23 juin 2020

REVUE : "Les enjeux de la qualification des mouvements contestataires", L'Observateur des Nations Unies (vol. 47, 2019)

Gaëtan FERRARA

« But when a long train of abuses and usurpations, pursuing invariably the same Object evinces a design to reduce them under absolute Despotism, it is their right, it is their duty, to throw off such Government, and to provide new Guards for their future security ».

L’esprit de cet extrait de la Déclaration d’indépendance des États-Unis rédigée par Thomas Jefferson est plus souvent évoqué sous la formule when injustice become law, resistance become duty. Cette expression illustre les bouleversements de la seconde moitié du XVIIIème siècle à la suite de mouvements contestataires d’envergure internationale. En Amérique du Nord, les colonies britanniques luttèrent contre leur métropole afin d’accéder à l’indépendance, initiant uno tempore le premier mouvement de décolonisation.

Quelques années plus tard, la Révolution française contesta qu’un Roi soit à la tête de la France et la leur fit perdre. Suivant l’esprit de la formule de Cicéron, salus populi suprema lex esto, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dispose en ses lettres que « [l]e but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Ce qui inspira par la suite la Déclaration universelle des droits de l’Homme dont le préambule assoit « qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression ». 

Si le XVIIIème siècle est fondateur en la matière, le XXème siècle sera quant à lui juridiquement révolutionnaire. L’entre-deux-guerres verra apparaître le principe juridique international du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui, s’il est difficilement appliqué durant cette période, persistera et sera développé par la suite sous les auspices des Nations Unies. Ce droit à l’autodétermination, dont la pression normative fut soutenue par les États-Unis et l’URSS, œuvra en faveur de la décolonisation. Cette autodétermination externe connaît également un penchant interne. En ce sens, la Seconde Guerre mondiale légitima les mouvements de résistance face aux totalitarismes, puis la Guerre froide accentua la valeur accordée aux résistants démocrates et libéraux à l’encontre des régimes autoritaires et communistes. Deux siècles plus tard, les autodéterminations externe et interne illustrent ainsi, respectivement, les émancipations américaine et française de leurs couronnes respectives.

De nos jours, le XXIème siècle fourmille de mouvements contestataires. Ces mouvements prennent des formes variées et défendent des causes qui le sont tout autant. Ainsi certains mouvements peuvent-ils être spontanément générés par la population, quand d’autres s’institutionnalisent selon le cadre juridique en vigueur. Les mouvements contestataires poursuivent des objectifs divers dont les plus médiatisés impliquent la contestation des politiques socio-économiques des gouvernements, en particulier en matière d’environnement, de protection des droits humains et de répartition des richesses ; quand d’autres mouvements ne souhaitent pas, plus radicalement, renverser le pouvoir en place, voire l’idéologie dominante. C’est essentiellement par le truchement de la qualification des méthodes et moyens de contestation que l’État va intervenir pour réguler les menaces à l’ordre public. Si les libertés d’expression, d’association et de manifestation peuvent être protégées par les normes internes et internationales, le degré de violence des contestataires nécessaire à les qualifier de menaces, puis à les réprimer, reste dans une mesure certaine à la discrétion des États. Pour autant, il ne s’agit pas de présumer de la mauvaise foi des autorités puisque certains troubles constituent des dangers manifestes face auxquels l’absence de réaction serait incompatible avec la responsabilité de l’État de protection de sa population.

De l’activisme à l’hacktivisme de la manifestation au terrorisme, de l’opposition à la révolution, quels sont les enjeux de la qualification des mouvements contestataires en droit ? Comment les qualifier ? Peut-on les qualifier ? Le présent volume interroge le cadre normatif au sein duquel évoluent les mouvements contestataires.
Gaëtan Ferrara
[extrait de l'Éditorial]


TABLE DES MATIÈRES

Éditorial, Gaëtan Ferrara

Sophie Baclet-Louvet, Activisme à l’ère du numérique, la reconfiguration du droit à la contestation 
Maria Gudzenko, On the legal status of the russian extra-parliamentary opposition: making a good case before the European Court of Human Rights? 
Manuel Cervera-Marzal, Les nouveaux désobéissants : citoyens ou hors-la-loi ?
Sophie Malliarakis, Fanny Elisabeth Rollet, Construire versus contester la qualification du collectif : regards croisés du droit international pénal et du droit interne 
Thierry Garcia, La reconnaissance du statut d’État à des entités contestées : les limites d’une approche de droit comparé 
Gabin Fabrice Eyenga Seke, Autodétermination interne des « peuples africains » : quels « droits » pour quels « peuples » ? 
Bienvenu Criss-Dess Mbailassem Dongar, Réflexion sur l’émergence d’un principe de légitime défense démocratique contre les régimes tyranniques dans le droit régional africain 
Mélanie Dubuy, Le droit à la résistance à l’oppression face à un régime tyrannique et l’intervention d’États tiers 
Yulia Mukha, Distinguish a protest from a terrorist group. Example: environemental defenders 
Rosalie Le Moing, L’indétermination des notions comme entrave à la qualification des mouvements contestataires : étude comparée des notions de terrorisme et de résistance

Varia
Sayeman Bula-Bula, L’articulation des rapports entre le tribunal du droit de la mer et la Commission des limites du plateau continental

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