il faisait nuit et je ne sais pas quand ils sont partis.
J'ai repris connaissance tôt le lendemain matin. Je me suis mise à pleurer mais pas trop fort car je n'avais plus de force. J'étais entourée d'insectes à cause du sang. Heureusement, d'autres personnes qui se trouvaient dans la forêt m'ont entendue. Elles sont venues, m'ont détachée et m'ont aidée à me laver dans la rivière. Peu à peu, j'ai commencé à récupérer. [Jusqu'à maintenant] seules les personnes qui m'ont soignée connaissent cette histoire. J'ai caché ma honte jusqu'à ce jour. Si seulement j'étais morte, cela m'aurait débarrassé de cette honte. 
Je ne sais pas du tout ce qui est arrivé à mon mari et à mes enfants mais je crois que mon mari a été tué. D'autres femmes ont été dans la même situation que moi. Cinq d'entre elles sont mortes à cause des problèmes de santé causés par les viols».
Les enquêteurs de l'ONU ont conclu que Sheka, Lionso et Nsengiyumva «avaient une bonne connaissance de la planification et de l’organisation de cette opération lancée contre toute une population civile et se sont répartis le butin des pillages au terme desdites attaques».

Les auditeurs militaires congolais, avec l'aide de l'ONU, ont ouvert une enquête judiciaire peu après les attaques. Le 6 octobre 2010, à la suite du tollé provoqué dans les médias par ces viols de masse, Sheka a livré un de ses commandants, Sadoke Kikunda Mayele, à des responsables de l'ONU et de l'armée, peut-être afin de se mettre lui-même à l'abri de poursuites.

Le 6 janvier 2011, les autorités militaires ont émis huit mandats d'arrêt pour crimes contre l'humanité, y compris pour violences sexuelles, et pour d'autres crimes graves, contre Sheka, Mayele, Lionso et un autre commandant des FDLR, ainsi que contre quatre déserteurs de l'armée nationale. Nsengiyumva, l'un des planificateurs présumés de l'opération, a été tué lors d'un autre incident avant qu'un mandat d'arrêt ait pu été émis contre lui.

Mayele est par la suite mort de maladie en prison. Un autre suspect a été arrêté ultérieurement mais s'est évadé de prison en novembre 2012. Les autres auteurs présumés de l'attaque sont toujours en liberté et les combattants Maï Maï Sheka et des FDLR continuent de perpétrer des exactions contre les civils, y compris des violences sexuelles.

Sheka a fait campagne pour un siège au parlement représentant Walikale lors des élections nationales de 2011, en dépit du mandat d'arrêt émis à son encontre. Peu d'efforts ont été faits pour l'arrêter, malgré les tentatives de certaines autorités gouvernementales de l'encourager à se rendre. Aucun procès n'a eu lieu pour les viols de masse de Walikale.

Viols de masse commis par les militaires de l'armée nationale à Fizi, en janvier 2011

Des militaires congolais du 43ème Secteur, commandés par le lieutenant-colonel Mutuare Daniel Kibibi, ont violé au moins 50 femmes et filles dans la ville de Fizi, dans la province du Sud-Kivu, les 1er et 2 janvier 2011.

Une jeune fille, âgée de 16 ans à l'époque de cette attaque, a ainsi décrit les événements à Human Rights Watch :
«J'étais au marché en train de vendre des beignets lorsque nous avons entendu des coups de feu. Nous avons remballé nos marchandises et sommes rentrés rapidement chez nous en fermant nos portes. Plus tard, nous avons entendu des gens dehors, qui ont tiré sur notre porte. Mon frère qui était à côté de la porte a été tué par balle et nous avons commencé à pleurer. Les militaires sont entrés dans la maison et nous ont dit de nous taire, sinon ils nous tueraient aussi. 
Puis ils ont emmené ma mère et moi derrière la maison. Ils ont appelé mon père et mes autres frères pour qu'ils regardent ce qu'ils allaient nous faire. Les militaires nous ont alors violées, ma mère et moi, sous les yeux de mon père et de mes frères. Quand mon petit frère a vu ce qu'ils faisaient, il s'est mis à pleurer. Les militaires lui ont dit: « Puisque tu pleures, on va te faire un cadeau. » Et ils lui ont ordonné de coucher avec moi. Il a refusé, alors les militaires lui ont coupé la main gauche et lui ont tailladé le dos avec un couteau et il est tombé à terre. 
Il y avait 11 militaires. Cinq d'entre eux m'ont violée et cinq autres ont violé ma mère. Le onzième a été abattu par les autres parce qu'il a refusé de me violer. Il y avait deux commandants dans le groupe. L'un des deux a été le premier à me violer, puis il a laissé les autres me violer à tour de rôle. Quand ils sont partis, ma mère et moi avions perdu connaissance».
Une femme de 36 ans a décrit comment les militaires ont lancé une pierre sur sa maison pour la forcer à ouvrir la porte. Huit hommes sont entrés dans la maison et six d'entre eux l'ont violée. «Deux d'entre eux donnaient les ordres de piller, de me violer et de faire d'autres choses horribles», a-t-elle dit à Human Rights Watch. «Les autres répondaient: ‘Oui, chef.’ Mon mari m'a abandonnée pendant six mois parce que j'avais été violée devant lui et les enfants».

