Se trouvant dans une phase critique de son évolution, la jeune société civile mauritanienne est aujourd’hui à la croisée des chemins. Certes, les nouvelles approches en matière de bonne gouvernance et de développement participatif créent de nouvelles opportunités pour son implication dans le processus de développement socioéconomique et politique du pays, mais elles exigent la réforme et la refonte de cette société civile comme conditions préalables.
Pour la première fois dans l’histoire de la coopération multilatérale internationale, l’accord de partenariat de Cotonou, signé en 2000, entre les pays ACP (77 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique) et l’Union Européenne, a juridiquement établit le principe de partenariat entre les États et les acteurs non étatiques, la société civile notamment. Ainsi, cet accord a jeté un pavé dans la marre des multiples inerties et pesanteurs internes et externes pesant sur la société civile. L’obligation des États d’associer intimement la société civile, dans chaque pays ACP, aux processus de prise des décisions sur les politiques nationales en matière de dialogue politique, de gouvernance et des questions liées au développement durable représente désormais un acquis précieux et irréversible.
Le gouvernement mauritanien, qui avait déjà ratifié l’Accord de Cotonou par la loi n° 2001-02 du 25 janvier 2001 et le décret n° 037-2001 du 03 février 2001, afin de respecter ses obligations en la matière, a inclus dans le cadre de la coopération avec la Commission Européenne, un volet d’appui à la réforme de la société civile et le renforcement de ses capacités qui a été mentionné dans Programme Indicatif National (PIN) 2001-2007 pour la Mauritanie, visant comme objectifs à consolider la démocratie et l’État de droit et aider la société civile à devenir un véritable partenaire de la vie sociale, économique et politique du pays.
Le présent article cherche à inviter à un débat national franc, serein et constructif pour appréhender un examen des efforts entrepris pour la mise en œuvre de cette innovation majeure de l’Accord de Cotonou dans le cas spécifique de la Mauritanie, afin de pouvoir faire profiter la société civile dans ce pays des avantages de cet important accord international.
La Mauritanie vient de célébrer, le 19 avril 2007, l’achèvement d’un processus de transition démocratique engagé par le CMJD (Conseil militaire pour la justice et la démocratie) et son gouvernement de transition au lendemain du coup d’État du 3 août 2005. À la lumière de ce changement politique majeur, la question qui se pose est de savoir si la société civile émergente peut réussir un saut qualitatif d’envergure et devenir un véritable partenaire constructif dans un processus global de démocratisation et de développement concerté, fondé sur les valeurs du droit, de la bonne gouvernance et des bonnes pratiques inspirées des expériences réussies à travers le monde ou si elle restera un acteur marginal et marginalisé, affaiblie par l’absence de vision claire sur son rôle, divisée par les clivages sectaires et les luttes internes et trop dépendante du gouvernement et/ou des bailleurs de fonds pour assumer ses responsabilités de façon autonome.
Dans quelle mesure l’orientation politique plus marquée de l’Accord de Cotonou a-t-elle contribué, dans le cas de la Mauritanie, à la réalisation des objectifs de développement durable ?
Cet Accord qui favorise le dialogue et la collaboration entre acteurs étatiques et non étatiques en quête des mêmes objectifs de développement, a-t-il réussi véritablement à élargir le partenariat pour le développement ? Quelles sont les contraintes à sa mise en œuvre ?
Si l’Accord de Cotonou reconnaît la réduction de la pauvreté comme objectif essentiel, dans quelle mesure ses diverses dimensions offrent-elles la possibilité de promouvoir la lutte contre la pauvreté et la réalisation des autres engagements internationaux (OMD) notamment ?
À quel point la volonté politique du nouveau gouvernement en place en Mauritanie peut-elle accompagner cette démarche universelle pour reconsidérer la société civile comme partenaire dans la formulation et la mise en oeuvre des politiques nationales portant sur les grands enjeux de développement (lutte contre la pauvreté, démocratisation, bonne gouvernance, promotion des droits de l’Homme, etc.) ?
Même si, vraisemblablement, l’image de la «croisée des chemins» semble s’appliquer doublement aux acteurs non-étatiques, la société civile en l’occurrence, tout comme d’ailleurs à la partie étatique (les deux nouveaux pouvoirs exécutif et législatif), il faut se demander quels sont et où sont les «chaînons manquants» d’un partenariat «État/société civile» plus équilibré et plus efficace en Mauritanie. Si la volonté politique des nouvelles autorités se confirme (création effective d’un nouveau ministère chargé des relations avec la société civile et réhabilitation du Conseil économique et social attendue), pourquoi et comment cette volonté pourra-t-elle être traduite dans l’institutionnalisation d’un partenariat constructif avec la société civile en Mauritanie ?
