14 juin 2014

ACTU : La CPI renvoie Laurent Gbagbo en procès

Kadidiatou HAMA

Le 12 juin 2014, la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale (CPI) a confirmé, à la majorité, quatre charges de crimes contre l'humanité (meurtre, viol, autres actes inhumains ou – à titre subsidiaire – tentative de meurtre, et persécution) à l'encontre de Laurent Gbagbo et l'a renvoyé en procès devant une chambre de première instance. La Chambre préliminaire I est composée de la juge Silvia Fernández de Gurmendi, juge présidente, du juge Hans-Peter Kaul, et de la juge Christine Van den Wyngaert, cette dernière ayant adopté une opinion dissidente.

Laurent Gbagbo, ancien Président de la Côte d'Ivoire, a été remis à la CPI le 30 novembre 2011 et sa première comparution devant la Chambre préliminaire a eu lieu le 5 décembre 2011. Suite à l'audience de confirmation des charges (tenue du 19 au 28 février 2013), la Chambre préliminaire I a, à la majorité, ajourné l'audience et demandé au Procureur d'envisager de fournir des preuves supplémentaires ou de mener de nouvelles enquêtes concernant les charges portées contre Laurent Gbagbo. Conformément à un calendrier établi, la Chambre a reçu des éléments de preuves supplémentaires et des observations du Procureur, de la Défense et du Représentant des victimes.

La Chambre préliminaire I a soigneusement examiné tous les éléments de preuve soumis par les parties, qui comprenaient les déclarations de 108 témoins, plus de 22 000 pages d'autres preuves documentaires, ainsi qu'une grande quantité de matériel audio et vidéo. La Chambre a conclu qu' il y avait des motifs substantiels de croire que Laurent Gbagbo est pénalement responsable de quatre chefs de crimes contre l'humanité que constituent le meurtre, le viol, les autres actes inhumains ou – à titre subsidiaire – la tentative de meurtre, et la persécution perpétrés à Abidjan, Côte d'Ivoire. Ces actes auraient été perpétrés entre le 16 et 19 décembre 2010 pendant et après une marche de partisans d'Alassane Ouattara qui se rendaient au siège de la Radiotélévision Ivoirienne (RTI), le 3 mars 2011 lors d'une manifestation de femmes à Abobo, le 17 mars 2011 par bombardement au mortier d'un secteur densément peuplé d'Abobo, et le 12 avril 2011 ou vers cette date à Yopougon.

M. Gbagbo aurait engagé sa responsabilité pénale individuelle pour ces crimes contre l'humanité, conjointement avec les membres de son entourage immédiat, et par l'intermédiaire des forces pro-Gbagbo (article 25(3)(a) du Statut), ou à titre subsidiaire, en ordonnant, sollicitant ou encourageant la commission de ces crimes (article 25(3)(b) du Statut de Rome), ou à titre subsidiaire, en contribuant de toute autre manière à la commission de ces crimes (article 25(3)(d) du Statut).

Sous réserve du droit du Procureur et de la Défense de demander l'autorisation d'interjeter appel, la Présidence de la CPI constituera une chambre de première instance en temps utile.

L'avocat de l'ex-chef de l'État ivoirien, Me Emmanuel Altit, a dit se féliciter de cette décision, affirmant que son client "voulait un procès" afin que "la vérité soit dévoilée". Le camp Gbagbo se dit en outre "en position de force juridique", l'un des trois juges qui a statué s'étant prononcé contre la tenue du procès en raison d'"éléments de preuve encore insuffisants". "Cet évènement sera l'occasion de faire de le procès de tous ceux qui ont déstabilisé la Côte d'Ivoire, de tous ceux qui avaient un intérêt à répandre la violence. En somme, des tenants de la Françafrique", a également réagi le conseil de l'ancien président auprès de Jeune Afrique.


Premier ex-chef d'État poursuivi par la CPI, Laurent Gbagbo, 69 ans, est accusé d'avoir fomenté une campagne de violences dans le but de conserver, en vain, le pouvoir à l'issue de la présidentielle de novembre 2010. Il assure en avoir été évincé en faveur de son rival Alassane Ouattara, à la suite d'un complot mis sur pied par la France, ancienne puissance coloniale en Côte d'Ivoire. "Ce procès sera celui de la Françafrique, de la manipulation, des arrangements, de ceux qui ont voulu une guerre pour servir des intérêts particuliers", a affirmé Me Altit. Plus de 3 000 personnes ont été tuées en cinq mois de violences.

Le porte-parole du Gouvernement ivoirien, Bruno Koné, a lui salué le fait que la Cour "se donne les moyens de dire la justice". "On espère que cela va permettre de ramener de la sérénité chez tout le monde", a-t-il observé.

Très attendue en Côte d'Ivoire, la décision de la CPI met fin à plus d'un an de procédures préliminaires destinées à déterminer si Laurent Gbagbo devait être jugé ou non. "Monsieur Gbagbo sait très bien que c'est sous sa responsabilité que beaucoup d'atrocités ont été commises en Côte d'Ivoire. C'est tout à fait normal qu'il soit jugé", a déclaré Joël N'Guessan, porte-parole du Rassemblement des républicains, le parti d'Alassane Ouattara. "Enfin, la justice internationale reconnaît notre existence", s'est de son côté félicité Issiaka Diaby, qui dirige un collectif de victimes.
Les juges avaient entendu en février 2013 les arguments des parties quant à la solidité du dossier. Insuffisamment convaincus par le procureur, les juges lui avaient demandé des éléments supplémentaires pour décider si un procès devait avoir lieu. Après avoir examiné plus de 22 000 pages de preuves et les déclarations de 108 témoins, ils ont finalement décidé de renvoyer Laurent Gbagbo devant une chambre de première instance.


La CPI détient également Charles Blé Goudé, qui fut un homme-clé du régime Gbagbo à la tête du mouvement des "Jeunes patriotes". Lui aussi est soupçonné de crimes contre l'humanité, comme l'ancienne Première dame Simone Gbagbo, que le régime ivoirien a refusé de livrer à La Haye.

La CPI, comme la justice ivoirienne, ont jusqu'à présent inquiété le camp Gbagbo alors que, parmi les soutiens du président Ouattara, des ex-chefs de guerre sont également accusés de graves crimes. Les partisans de Laurent Gbagbo et des organisations de la société civile dénoncent donc une "justice des vainqueurs".

Laurent Gbagbo compte toujours de nombreux partisans en Côte d'Ivoire. Son parti, le Front populaire ivoirien (FPI), a confié dans un communiqué son "amertume face à une décision qui ne contribue guère à la réconciliation nationale". "Ce jeudi 12 juin est un jour triste pour la Côte d’Ivoire", a-t-il regretté.

Sources : CPI/AFP

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