À ce jour, les viols commis à Fizi constituent le seul cas en RD Congo dans lequel un commandant de rang relativement élevé responsable de viols de masse a été arrêté et poursuivi en justice. À l'issue d'un procès à Baraka, le tribunal militaire du Sud-Kivu a déclaré neuf militaires, dont le lieutenant-colonel Kibibi, coupables de crimes contre l'humanité, notamment de viols. Ils ont été condamnés à des peines de 10 à 20 ans de prison, qu'ils ont commencé à purger à l'heure de la rédaction de ce document.

La femme citée ci-dessus a témoigné au procès contre Kibibi et les autres militaires. Elle s'est déclarée satisfaite qu'ils aient été arrêtés et condamnés. «Mais nous avons été menacées par d'autres militaires qui sont toujours dans les environs », a-t-elle ajouté. « Ils ont dit qu'ils nous tueraient parce que nous sommes celles qui ont accusé leurs collègues. Pour moi, neuf [militaires condamnés], ce n'est pas assez. Il y en avait beaucoup qui commettaient des crimes. Les enquêtes devraient continuer pour que les autres puissent aussi être arrêtés».

Viols de masse et esclavage sexuel commis par les FDLR

Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) sont l'un des groupes armés opérant dans l'est de la RD Congo qui ont commis le plus d'exactions depuis deux décennies. Les combattants des FDLR ont violé, et souvent collectivement, de nombreuses femmes et filles et en ont enlevé beaucoup d'autres qu'ils ont forcées à servir d'esclaves sexuelles à leurs commandants.

En mai 2012, entre 20 et 30 combattants des FDLR ont rassemblé, puis violé plus de 30 femmes et filles du village de Kipopo, dans le groupement d'Ufumandu dans le territoire de Masisi, au Nord-Kivu. Trois fillettes du village, âgées de 7 à 11 ans, sont mortes après avoir subi un viol collectif. Une femme a déclaré à Human Rights Watch qu'elle pensait avoir été violée par au moins cinq ou six hommes, mais avait perdu connaissance.

«Depuis que c'est arrivé», a-t-elle expliqué, «même si je suis toujours avec mon mari, c'est comme si nous n'étions plus ensemble».

