Dans le cadre de l’enquête ouverte il y a un an sur d'éventuels crimes relevant de sa compétence commis en Ukraine depuis l'offensive militaire russe du 24 février 2022, la Cour pénale internationale (CPI) a émis, le 17 mars, deux mandats d’arrêt : l’un contre le président russe, Vladimir Poutine, l’autre contre la commissaire présidentielle aux droits de l’enfant en Russie, Maria Alekseyevna Lvova-Belova. Tous deux sont accusés de crimes de guerre consistant dans la déportation et le transfert illégaux d'enfants ukrainiens des régions occupées de l'Ukraine vers la Fédération de Russie, en violation des articles 8(2)(a)(vii) et 8(2)(b)(viii) du Statut de Rome.
L’accusation de déportation et de transfert illégaux d'enfants ukrainiens
L’émission de ces mandats d’arrêt fait suite à la demande du Bureau du Procureur de la CPI présentée le 22 février dernier. Sur la base des éléments de preuve recueillis et analysés par le Bureau du Procureur, la Chambre préliminaire II a ainsi confirmé l’existence de motifs raisonnables permettant de croire que le président russe et la commissaire russe aux droits de l’enfant (devenue l’image publique du programme de déportation d’enfants ukrainiens en Russie) portent une responsabilité pénale individuelle dans ces crimes de guerre. Le président russe est notamment accusé, d’une part, d’avoir commis les actes directement, conjointement avec d'autres et/ou par l'intermédiaire d'autres personnes (article 25(3)(a) du Statut de Rome), d’autre part, de n'avoir pas exercé un contrôle approprié sur les subordonnés civils et militaires qui ont commis les actes, ou permis leur commission, et qui étaient sous son autorité et son contrôle effectifs, en vertu de la responsabilité des supérieurs (article 28(b) du Statut de Rome).
Dans sa déclaration du 17 mars, le Procureur de la CPI, Karim Khan, a indiqué avoir identifié la déportation de plusieurs centaines d'enfants enlevés à des orphelinats et à des maisons d'accueil pour enfants, lesquels auraient été donnés à l'adoption en Russie, où la loi a été modifiée pour accélérer l'octroi de la citoyenneté russe et, ainsi, faciliter leur adoption par des familles russes. De tels actes de déportation, qui auraient débuté dès 2014, auraient été commis alors que les enfants ukrainiens étaient des personnes protégées en vertu de la quatrième Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.
À cet égard, le Procureur de la CPI avait déclaré, dès septembre dernier, que les allégations d'enlèvements d’enfants ukrainiens et leur déportation vers des centres de rééducation en Russie, où ils seraient soumis à un processus de « russification », faisaient l’objet d’une enquête prioritaire, les enfants ne pouvant pas être traités comme un « butin de guerre » et exigeant une action urgente.
Quels effets des mandats d’arrêt de la CPI ?
Reste à savoir quels seront les effets de l’émission de ces mandats d’arrêts par la CPI. Ni la Russie, ni l’Ukraine ne sont des États parties au Statut de Rome instituant la CPI. Moscou a signé le Statut de Rome en 2000, mais ne l’a pas ratifié. En 2016, la Russie a ensuite émis une déclaration par laquelle elle a fait savoir qu’elle n’avait pas l’intention d’être membre de la CPI, à la suite de l’ouverture d’une enquête de cette juridiction sur la guerre de 2008 en Géorgie. L’Ukraine a néanmoins accepté la compétence de la CPI sur son territoire au titre de l'article 12-3 du Statut de Rome. Dès lors, si M. Poutine ou Mme Lvova-Belova, qui sont visés par des mandats d’arrêt de la CPI, voyagent dans l’un des 123 États parties au Statut de Rome, ce dernier sera tenu de l’arrêter et l’envoyer à La Haye, où siège la CPI.
La pratique nous démontre toutefois que les chances sont minces pour qu’on aboutisse à des arrestations, même dans des situations de renvois par le Conseil de sécurité comme celle du Darfour (Soudan). Ainsi, dans le cas de l'ancien président soudanais Omar Al Bashir – premier chef d'État en exercice recherché par la CPI et première personne à être poursuivie par la CPI pour le crime de génocide – aucun des deux mandats d'arrêt délivrés à son encontre n'a été exécuté. Il a pu se rendre dans plusieurs États africains, y compris des États parties à la CPI, sans jamais être inquiété. Renversé par un coup d’État en 2019 et jugé au niveau interne pour corruption, meurtres de manifestants et coup d’État, il n'a pas été remis à la CPI.
Par ailleurs, comme le souligne Andrew Clapham, professeur de droit international à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), il est intéressant de relever que le communiqué de presse de la CPI, fait référence à l’article 8(2)(a)(vii) du Statut de Rome concernant la déportation ou le transfert illégaux. Il s’agit là d’une infraction grave de l'article 147 de la quatrième Convention de Genève de 1949, ratifiée tant par la Russie que par l’Ukraine. Étant en cause un crime relevant de la compétence universelle – autrement dit de la compétence exercée par un État poursuivant les auteurs de certains crimes graves, sans égard au lieu de commission du crime ni à la nationalité des auteurs et des victimes –, chaque État a le devoir d’arrêter la personne faisant l’objet d’un tel mandat d’arrêt. Vladimir Poutine pourrait, dès lors, être arrêté dans n’importe quel pays du monde, les Conventions de Genève de 1949 ayant fait l’objet d’une ratification universelle.