Il convient dès lors, de noter que toute démarche dans ce sens implique de la part des différents acteurs nationaux concernés, la clarification et la redéfinition des rôles entre l’État et la société civile et l’établissement de rapports de confiance sur des bases claires de rationalité et de droit (i), l’octroi d’un espace de liberté et d’autonomie réelle pour un champ d’action balisé (ii), la mise en place de mécanismes institutionnels cohérents pour le dialogue et la collaboration à différents niveaux (État/société civile) (iii), et l’acceptation et la réglementation du rôle de suivi citoyen de l’action publique (iv).
Quant à l’attitude des bailleurs de fonds et des partenaires de développement pour la Mauritanie, un effort particulier d’évaluation de la pertinence de leur engagement, de leurs stratégies d’intervention, de leurs modes d’alliance et de synergie avec les différents segments de la société civile s’impose aujourd’hui. Cet exercice d’autocritique et d’évaluation participative auprès de l’autre devra notamment : (i) dépasser les approches et les schémas réductionnistes classiques de l’aide au développement, (ii) faciliter l’émergence et la consolidation d’une société civile structurée, ouverte, crédible et capable d’assumer les nouveaux rôles qui lui sont impartis dans le processus de démocratisation et de développement durable, (iii) aider à forger des modèles de partenariats créatifs, innovateurs et constructifs entre État et société civile en dehors des sentiers battus, tout en respectant le rôle, la vocation et les intérêts légitimes de chaque partie.
Certes, à l’heure actuelle, il est clair que les éléments et les outils de convergence au sein des trois familles d’acteurs concernés (gouvernement, société civile et partenaires de développement) sont encore brouillés, fragiles et hésitants.
Il faut se demander également quels sont les défis majeurs et les contraintes qui retardent ou qui entravent la consolidation et la mise en oeuvre du programme d’appui à la réforme de la société civile PASOC dans une double logique d’autonomisation de la société civile et d’apprentissage collectif de nouveaux modes de co-gestion pour le développement durable.
Il faudra noter que la pérennité de l’autonomisation de la société civile mauritanienne, comme préalable à la construction d’un nouveau partenariat avec l’État, passe nécessairement par la résolution de cinq problèmes majeurs : (i) définir clairement l’identité de la société civile par rapport à l’autre, (ii) occuper un espace de liberté et un champ d’action balisé, (iii) s’affranchir du paternalisme dominant de l’administration publique, (iv) assurer d’une autonomie financière de base et (v) adhérer à un code de déontologie partagé et bien respecté.
Dans ce contexte, le débat sur la question de la société civile devra mettre en exergue la problématique de l’apprentissage mutuel, itératif et collectif qui s’impose à tous les acteurs impliqués : organisations de la société civile (OSC), État, élus, administration publique, partenaires et autres instances qui ont tous un rôle à jouer dans le processus de démocratisation et de développement durable. Il s’agit de l’incontournable question du renforcement des capacités (building capacity) qui s’impose comme préalable à tout processus de réforme ou de refonte des rapports État/société civile en Mauritanie.
À cet égard, il demeure nécessaire d’identifier les bonnes pratiques en la matière partout dans le monde pour s’en inspirer et établir la comparaison de la situation de ce processus en Mauritanie avec celle des nombreux autres pays ACP qui se sont engagés dans la même voie et qui sont à la recherche d’une reconfiguration et d’un «re-engineering» pour redimensionner les rôles modernes et les responsabilités publiques entre État et société civile sur les plans structurel, organisationnel et fonctionnel.
Enfin, le débat souhaité devra analyser comment la réhabilitation des institutions républicaines existantes en Mauritanie, comme le Conseil économique et social (CES), et la création de nouvelles institutions comme le Ministère chargé des relations avec la société civile et le Programme d’appui à la société civile (PASOC), ou toute autre forme d’organisation publique à créer, pourraient servir de «laboratoires» pour tester les approches, les démarches et les contenus des interventions à mener pour instaurer la démocratisation, la bonne gouvernance et le développement participatif durable en Mauritanie. D’où l’intérêt d’un réexamen récurrent des pistes de réflexion et des axes d’intervention plausibles pour contribuer à la pérennisation du cadre conceptuel de la réforme de la société civile en invitant des regards croisés utiles pour une évaluation plurielle des efforts entrepris, des contraintes et des défis à relever.

Mode officiel de citation : Mohamed Saleck OULD BRAHIM, «Mauritanie, réforme de la société civile et enjeux», MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 4 juin 2007.