En novembre 2012, les FDLR ont de nouveau attaqué le village de Kipopo. Une femme de 28 ans, mère de cinq enfants, a raconté à Human Rights Watch:
«Nous avons entendu des coups de feu dans tout le village et tout le monde s'est mis à fuir. Mon amie, qui était venue me rendre visite, a été tuée par balles alors qu'elle s'enfuyait. Alors que je courais dans la cour devant ma maison, les FDLR m'ont attrapée et m'ont emmenée dans la forêt. Je portais mon bébé sur le dos. Je ne savais pas ce qui était arrivé à mon mari et à mes autres enfants. Je n'avais qu'une seule pensée en tête: la mort. Ils m'ont dit qu'avant de me tuer, ils auraient d'abord des rapports sexuels avec moi et qu'après avoir obtenu ce qu'ils voulaient, serait la fin pour moi. 
Cette nuit-là, j'ai été violée par trois membres des FDLR dans la forêt. Nous étions dans leur camp avec deux autres femmes capturées dans le même village que moi. Nous sommes restées trois jours entiers avec eux dans la forêt et ils nous violaient quand ils voulaient. Je ne sais pas combien d'hommes m'ont violée au total mais c'était probablement au moins 10 chaque jour. Au bout de trois jours, les jeunes de notre village ont attaqué les FDLR et pendant cette attaque, nous avons été secourues et les FDLR se sont enfuis sans nous».
Au niveau international, des tentatives ont été effectuées pour faire rendre des comptes aux dirigeants des FDLR. La CPI a inculpé deux responsables des FDLR de crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis en RD Congo. Le premier, Callixte Mbarushimana, secrétaire exécutif des FDLR, a été arrêté en France en octobre 2010 sur la base d'un mandat d'arrêt de la CPI mais les juges de la mise en état ont renoncé à confirmer les chefs d'accusation retenus contre lui en raison d'une insuffisance de preuves et il a été remis en liberté par la Cour en décembre 2011. Mbarushimana fait également l'objet d'une enquête de la part d'une unité judiciaire française chargée des crimes de guerre, au sujet de crimes présumés commis pendant le génocide de 1994 au Rwanda.

Le commandant militaire des FDLR, le général Sylvestre Mudacumura, est l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI pour crimes de guerre commis dans l'est de la RD Congo, comprenant meurtres, mutilations, viols, actes de torture, traitements inhumains et pillages perpétrés en 2009 et 2010 par des troupes placées sous son commandement. Mudacumura était toujours en liberté dans l'est de la RD Congo à l'heure de la rédaction de ce document.

Deux dirigeants politiques des FDLR, Ignace Murwanashyaka et Straton Musoni, respectivement ancien président et ancien vice-président du groupe, ont été arrêtés en Allemagne – où ils vivaient depuis plusieurs années – le 17 novembre 2009, et accusés de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre présumés commis par des troupes des FDLR en RD Congo entre janvier 2008 et novembre 2009. Leur procès, qui s'est ouvert le 4 mai 2011 devant un tribunal pénal en Allemagne, est toujours en cours.

Viols de masse commis par l'armée dans la région de Minova, en novembre 2012

Au moment où le groupe armé M23 appuyé par le Rwanda a pris le contrôle de la ville de Goma en novembre 2012, des militaires appartenant à plusieurs unités de l'armée nationale congolaise ont fui la ville et ont fait retraite vers Minova, une cité située à environ 50 kilomètres de Goma. Du 20 au 30 novembre, ils se sont livrés à une vague de viols et de pillages. Human Rights Watch a documenté au moins 76 cas de viol de femmes et de filles par des militaires de l'armée nationale à Minova et dans les villages proches de Bwisha, Buganga, Mubimbi, Kishinji, Katolo, Ruchunda et Kalungu. Parmi les victimes se trouvaient des femmes âgées de 60 ans et des fillettes âgées de 13 ans. Une enquête de l'ONU a permis d'établir qu'au moins 126 femmes et filles de la région avaient été victimes de violences sexuelles de la part de militaires pendant cette période. La plupart des viols ont été commis entre le 20 et le 22 novembre.

Plusieurs femmes ont déclaré à Human Rights Watch que des militaires en uniforme avaient pénétré de force chez elles pendant la nuit, avaient pointé leurs armes sur elles et leur avaient réclamé de l'argent. Les militaires ont menacé de les tuer si elles refusaient d'avoir des rapports sexuels avec eux ou si elles criaient pour appeler à l'aide. Certaines victimes ont été violées collectivement par plusieurs militaires opérant ensemble sous les yeux de leur mari et de leurs enfants. D'autres femmes ont été violées alors qu'elles s'enfuyaient devant ce qu'elles croyaient être une avance des forces du M23. Une femme vivant dans un camp pour personnes déplacées à Bweremana, à 45 kilomètres de Goma, a raconté à Human Rights Watch que le 22 novembre, à son arrivée au village de Ruchunda, elle a été stoppée par des militaires de l'armée.

«Ils [les militaires] m'ont pris tous mes biens et m'ont ordonné de m'allonger par terre », a-t-elle dit. «Ils ont dit que si je refusais le viol, ils me tueraient. Puis ils m'ont arraché mon pagne et ont commencé à me violer. Quatre d'entre eux m'ont violée, l'un après l'autre. Après quoi, ils m'ont abandonnée là. Je souffrais beaucoup et je n'avais plus la force de marcher».