Là encore, on peut être sceptique quant à la mise en œuvre de ce mécanisme. Non seulement la compétence universelle est soumise à plus ou moins de conditions selon les législations nationales, mais elle suppose que l’accusé se trouve sur le territoire de l'État du for, pour y être arrêté et jugé, et qu’il ne bénéficie pas d’une immunité. Dans le cas de Vladimir Poutine, chef d’État en exercice de la Russie, celui-ci bénéficie d’une immunité personnelle (ratione personae), couvrant les actes accomplis à titre officiel et privé, qui le met à l’abri de toutes poursuites par une juridiction étrangère durant son mandat. Ce n’est qu’après son mandat que des poursuites pourraient être envisagées, certains codes pénaux nationaux refusant de reconnaitre une immunité matérielle (ratione materiae), couvrant exclusivement les actes accomplis à titre officiel, en ce qui concerne des crimes internationaux. Néanmoins, à moins que la Russie juge elle-même son chef d’État, on voit mal un autre État entamer de telles poursuites, mettant en cause, rappelons-le, le dirigeant de la deuxième puissance militaire mondiale et de la première puissance nucléaire mondiale.
Un procès peu probable, mais un précédent à forte valeur symbolique
Pour l’heure, il est possible de dire que les mandats d’arrêts émis par la CPI, dont l’exécution dépend étroitement de la coopération des États faute d’une police propre à cette juridiction, ont pour effet de faire des personnes visées des parias de la communauté internationale. Ils rendront plus difficiles leurs déplacements futurs – du moins dans les États parties au Statut de Rome –, puisque tout voyage impliquera un risque d’arrestation. Ce ne sera sans doute pas de nature à impressionner Vladimir Poutine.
Sans surprise, la Russie a immédiatement dénié toute valeur juridique aux mandats d’arrêt : « La Russie, comme un certain nombre d’États, ne reconnaît pas la compétence de ce tribunal. Par conséquent, du point de vue de la loi, les décisions de ce tribunal sont nulles et non avenues », a déclaré Dmitri Peskov, porte-parole du président russe. « La Cour pénale internationale a émis un mandat d'arrêt contre Vladimir Poutine. Pas besoin d'expliquer où ce papier doit être utilisé », a écrit en anglais l’ex-président russe, Dmitri Medvedev, sur son compte Twitter, terminant son message par un émoticône de papier toilette.
S’il demeure peu probable que le Vladimir Poutine figure sur le banc des accusés de la CPI, qui ne peut juger par contumace, il n’en demeure pas moins que cette juridiction a voulu frapper fort dans le dossier ukrainien en délivrant un mandat d’arrêt à l’encontre d’un chef d’État en exercice et à la tête d’un pays qui est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, ce qui est sans précédent.
Pour l’heure, il est possible de dire que les mandats d’arrêts émis par la CPI, dont l’exécution dépend étroitement de la coopération des États faute d’une police propre à cette juridiction, ont pour effet de faire des personnes visées des parias de la communauté internationale. Ils rendront plus difficiles leurs déplacements futurs – du moins dans les États parties au Statut de Rome –, puisque tout voyage impliquera un risque d’arrestation. Ce ne sera sans doute pas de nature à impressionner Vladimir Poutine.
Sans surprise, la Russie a immédiatement dénié toute valeur juridique aux mandats d’arrêt : « La Russie, comme un certain nombre d’États, ne reconnaît pas la compétence de ce tribunal. Par conséquent, du point de vue de la loi, les décisions de ce tribunal sont nulles et non avenues », a déclaré Dmitri Peskov, porte-parole du président russe. « La Cour pénale internationale a émis un mandat d'arrêt contre Vladimir Poutine. Pas besoin d'expliquer où ce papier doit être utilisé », a écrit en anglais l’ex-président russe, Dmitri Medvedev, sur son compte Twitter, terminant son message par un émoticône de papier toilette.
S’il demeure peu probable que le Vladimir Poutine figure sur le banc des accusés de la CPI, qui ne peut juger par contumace, il n’en demeure pas moins que cette juridiction a voulu frapper fort dans le dossier ukrainien en délivrant un mandat d’arrêt à l’encontre d’un chef d’État en exercice et à la tête d’un pays qui est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, ce qui est sans précédent.
Bonjour,
RépondreSupprimerMerci pour ce post. Toutefois, je pense que vous oubliez ici la question des immunités qui ne sont à aucun moment écartée pour les Etats tiers par le Statut de Rome ou pour tout Etat par les conventions de Genève. Tant que Vladimir Poutine est président, il peut bénéficier de son immunité personnelle reconnue par le droit international coutumier (pour le moment, seule la compétence d'une Cour pénale universelle, c'est-à-dire créée par le CS des Nations Unies permet d'écarter cette immunité).
J'ai détaillé cette question ici : https://www.fondamentaux.org/2023/le-mandat-darret-de-la-cour-penale-internationale-contre-v-poutine-est-il-legal/
Cordialement
Bonjour,
RépondreSupprimerLa CPI a eu développé une jurisprudence audacieuse en la matière, mais qui est loin d'être consensuelle, raison pour laquelle Vladimir Poutine, en sa qualité de chef d’État en exercice de la Russie, peut se prévaloir durant son mandat d’une immunité personnelle.
L'article 27 du Statut de Rome ne considère pas l'immunité comme un obstacle aux poursuite en disposant que "[L]es immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne". Si le caractère non-equivoque de cette disposition devait suffir à clarifier la question des immunités lors de mandat d'arrêt emis par la CPI, force est d'admettre que tel n'est pas le cas particulièrement pour les Etats tiers au Statut de Rome. En effet, la contradiction entre les obligations du droit coutumier fragilise la rigueur de l'article 27 du Statut de Rome puisque bien que la responsabilité pénale individuelle est reconnue comme étant un principe du droit coutumier, l'immunité liée à la qualité officielle a été également consacrée par la coutume internationale concernant les chefs d'Etat en exercice.
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