Par un vote à 27 voix pour, 11 voix contre, 8 abstentions et un Etat non-votant, le Conseil des droits de l'homme a adopté, le 11 juin, une résolution sur "la grave situation des droits de l'homme au Liban causée par les opérations militaires israéliennes".
En clair, le projet de résolution avait été présenté par les Etats membres de l'Organisation de la Conférence islamique et parrainé par la Ligue arabes. Ce sont ces mêmes Etats qui ont obtenu, après le nombre de signatures requis, la convocation de la session du Conseil, suite au massacre des civils à Cana, au Liban, par les bombardements israeliens. Le projet de résolution visait, ni plus ni moins, qu'à la condamnation d'Israel et à la cessation des hostilités. Enfin, point essentiel, le projet de résolution visait à la nomination d'une Commission d'enquête internationale pour faire la lumière sur les allégations de violations des droits de l'homme et du droit humanitaire, sur l'établissement des dommages et sur les allégations d'usage d'armes prohibées par Israël, en contradiction avec les normes internationales en vigueur et les principes du droit de la guerre. Le projet de résolution s'est heurté au refus des uns et à la réticence des autres. Ce qui explique les résultats du vote. Les arguments avancés lors du débat général et les explications de vote font ressortir trois motifs: le refus par les Etats auteurs du projet d'accepter un dialogue plus large pouvant aboutir à un consensus, le caractère déséquilibré de la résolution qui ne condamne pas explicitement le Hezbollah, l'interférence de la session spéciale avec les débats se déroulant au Conseil de sécurité. Que dit la résolution adoptée et quelles peuvent être les suites à réserver sur le plan du droit international ?
I. Le contenu de la résolution
Dans son préambule, la résolution fait rappel de la base juridique sur laquelle le Conseil fonde cette session spéciale, à savoir la résolution 60/251 de l'Assemblée générale, qui lui donne mandat d'examiner les violations des droits de l'homme, notamment lorsqu'elles sont flagrantes et systématiques et d'intervenir promptement en cas de crise dans le domaine des droits de l'homme. Ensuite, le préambule fait rappel des obligations internationales qui doivent être observées par les belligérants, notamment les lois et coutumes de la guerre, et particulièrement celles issues de la quatrième convention de Genève qui définit le statut et le régime juridique des populations civiles en temps de conflit armé. Il est aussi fait mention des dommages causés à l'environnement, aux biens civils, eux aussi protégés par le droit humanitaire. Le préambule fait état des violations commises par Israël et réaffirme le caractère fondamental du droit à la vie.
Il faut retenir deux éléments quant au dispositif. D'une part, la condamnation d’Israël pour les violations des droits de l'homme et du droit humanitaire, pour le bombardement massif des populations civiles, notamment le massacre de Cana, pour la destruction d'ouvrages civils. La résolution demande aux deux parties (Israël et Hezbollah) le respect scrupuleux des droits de l'homme, de la Convention des droits de l'enfant, du droit humanitaire, le traitement des combattants détenus d'après les lois et coutumes de la guerre, ainsi que la fin des opérations militaires contre la population civile et les biens civils. Les belligérants auraient donc contrevenu au droit humanitaire, en ne respectant pas le critère de distinction/discrimination entre cibles civiles et objectifs militaires, d’une part. D’autre part, Israël seule, n’aurait pas respecté le critère de proportionnalité exigé en cas de représailles de guerre.
En second lieu, la résolution crée une Commission d'enquête de haut niveau, avec pour mission: de faire une enquête sur le ciblage et le meurtre systématique de civils par Israël au Liban, d'examiner les types d'armes utilisées par Israël et leur conformité avec le droit international, d'évaluer l'étendue et les effets meurtriers des attaques israéliennes sur les vies humaines, les biens, les ouvrages d'importance capitale et l'environnement. En clair, il s'agit d'une mission d'établissement des faits et d'évaluation des dommages physiques et patrimoniaux infligés à l'Etat libanais.