Une femme de 30 ans, mère de quatre enfants, d'un village proche de Minova a déclaré à Human Rights Watch qu'alors qu'elle préparait le dîner au soir du 22 novembre, elle a entendu des coups de feu. Quatre militaires en uniforme sont entrés dans la maison et se sont mis à piller. Ils ont ligoté son mari par les mains et les pieds et l'ont attaché à la porte, puis l'ont frappé à coups de crosse de fusil :
Ils ont dit : «Donnez-nous de l'argent. Donnez tout ce que vous avez». Puis ils m'ont tous violée. Ils ont dit que si je résistais, ils me tueraient. La chambre n'avait pas de porte, donc [les enfants] pouvaient facilement voir ce qui se passait. Depuis lors, mon mari m'a abandonnée. Il dit qu'il ne peut plus rester avec moi car il a vu comment ils m'ont violée. 
Les unités de l'armée qui ont combattu le M23 près de Goma en novembre 2012 et qui ont par la suite battu en retraite vers Minova, comprennent les régiments 802, 804, 806 et 810 et les 391ème et 41ème bataillons de commando de la 8ème région militaire au Nord-Kivu. Les bataillons 1006 et 1008 de la 10ème région militaire au Sud-Kivu se trouvaient également dans le secteur, mais les dates de leur arrivée à Minova ne sont pas claires. En outre, des militaires de la Garde républicaine, de la police militaire et d'un bataillon d'état-major de la 8ème région militaire étaient aussi présents dans ce secteur à l'époque.

Le 4 février 2013, la mission de maintien de la paix de l'ONU en RD Congo, la MONUSCO, a entamé une procédure visant à suspendre l'appui des Nations Unies aux 41ème et 391ème bataillons de l'armée congolaise, en conformité avec la Politique onusienne de diligence voulue en matière de droits de l'homme concernant l'appui de l'ONU à des forces de sécurité non onusiennes, qui interdit à l'Organisation internationale de soutenir des unités militaires responsables de graves violations des droits humains. Les 391ème et 41ème bataillons étaient des unités de forces spéciales qui avaient été formées par les États-Unis et par l'Afrique du Sud, respectivement.

En mars 2013, apparemment en réponse à la pression internationale, la ministre de la Justice et Droits Humains a annoncé que 12 officiers de l'armée avaient été suspendus dans l'attente des résultats des enquêtes sur les incidents de Minova. Suite à cette annonce, l'ONU a suspendu sa procédure de retrait de son appui aux 41ème et 391ème bataillons. Cependant, des entretiens menés par Human Rights Watch avec des officiers de l'armée et des autorités gouvernementales ont permis de constater que beaucoup des officiers qui étaient censés avoir été suspendus étaient toujours en service actif dans l'armée, et que certains d'entre eux n'avaient peut-être même pas été présents dans la région de Minova pendant les attaques.

Le 20 novembre 2013 – un an après les crimes – la Cour militaire opérationnelle (CMO) a entamé le procès de 39 militaires, dont cinq officiers de haut rang, pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre, notamment viols, meurtres et pillages, commis à Minova et dans les environs entre le 20 et le 30 novembre 2012. Le verdict a été annoncé le 5 mai 2014 et seuls deux soldats de rang subalterne ont été déclarés coupables de viol. En outre, 22 militaires ont été reconnus coupables de pillage et de désobéissance aux ordres et un seul de meurtre. Treize autres officiers ont été acquittés.

Le procès des incidents de Minova a cependant eu quelques aspects positifs, notamment le recours direct à la définition des crimes et des formes de responsabilité contenue dans le Statut de Rome, le traité fondateur de la Cour pénale internationale. La procédure a été dirigée par un juge militaire expérimenté, qui avait travaillé sur plusieurs dossiers de viol et de crimes de guerre, notamment dans le procès du colonel Kibibi mentionné plus haut. Il a ordonné des mesures de protection pour les victimes de violences sexuelles, y compris la tenue de séances à huis clos et l'autorisation donnée aux victimes de dissimuler leur visage lors de leur comparution en tant que témoins. La participation des victimes aux audiences du tribunal a été importante. Mais malgré ces éléments positifs, la justice n'a toujours pas été rendue pour la grande majorité des victimes. De graves lacunes dans les enquêtes ont eu pour conséquence que les éléments de preuve présentés lors du procès se sont révélés insuffisants. Des cas d'ingérence de la part d'officiers de haut rang ont été signalés, ainsi qu'une certaine réticence à ouvrir des enquêtes et des poursuites judiciaires contre les officiers les plus gradés qui ont encore des responsabilités de commandement.

