14 octobre 2016

ACTU : Le Burundi décide de se retirer du Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale

Catherine MAIA

Le 12 octobre, le Parlement burundais a voté à une écrasante majorité le projet de loi prévoyant le retrait du pays de la Cour pénale internationale (CPI). Le texte, qui doit encore être officiellement promulgué par le Président de la République, Pierre Nkurunziza, a été approuvé par 94 voix sur 110 à l’Assemblée nationale et à l’unanimité au Sénat au terme d’une procédure accélérée. Aucun Etat Partie au Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI, ne s’était jusqu’à présent engagé sur une telle voie.

Pays de la région des Grands Lacs, le Burundi est plongé dans une grave crise politique et humanitaire depuis que Pierre Nkurunziza a annoncé, en avril 2015, sa candidature à un troisième mandat présidentiel, avant d'être réélu trois mois plus tard. 

Le 25 avril 2016, après un an de crise marquée par une répression féroce de l’opposition contestant la réélection du Président, la Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a décidé l’ouverture d’un examen préliminaire sur les violences et les crimes commis depuis avril 2015. Plus de 430 personnes auraient été tuées, 3 400 personnes au moins auraient été arrêtées et plus de 230 000 Burundais auraient été contraints de se réfugier dans des pays voisins, selon les chiffres communiqués par la CPI.

« Mon bureau a examiné un certain nombre de communications et de rapports faisant état de meurtres, d’emprisonnements, d’actes de torture, de viols et autres formes de violences sexuelles, ainsi que de cas de disparitions forcées », soulignait alors la Procureure. Et d’ajouter : « Je suis de près la situation au Burundi et j’ai exhorté à plusieurs reprises toutes les parties impliquées à ne pas céder à la violence. Je les ai prévenues que les personnes qui commettraient des crimes relevant de la compétence de la CPI pourraient être tenues responsables à titre individuel ».

Selon plusieurs ONG de défense des droits humains, c’est la volonté de se soustraire à la justice internationale pénale qui aurait motivé la décision des autorités burundaises. Ayant signé le Statut de Rome en janvier 1999 avant de le ratifier en septembre 2004, le Burundi a, pour sa part, justifié sa décision en invoquant une atteinte grave et flagrante de sa souveraineté nationale et en mettant en cause la partialité de la CPI : « Cette Cour dont le financement est assuré à plus de 70% par l’Union européenne est devenue un instrument de pressions politiques sur les Gouvernements des pays pauvres ou un moyen de les déstabiliser », a déploré le porte-parole du Gouvernement burundais, Philippe Nzobonariba, dans un communiqué daté du 6 octobre.

La décision de retrait de la CPI constitue un pas supplémentaire vers l’isolement du Burundi qui, après un rapport accablant à l'encontre du Gouvernement, a déclaré le 10 octobre leurs trois auteurs persona non grata à Bujumbura, et a annoncé le lendemain la suspension de sa collaboration avec le Haut Commissariat aux droits de l’Homme de l'ONU. Ce rapport, publié le 20 septembre 2016, accuse Bujumbura d'être responsable de violations des droits humains graves, systématiques et constantes, dont des exécutions extrajudiciaires et des tortures, et met en garde contre de possibles « crimes contre l'humanité » et un « grand danger de génocide ». A la suite de la présentation de ce rapport, le 30 septembre, le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU décidait la création d’une commission internationale d'enquête visant notamment 12 personnalités du régime burundais, dont le numéro deux du pouvoir, le général Alain-Guillaume Bunyoni.

Le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, a demandé au Gouvernement burundais de revenir sur sa décision et a indiqué que le Bureau des droits de l’Homme à Bujumbura, qui emploie 51 personnes, restera ouvert.

Le 13 octobre, le Conseil de sécurité a débattu de la crise au Burundi et a entendu notamment le rapport du Conseiller spécial sur la prévention des conflits, Jamal Benomar. Dans une déclaration à la presse, le Conseil a exprimé sa préoccupation face à la situation au Burundi - en particulier l'absence de progrès pour mettre en oeuvre sa Résolution 2303 de juillet 2016 - et a de nouveau demandé à toutes les parties prenantes d'éviter toute action qui menacerait la paix et la stabilité dans le pays et fragiliserait le dialogue inter-burundais.

Pour l’heure, la décision du Président burundais a été peu commentée par ses homologues africains, dont certains ont plusieurs fois menacé la CPI d’un retrait. En particulier, au cours du 26e sommet de l’Union africaine de janvier 2016, les chefs d’État africains ont adopté la proposition kényane d’élaborer « une feuille de route pour un retrait de la CPI » de la part des 34 États africains Parties au Statut de Rome, mais aucun accord ne s'est dégagé ni sur le calendrier ni sur les modalités.

Pour que le retrait devienne effectif, le Burundi devra adresser une lettre d’intention au Secrétaire général des Nations Unies afin de notifier sa décision. Conformément à l’article 127 du Statut de Rome, le retrait ne sera pas immédiat mais prendra effet un an après réception. 

Par conséquent, les autorités burundaises n’en auront pas fini avec la CPI. D'une part, le Burundi devra continuer à coopérer à toutes les procédures que pourrait entreprendre la Cour. D'autre part, la CPI pourra initier des investigations au moins pendant cette période d’un an, de sorte que l’examen préliminaire pourra inclure tout autre crime qui pourrait être commis sur le territoire national jusqu’à ce que le retrait devienne effectif. 

Passé ce délai d’un an, si la CPI ne pourra plus enquêter de sa propre initiative au Burundi, cela ne suffira pas à mettre le Burundi à l'abri de telles poursuites. De fait, le Conseil de sécurité a la possibilité de déférer des situations d'Etats tiers à la CPI, comme il l'a fait dans les cas du Soudan (Darfour) en 2005 et de la Libye, en 2011, même si le soutien de la Russie à l'égard des autorités burundaises rend peu vraisemblable un tel scénario. 

En devenant le premier État à se retirer du Traité de Rome, le Burundi lance un signal extrêmement négatif à l’égard de la lutte contre l’impunité et de la CPI, confrontée à une fronde grandissante des chefs d’État africains qui l’accusent de néocolonialisme et d’une trop grande focalisation sur leur continent.

La CPI a d'ores et déjà réagi en rappelant que : « Le soutien de la communauté internationale est nécessaire, en Afrique et au-delà, pour que la CPI puisse remplir son mandat. La CPI a été établie avec l’appui massif des États africains pour lutter contre l’impunité pour les crimes atroces ».


Article 127 du Statut de la CPI - Retrait

Tout Etat Partie peut, par voie de notification écrite adressée au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, se retirer du présent Statut. Le retrait prend effet un an après la date à laquelle la notification a été reçue, à moins que celle-ci ne prévoie une date postérieure.

Son retrait ne dégage pas l'Etat des obligations mises à sa charge par le présent Statut alors qu'il y était Partie, y compris les obligations financières encourues, et n'affecte pas non plus la coopération établie avec la Cour à l'occasion des enquêtes et procédures pénales à l'égard desquelles l'Etat avait le devoir de coopérer avant la date à laquelle le retrait a pris effet ; le retrait n'affecte en rien la poursuite de l'examen des affaires dont la Cour était déjà saisie avant la date à laquelle il a pris effet.






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