II - Du consensus à la remise en question des Accords de Lomé 

Pendant toute la période de 1975 à 2000, la Communauté européenne a refusé de demander une dérogation à l’Article I du GATT. En effet, les services juridiques de la Communauté arguaient que l’Article XXIV du GATT (exception principale à l’Article I du GATT puisqu’il prévoit que l’on peut déroger à la CNF dans le cas de l’établissement d’une union douanière ou d’une zone de libre échange), couplé à l’Article XXXVI paragraphe 8 (Article qui exhorte les Parties contractantes développées à offrir des concessions non réciproques à leurs partenaires en développement au cours des négociations commerciales) couvraient les relations avec les Pays ACP.
L’Article XXIV n’était pas appliqué en tant que tel puisqu’aucune zone de libre échange n’était établie (pour les juristes de la Communauté européenne, l’Article XXIV n’avait pas été conçu pour régir des Accords commerciaux régionaux mixtes, c’est-à-dire entre Pays en développement et pays industrialisés) mais lu en parallèle avec l’Article XXVI (inclus dans la Partie IV du GATT consacrée au commerce et au développement).
L’autre exception possible aurait été d’offrir les mêmes préférences commerciales à l’ensemble des pays en développement (PED), dans le cadre d’un système de préférences généralisées (prévu depuis 1971, et plus spécifiquement depuis 1979 par la Clause d’habilitation). Or, les préférences n’étaient destinées qu’à une partie des PED, les Pays ACP, et ne pouvaient donc pas être justifiées par la Clause d’habilitation.
L’argumentation de la Communauté européenne quant à la justification juridique du régime de Lomé a commencé à être remise en question en 1993, lors du premier épisode du contentieux Bananes. Les parties plaignantes estimaient que la Partie IV du GATT (et donc l’Article XXXVI paragraphe 8) ne pouvait en aucune façon permettre de déroger à la règle fondamentale de l’Article I. Le Panel d’experts estima finalement qu’il n’est pas possible de déroger à la CNF en l’absence de dispositions habilitant de façon expresse les Parties contractantes à agir en ce sens. Ainsi, la CE et ses partenaires ACP se résignèrent à demander une dérogation.
Or, depuis la création de l’OMC en 1995, la procédure pour obtenir une dérogation est beaucoup plus stricte. Or, avec de telles données, des relations commerciales privilégiées n’étaient plus possibles, il valait mieux passer par l’Article XXIV et prévoir à terme l’édification d’une zone de libre échange. C’est dans ce contexte qu’intervint en juin 2000 l’Accord de Cotonou.

III - A situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle 

L’Accord de Cotonou, s’agissant de l’Afrique de l’Ouest, prévoit le parachèvement de l’Accord de partenariat économique avec l’Union européenne en janvier 2008. Or, Le comité ministériel régional (CEDEAO-Mauritanie) chargé des négociations souhaite un report de l’échéance au 1er janvier 2011.
Que disent les textes à ce sujet ? L’Article XXIV paragraphe 7, b) du GATT précise que s’agissant du parachèvement de la zone de libre échange, le délai doit être « raisonnable ». Le Mémorandum d’Accord de l’Uruguay Round sur l’Article XXIV fixe à dix ans le délai raisonnable mais n’exclut pas que « dans des cas exceptionnels » des périodes de transition plus longues puissent être aménagées. Signalons à cet égard que tous les accords euro-méditerranéens ont nécessité douze années pour leur mise en place.
En juin 2004, les Pays ACP avaient proposé à leurs partenaires de l’OMC une réforme ambitieuse de l’Article XXIV. Ils demandaient notamment à ce que la durée maximum de la période de transition soit fixée de telle manière à ce qu’elle corresponde à la situation des PED en matière de commerce, de développement et de finance. Selon eux, cette période ne devrait en aucune façon être inférieure à 18 ans.
Reste à savoir si la situation concernant l’état des négociations entre l’Union européenne et l’Afrique de l’Ouest peut être qualifiée d’« exceptionnelle » et si oui à quand sera fixée la date limite des négociations.