Viols commis par le M23 à Goma, en novembre 2012

Lors de l'occupation par le M23 de la capitale provinciale, Goma, et des zones alentour, du 19 novembre au 2 décembre 2012, les combattants du M23 ont violé au moins 36 femmes et filles, dont au moins 18 femmes de militaires ainsi qu'une fillette de 10 ans, qui a succombé à ses blessures au lendemain de son viol. Lors de la nuit suivant leur retrait officiel de Goma, les 1er et 2 décembre, les M23 ont attaqué un camp de personnes déplacées situé à la périphérie de Goma et ont violé au moins 13 femmes qui y vivaient.

Une femme âgée de 32 ans a déclaré à Human Rights Watch que le 19 novembre, la rumeur s'était répandue que des combattants du M23 s'approchaient de son quartier. Elle a cherché à fuir mais elle a été interceptée par des combattants du M23 :
«Ils étaient armés, portaient des uniformes militaires et parlaient kinyarwanda [la langue du Rwanda]. Ils étaient nombreux.… Ils nous ont ordonné de déposer ce que nous emportions et de les suivre sur un sentier vers le haut d'une colline. Ils ont abattu une des femmes qui étaient avec nous, puis ils m'ont emmenée de force au sommet de la colline. Il y avait de nombreux combattants là-bas; plus de 30. Certains avaient des lance-roquettes et d'autres avaient des armes plus légères. Certains étaient en uniforme, d'autres pas; ils portaient des ponchos. Ils parlaient kinyarwanda, et je ne comprends pas cette langue. 
J'étais à genoux et je les suppliais de ne pas me tuer. J'ai essayé de négocier avec eux pour qu'ils ne m'exécutent pas. Puis ils m'ont giflée et m'ont ordonné de me déshabiller. J'ai été violée par le commandant qui était entouré de son escorte. Tous les combattants qui se trouvaient sur la colline ont vu la scène. Quand il a fini, il a dit aux autres de continuer à me violer. Quand ils ont fini, ils m'ont dit de partir. Ils m'ont dit que si j'osais en parler ne serait-ce qu'à une seule personne, ils reviendraient pour me tuer».
Les autorités judiciaires ont émis des mandats d'arrêt contre plus d'une dizaine de dirigeants du M23 pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Beaucoup sont recherchés pour des crimes de violence sexuelle, bien que les mandats ne précisent pas à quel incident particulier ils se rapportent. À l'exception de Ntaganda qui est en attente de jugement devant la CPI (cf. plus haut), les chefs de haut rang du M23 sont toujours en liberté. La plupart se trouvent actuellement en Ouganda ou au Rwanda. À la connaissance de Human Rights Watch, ni les autorités ougandaises ni les autorités rwandaises n'ont pris de mesures pour enquêter sur le rôle de ces individus dans la commission ou la supervision de graves violations des droits humains ou pour faire en sorte qu'ils soient traduits en justice. Aucune mesure n'a été prise non plus pour enquêter sur l’éventuelle complicité de crimes de guerre de certaines autorités rwandaises ayant apporté un appui militaire au M23, un groupe armé responsable de nombreuses exactions, jusqu'à sa défaite en 2013.

Viols de masse commis par les Maï Maï Kifuafua à Karete et à Musenge, dans le territoire de Walikale, en juillet 2013

Les Maï Maï Kifuafua sont un groupe d'auto-défense local dont les membres appartiennent en majorité à l'ethnie Tembo et qui opère dans le sud-est du territoire de Walikale et dans le nord du territoire de Kalehe, dans une région bordant les provinces du Nord et du Sud-Kivu. Dirigé par Delphin Mbaenda, ce groupe a commis de nombreuses exactions graves, notamment des violences sexuelles.

