9 avril 2016

ACTU : Dénonçant des manquements graves dans la décision d'acquitter Vojislav Seselj, le procureur du TPIY décide d’interjeter appel

Catherine MAIA

Après l'acquittement prononcé, le 31 mars 2016, par la Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) de l’ultranationaliste serbe Vojislav Seselj de toutes les accusations pesant contre lui pour son rôle dans les guerres qui déchirèrent l’ex-Yougoslavie dans les années 1990, le procureur du Tribunal, Serge Brammertz, a annoncé, le 6 avril, que son Bureau fera appel de cette décision, marquée selon lui de manquements graves à l'exercice de la justice.

Lors du prononcé du jugement, le juge Jean-Claude Antonetti a expliqué que « l’accusation n’a pas présenté de preuves suffisantes pour établir que les crimes ont été commis », ajoutant qu’« avec cet acquittement sur l’ensemble des neuf chefs d’accusation, le mandat d’arrêt n’a plus d’objet : Vojislav Seselj est donc un homme libre à la suite de ce verdict ». Cet acquittement permet ainsi à l’ancien député, tête de liste de son parti pour les élections anticipées du 24 avril prochain, de se présenter sans entraves.

Vojislav Seselj, aujourd’hui âgé de 61 ans, était accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre pour avoir, selon le procureur du TPIY, « propagé une politique visant à réunir tous "les territoires serbes" dans un Etat serbe homogène, qu’il appelait la "Grande Serbie" ». Pour l’accusation, ce proche de l'ancien président serbe Slobodan Milosevic mort dans sa prison néerlandaise il y a dix ans avant la fin de son procès devant le TPIY, porte la responsabilité de multiples meurtres, persécutions, transferts forcés et tortures notamment, commis en Bosnie, en Croatie et en Serbie.

La majorité des juges de la Chambre de première instance du TIIY a admis que Vojislav Seselj était effectivement « animé de la ferveur politique de créer la Grande Serbie ». De fait, il personnifiait le nationalisme serbe dans les conflits en Croatie (1991-1995) et en Bosnie (1992-1995), lesquels ont fait 20.000 morts en Croatie et 100.000 morts en Bosnie, et qu'il a alimentés par ses discours enflammés. Néanmoins, d’après les juges cela « ne procédait pas d’un dessein criminel », car « la propagande d’une idéologie "nationaliste" n’est pas en soi criminelle ».

En outre, bien que des crimes aient été commis, Vojislav Seselj n’était pas « le chef hiérarchique » des milices de son parti placées sous le contrôle de l’armée régulière, de sorte qu’il ne peut pas être tenu « pénalement responsable » de leurs actes. « Il existe une possibilité raisonnable que l’envoi de volontaires visait la protection des Serbes » et était motivé par « le soutien à l’effort de guerre ».

Fait rare au TPIY, la juge Flavia Lattanzi, l'un des trois présidents de la Chambre, a tenu à afficher son opposition à ce verdict d’acquittement. Elle accuse Vojislav Seselj et ses partisans de manœuvres d'intimidation contre les témoins à charge. A cet égard, Vojislav Seselj qui avait plusieurs fois insulté juges et dénoncé la légitimité du TPIY, avait dévoilé les noms de témoins protégés, ce qui lui avait valu d'être condamné à trois reprises, respectivement à deux ans, dix-huit mois et quinze mois de prison.

Aussitôt, le Premier ministre croate, Tihomir Oreskovic, a fait part de son incompréhension : « Ce verdict est une honte », a-t-il déclaré lors d'une visite à Vukovar, ville croate assiégée en 1991 par les forces serbes. Le ministère croate de l'Intérieur a également annoncé que Seselj était déclaré persona non grata en Croatie, de manière permanente, car il représente « une menace pour l'ordre public ».

Ce jugement place le TPIY sous le feu des projecteurs, quelques jours seulement après, d'une part, la condamnation à 40 ans de prison de Radovan Karadzic, le chef politique des Bosno-Serbes, pour sa responsabilité dans les politiques de nettoyage ethnique, condamnation dont il a l’intention de faire appel et, d'autre part, l’emprisonnement burlesque à 5 jours de prison de la journaliste française Florence Hartmann, qui avait divulgué dans son livre Paix et châtiment de 2007 deux décisions confidentielles du TPIY montrant que ce dernier avait abusivement conservé sous le sceau du secret des documents remis par Belgrade, utilisés dans le procès de Slobodan Milosevic, lesquels tendraient à démontrer l’implication de l’Etat serbe dans le massacre de 8.000 musulmans à Srebrenica en 1995.