II. Que peut-on attendre de cette résolution en droit international ?
De manière générale, cette question soulève plusieurs problèmes de droit que nous n’abordons pas ici. Citons-les : le problème de la nature des évènements (guerre d’agression ou représailles ?), le problème de la responsabilité juridique civile, c’est-à-dire celui de l’établissement des violations des règles internationales et leur imputation aux acteurs de cette guerre, celui de la réparation des dommages causés de part et d’autre, enfin, celui de l’éventuelle responsabilité pénale des auteurs éventuels de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Ce dernier problème suppose lui-même qu’on ait établi qu’il y a eu de telles violations graves, ce qui peut nécessiter une enquête. D’où l’importance de cette résolution du Conseil des droits de l’homme.
Préalablement, il faut bien s’entendre ; cette résolution n'a pas d'effet obligatoire. Elle ne lie pas ses destinataires quant à ses conclusions de droit. Néanmoins, elle consacre une condamnation des violations des droits de l'homme et du droit humanitaire par Israël et le Hezbollah. En ce sens, elle constitue une condamnation morale et politique pour Israël et le Hezbollah. Reconnaissant qu'il y a eu des violations, elle est un point de départ pour une enquête internationale et peut être une des bases, si l'on se décidait à donner des suites pénales à ces violations. Dans ce sens, l'on a évoqué le fait pénal international que constituent certaines violations graves du droit humanitaire (discours de la haut-commissaire). Mais, elle crée aussi un organe d’enquête sur le fondement des pouvoirs et compétences dévolus au Conseil. Que penser ?
Premièrement, la mission d'enquête devra établir si les allégations de ciblage et de
meurtre systématiques des civils sont pertinentes. Si c'est le cas, on pourrait
conclure à une contravention grave de la quatrième convention de Genève,
pouvant entraîner une qualification juridique de crimes de guerre. Le même
raisonnement s'applique si les allégations d'usage d'armes prohibées par le
droit international sont avérées. Il s'agira alors d'établir le type d'armes et
la nature de normes violées, afin de tirer les conclusions juridiques qui
s'imposent. Car, il est interdit aux combattants d'utiliser des armes qui, par
nature, ont des effets indiscriminés ou infligent davantage de souffrances que
ne l'exige la mise hors de combat d'un adversaire. Les armes qui violent
« les exigences de la conscience publique » peuvent également être
interdites sur cette seule base. L'emploi des armes qui causent au milieu
naturel des dommages graves, étendus et à long terme est également prohibé. Or,
il existe des allégations d’utilisation de telles armes par l’armée
israelienne.
Deuxièmement, il s'agit d'évaluer les dommages dans l'éventualité très envisageable des
réparations de guerre. Cette
dernière question peut faire aussi l'objet d'un accord politique entre les Etats,
mais on ne saurait exclure une suite judiciaire pour réparation des dommages de
guerre de part et d'autre. Il reviendra à l’une ou l’autre des parties ou aux
deux Etats, Liban et Israël, d’en décider.
Si cette résolution
condamne surtout Israël, elle ne met pas à l'abri le Hezbollah dans la mesure
où les deux belligérants sont concernés par les obligations internationales de
droit humanitaire, notamment par rapport à la protection de la population
civile et des biens civils. Dans l'éventualité de poursuites pénales, les
auteurs de violations des deux parties au conflit pourraient répondre de leurs
actes. Ainsi, après la campagne militaire, le conflit pourrait se transporter
sur le terrain du droit international, si la communauté internationale en a la volonté
politique. En se saisissant de cette question, le Conseil des droits de l'homme
n'a pas empiété sur les compétences du Conseil de sécurité. Il a
scrupuleusement respecté les termes de son mandat, qui lui donnent compétence
de se saisir des situations graves de violations des droits de l'homme. Dans
l’avenir, le Conseil pourrait même transmettre de telles questions au Conseil
de sécurité dans un rapport suivi de recommandations. Bien que la Conseil fût
divisé, ce constat de division ne peut augurer la fin d'une recherche de
dialogue constructif ou le retour à la politisation, la question du conflit
israélo-arabe demeurant l'une des pierres d'achoppement des Nations Unies et
pas seulement du Conseil des droits de l’homme.
Mode de citation : Joseph AYISSI, «
Liban : session extraordinaire du Conseil des droits de l'Homme », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 17 août 2006
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