L'une des pires attaques perpétrées récemment par ce groupe a eu lieu dans le village de Karete, dans le territoire de Walikale, dans la nuit du 2 au 3 juillet 2013, où des combattants des Maï Maï Kifuafua ont violé au moins 25 femmes et filles. Le nombre exact des victimes pourrait être beaucoup plus élevé car de nombreuses femmes ont fui le village et n'y sont pas retournées, de peur d'être stigmatisées par leurs familles ou leurs voisins. Au moins six des victimes étaient des enfants; la plus jeune avait 14 ans. Une femme âgée de 37 ans a décrit comment trois combattants Maï Maï Kifuafua sont entrés dans sa maison à 1h00 du matin, alors que des coups de feu retentissaient dehors. Les combattants ont violé cette femme ainsi que sa fille de 15 ans. Ils ont volé tous leurs biens et ont incendié leur maison.

Lors de la même nuit, des combattants Maï Maï Kifuafua ont également attaqué le village de Musenge et ont violé des femmes. L'une d'elles, âgée de 32 ans et qui était en visite à Musenge, a raconté à Human Rights Watch :
«C'étaient les Maï Maï Kifuafua. Ils sont venus à 20h. Ils n'avaient ni honte, ni peur et ils ont continué leur attaque jusqu'à 2h00 du matin. Quand ils sont venus dans notre maison, ils m'ont violée devant mes enfants; l'un est âgé de 8 ans et l'autre de 10 ans. J'étais enceinte d'un mois à l'époque. Une voisine avait eu un bébé deux jours avant l'attaque. Ils l'ont violée et elle est morte peu après de ses blessures. Ma jeune sœur était avec son bébé âgé de deux mois. Quand les assaillants se sont approchés d'elle, ils ont dit qu'ils allaient suspendre son bébé à une lance pour montrer qu'ils étaient venus pour travailler, pas pour s'amuser. Quand ma sœur les a suppliés de ne pas le faire, ils ont sévèrement battu le bébé, le prenant par les jambes et le projetant violemment au sol. Puis ils ont violé ma sœur. Maintenant, son bébé est paralysé».
Lors de la même attaque, les combattants Maï Maï Kifuafua ont forcé une fillette de 11 ans à sortir de sa maison. Elle a expliqué à Human Rights Watch comment un combattant avait forcé la porte de la maison à l'aide d'un couteau fixé au bout de son fusil. Il lui a demandé de l'argent :
«J'ai dit que je n'avais rien. Après cela, deux autres sont venus et m'ont traînée de force hors de la maison. J'ai appelé mon père mais il n'a pas répondu. Puis les combattants m'ont déshabillée. Ils m'ont forcée à m'étendre par terre et ont commencé à me violer. Ils m'ont violée tous les trois. Ils me giflaient et menaçaient de me couper la tête. Ils m'ont dit qu'ils me tueraient si je continuais à crier. Jusqu'à ce jour, j'ai des cauchemars. Quand je vais au village, les gens se moquent de moi. Ils disent que je suis la femme d'un Maï Maï».
Human Rights Watch n'a connaissance d'aucun effort de la part des autorités congolaises pour enquêter sur ces attaques ou pour arrêter et poursuivre en justice les responsables.

Viols commis par l'armée dans le territoire de Rutshuru, en novembre 2013

Alors que l'armée reprenait pied dans des territoires précédemment contrôlés par le M23 à la fin d'octobre et en novembre 2013, les militaires ont commis de nombreuses exactions dans le territoire de Rutshuru, dont au moins 41 viols. La plupart des viols ont été commis entre le village de Kalengera et la cité de Bunagana.

Deux cousines âgées de 13 ans ont été violées par des militaires qui sont entrés de force dans leur maison le 27 octobre à 4h00 du matin. L'une d'elles a dit à Human Rights Watch :
«Nous avons entendu les militaires frapper à la porte, puis ils sont entrés. Ma cousine et moi dormions dans une pièce, ma tante et ma grand-mère dormaient dans une autre. Les militaires ont d'abord volé 3 000 francs [environ 3,30 dollars] à ma tante. Puis ils sont entrés dans la chambre où on dormait. Ils nous ont demandé de nous déshabiller; nous avons refusé. Ils ont dit qu'ils allaient nous tuer. Nous avions très peur. Ma cousine s'est déshabillée mais j'ai continué à refuser. Ils m'ont arraché mes vêtements et nous ont violées toutes les deux. J'ai été violée par deux hommes, ma cousine par un homme».
Beaucoup de ces viols ont été commis par des troupes du 601ème régiment de l'armée congolaise placé sous le commandement du colonel Ramazani Lubinga. Cette unité était stationnée à Tongo, dans le territoire de Rutshuru, avant de s'établir à Bunagana, à la frontière de l'Ouganda, peu après que le M23 eut quitté la ville en octobre 2013. Elle est retournée à Tongo entre la mi-février et le début de mars 2014.