Dans un communiqué de presse, le procureur du TPIY, Serge  Brammertz a proclamé : « Après avoir examiné à l'écrit les motifs donnés par la majorité de la Chambre de première instance concernant l'acquittement de Vojislav Seselj, mon Bureau a décidé de faire appel du jugement ». « Étant donné l'ampleur des erreurs que nous avons identifiées dans le jugement majoritaire, nous tenons à souligner aux victimes des crimes que cet appel est une priorité absolue pour ce Bureau ».

Le procureur du TPIY a dénoncé un « manquement fondamental de la majorité » des juges dans l'exercice de la fonction judiciaire : « La majorité a omis de statuer correctement sur les éléments essentiels de la thèse de l'accusation, y compris en ne tenant pas compte d'une grande partie du dossier de preuve ; en ne fournissant pas de motifs appropriés pour étayer ses conclusions ; en n'appliquant pas correctement la norme juridique "au-delà de tout doute raisonnable" ; en omettant d'examiner les accusations portées contre Vojislav Seselj à la lumière de la nature généralisée des crimes établis ; en ne faisant pas la distinction entre l'objectif politique ultime poursuivi par les membres de l'entreprise criminelle commune et les moyens criminels employés pour y parvenir ; en faisant des constatations de fait déraisonnables et contradictoires ; et en n'appliquant pas correctement les éléments de modes de responsabilité, tels que l'entreprise criminelle commune et la complicité, conformément à la jurisprudence établie », a déclaré Serge Brammertz.

Le procureur du TPIY a également regretté que la majorité ait ouvert la voie à la possibilité de considérer que la conduite criminelle ait pu n'être qu'une simple contribution légitime à l'effort de guerre, en dépit de l'ensemble des preuves disponibles prouvant le contraire : « À notre avis, cela a conduit la majorité à créditer de façon déraisonnable la thèse selon laquelle : l'expulsion des civils était un geste humanitaire ; les discours de haine incendiaires servaient tout simplement à remonter le moral des forces serbes ; et le déploiement des forces de nettoyage ethnique était une mesure pour protéger la population serbe ».

Serge Brammertz a estimé que la conclusion de la majorité des juges selon laquelle il n'y a eu aucune attaque généralisée ou systématique contre la population civile dans certaines parties de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine – un pré-requis pour les accusations de crime contre l'humanité – manifeste un profond mépris pour le grand nombre de crimes démontrés lors du procès.

Le procureur du TPIY a insisté sur son intention de faire en sorte que cet appel soit plaidé de manière efficace et équitable, conformément à la procédure d'appel prescrite dans le Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux. Cela, d’autant plus que cette décision vient à la suite d’une longue série de récents acquittements en appel, venant casser de lourdes peines infligées en première instance.

Ainsi, le 16 novembre 2012, les généraux croates Ante Gotovina et Mladen Markac étaient acquittés en appel, alors qu’ils avaient été condamnés en première instance respectivement à 24 et 18 ans de prison et qu’aucun fait nouveau n’avait été porté à la connaissance du Tribunal. Le 29 novembre 2012, l’ancien commandant de l’Armée de libération du Kosovo, Ramush Haradinaj, était également blanchi par le TPIY, à l’issue d’une longue saga judiciaire au cours de laquelle neuf témoins-clefs sont décédé, tandis que d’autres se sont volatilisé ou rétracté. Le 28 février 2013, l’ancien chef d’état-major de l’armée de Serbie, le général Momcilo Perisic, était acquitté en appel, après avoir été reconnu coupable de crimes contre l’humanité et crimes de guerre et condamné en première instance à 27 ans de prison. Enfin, le 30 mai 2013, c’était au tour de l’ancien chef du renseignement serbe Jovica Stanisic et de son adjoint Franko Simatovic d’être acquittés. Ces deux personnages-clés du régime de Slobodan Milosevic étaient poursuivis pour leur rôle dans le massacre de Srebrenica en juillet 1995, où les « Scorpions », une unité spéciale de la police placée sous leur responsabilité hiérarchique directe, avait joué un rôle essentiel.

Cette longue série d’acquittements pourrait s’expliquer par l’abandon du principe de la responsabilité de commandement, initialement privilégié par le TPIY pour éviter de juger uniquement les responsables subalternes. A l’initiative d’un tel revirement se trouverait le juge américain Theodor Meron, président du TPIY entre 2003 et 2005, et à nouveau depuis 2011, qui a notamment été l’objet d’une lettre virulente de la part d’un ancien juge danois, Frederik Harhoff. On sait les Etats-Unis particulièrement hostiles au principe même d’une justice internationale pénale permanente en général et au principe de la responsabilité de commandement en particulier, qui pourrait être retenue contre eux dans des conflits comme en Irak ou en Afghanistan.


Les magistrats du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ont acquitté jeudi l'ultranationaliste serbe Vojislav Seselj de tous les chefs d'accusation de crimes de guerre et crimes contre l'humanité qui le visaient. /Photo prise le 31 mars 2016/REUTERS
Vojislav Seselj, Reuters, avril 2016

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