Le 8 février 2014, un lieutenant, un capitaine et un caporal du 601ème régiment ont été déclarés coupables de viol à la suite d'une audience foraine du tribunal militaire de la garnison de Rutshuru, pour des viols commis à Rugari, non loin d'un centre de détention militaire, en décembre 2013. À la connaissance de Human Rights Watch, aucun militaire n'a été arrêté ni poursuivi en justice pour les viols commis fin octobre et en novembre après la défaite du M23, et aucun effort n'a été fait pour enquêter sur des commandants de haut rang qui pourraient avoir une responsabilité de commandement dans ces viols.

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RECOMMANDATIONS

Human Rights Watch appelle le Gouvernement congolais, les bailleurs de fonds et les autres partenaires à soutenir les efforts suivants afin d'assurer que les individus responsables des incidents décrits plus haut, ainsi que d'autres crimes de violence sexuelle, soient traduits en justice dans le cadre de procès équitables et crédibles.

1. Appuyer la création des Chambres spécialisées mixtes

Compte tenu du nombre limité d'affaires que la Cour pénale internationale peut traiter et de la faible capacité et du manque d'indépendance du système judiciaire congolais, Human Rights Watch est convaincu qu'un nouveau mécanisme est nécessaire pour poursuivre les auteurs de crimes de violence sexuelle et d'autres violations graves des droits humains. Les Chambres spécialisées mixtes proposées par le Gouvernement congolais seraient créées au sein du système judiciaire national, avec pour mandat de poursuivre les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis en RD Congo au cours des deux dernières décennies. Elles seraient dotées de juges et d'autres personnels congolais et étrangers, le personnel non congolais étant peu à peu remplacé par des Congolais à mesure que les chambres gagneraient en légitimité, en crédibilité et en indépendance.

Un projet de loi a été adopté en Conseil des ministres le 22 avril 2014 et présenté le 2 mai à l'Assemblée nationale. Invoquant des préoccupations d'ordre technique, les membres du parlement ont considéré le texte comme non recevable, le 8 mai. Les autorités gouvernementales se sont engagées à corriger les erreurs techniques et à soumettre de nouveau le projet amendé au parlement.

2. Soutenir la création d'un mécanisme de «vetting» ou de contrôle afin d’exclure des rangs des forces de sécurité les individus responsables de graves violations des droits humains

Des membres des forces de sécurité congolaises sont responsables de certaines des pires exactions commises en RD Congo au cours des deux dernières décennies, notamment des massacres perpétrés sur la base de l'appartenance ethnique, des exécutions sommaires, des viols de masse, des actes de torture, des arrestations arbitraires et des enlèvements. Cette tendance est due en partie au fait que justice a été insuffisamment rendue pour les crimes du passé et à une politique consistant à intégrer d'anciens rebelles dans les rangs de l'armée nationale sans véritable formation et sans qu'un contrôle soit effectué pour établir s'ils ont été impliqués dans le passé dans des violations des droits humains. Bien que des progrès aient été effectués ces dernières années en matière de poursuites judiciaires, la grande majorité des militaires et des policiers responsables de graves abus en RD Congo demeurent impunis et beaucoup d'entre eux sont toujours en fonction.

Il sera difficile de mettre fin aux cycles de violence en RD Congo tant que les individus responsables de graves exactions n'auront pas été destitués des forces de sécurité et traduits en justice. À cette fin, la création d'un mécanisme de «vetting» devrait être une composante centrale d'une Réforme du secteur de la sécurité en RD Congo. Un tel mécanisme permettrait d’exclure des rangs des forces de sécurité les auteurs de graves violations des droits humains, et de soutenir les efforts visant à constituer des forces disciplinées, respectueuses des droits et qui protègent la population civile.

3. Réparations

D'autres mécanismes visant à soutenir les victimes de violences sexuelles et d'autres violations graves des droits humains devraient être examinés, y compris un programme complet de réparations. Conformément au droit pénal congolais, les tribunaux civils et militaires qui poursuivent les auteurs de viols ordonnent systématiquement que les accusés qu'ils déclarent coupables paient des amendes. Mais ces individus affirment habituellement qu'ils ne sont pas en mesure de verser des dommages et intérêts aux victimes. Quand des membres des forces armées sont déclarés coupables de viols et d'autres crimes graves, l'État est lui aussi condamné «in solidum» (en raison de sa responsabilité solidaire pour des actes commis par l'armée, qui est une institution publique). Toutefois, d’après les informations disponibles, l'État congolais n'a pas payé de telles réparations jusqu'à ce jour. Outre les amendes individuelles en argent liquide, d'autres formes de réparations devraient être envisagées, notamment des indemnisations au niveau de la communauté (comme la construction d'écoles, l'accès à des traitements médicaux et des projets destinés à offrir des possibilités économiques à des femmes abandonnées par leurs familles). Le Gouvernement devrait ouvrir dans la transparence de larges consultations avec des experts dans le domaine des réparations et avec des groupes représentant les victimes, afin de mettre sur pied un programme de réparations qui bénéficierait du soutien populaire et d'une vraie légitimité.

4. Protéger les victimes et les témoins

Trop souvent, les victimes et les témoins de violences sexuelles et d'autres graves exactions sont menacés, intimidés ou agressés physiquement par leurs assaillants ou par des membres du même groupe armé ou de la même unité de l'armée, ce qui rend encore plus difficile pour eux de chercher à obtenir justice. Des efforts plus importants sont nécessaires pour protéger les victimes et les témoins qui sont susceptibles de vouloir témoigner. Les expériences récentes des procès des accusés des violences sexuelles de Fizi et Minova, lors desquels des audiences se sont tenues à huis clos et l'identité des victimes a été gardée secrète, constituent de bonnes pratiques qui devraient être suivies lors de futurs procès. Même si l'identité des victimes doit être connue des avocats de la défense afin que les droits des accusés soient respectés, les magistrats devraient être prêts à agir si cette information fait l'objet de fuites ou est utilisée pour intimider les victimes, en recourant à des provisions de la loi congolaise qui considèrent comme un crime l'intimidation ou la subornation de témoins.

5. Assurer que les droits des accusés soient respectés, y compris le droit d’appel

La plupart des procès pour crimes de violence sexuelle qui se sont déroulés jusqu'ici en RD Congo ont eu tendance à être expéditifs et les droits des accusés n'ont pas toujours été respectés. Il est fréquent que les accusés n'aient pas accès à un avocat de leur choix doté d'une expertise reconnue en matière de défense contre des accusations de viol ou de crimes contre le droit international. La loi congolaise comporte des dispositions prévoyant une assistance juridique d'office pour les accusés indigents mais dans la pratique, le financement nécessaire n'est presque jamais débloqué, ce qui limite encore davantage les possibilités pour l'accusé d'être assisté.

Il y a également eu des cas dans lesquels il semble que les individus jugés pour des viols n'en étaient pas les véritables auteurs, mais qu'ils étaient poursuivis soit parce que les autorités voulaient montrer qu'elles agissaient, soit parce qu'ils avaient été sacrifiés pour protéger leurs commandants. Certains accusés se sont également vu dénier leur droit d'appel. Le procès de 39 militaires accusés d'avoir participé à des viols de masse près de Minova s'est déroulé devant la Cour militaire opérationnelle – un tribunal militaire d'exception destiné à juger les personnes accusées de crimes commis pendant des opérations militaires, créé par décret gouvernemental et dont les jugements sont sans appel. Le droit d'appel fait partie du droit fondamental à un procès équitable et doit être respecté.


HRW, République Démocratique du Congo : mettre fin à l'impunité pour les violences sexuelles. Nécessité d'un nouveau mécanisme judiciaire pour traduire les responsables en justice, New York, juin 2014 (27 pp.)


Source : HRW

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