30 mars 2024

NOTE : La République démocratique du Congo, un État victime de ses nombreuses ressources naturelles

Catherine MAIA, Marie Ange TEKAM

Lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies du 27 mars, la Représentante spéciale du Secrétaire général pour la République démocratique du Congo (RDC), Bintou Keïta, a lancé un cri d’alarme face à la détérioration de la situation sécuritaire et humanitaire dans l’est du pays, tout particulièrement depuis l’expiration du cessez-le-feu le 28 décembre et la fin de l’élection présidentielle ayant conduit le 20 décembre à la réélection pour un second mandat de Félix Tshisekedi.

Au-delà de la médiation angolaise, qui se poursuit en vue d’apaiser les tensions entre la RDC et le Rwanda, le conflit dans l’est de la RDC a fait l’objet d’une réunion spéciale au Conseil de sécurité à la demande de la France, le 20 février, et d’un sommet, en marge de la réunion annuelle des chefs d’État de l’Union africaine, le 16 février.

Au centre des préoccupations se trouve la province du Nord-Kivu, frontalière du Rwanda et de l’Ouganda, où les combats se sont intensifiés entre, d’un côté, plusieurs dizaines de groupes armés dont un groupe nommé le Mouvement du 23 Mars (M23) et, d’un autre côté, les Forces armées de la RDC (FARDC) ainsi que ses milices alliées, déclenchant un énorme mouvement de population vers des camps de déplacés déjà surpeuplés.
 
Pourquoi le M23 veut-il contrôler Goma ?

Mouvement rebelle présent sur le territoire congolais depuis 2012, le M23 revendique notamment l’intégration des anciens combattants rebelles dans l’armée congolaise, conformément à l’accord du 23 mars 2009 dont il tire son nom, mais également, selon ses factions, l’amélioration de la gouvernance et de la démocratie, la protection des populations congolaises, y compris de la minorité tutsie, en particulier dans l’est du pays, contre les exactions perpétrées par d’autres groupes armés, si ce n’est par la propre armée congolaise, voire la sécession de cette région.

Après sa prise de possession de la ville de Goma en 2012, le M23 a toutefois été rapidement chassé l’année suivante par une campagne conjointe des forces gouvernementales et de la MONUSCO, la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC créée par le Conseil de sécurité en 2010, notamment pour appuyer le Gouvernement dans ses efforts de stabilisation et de consolidation de la paix et pour assurer la protection des civils et du personnel humanitaire.

Après huit ans de sommeil, le M23 a repris les armes fin 2021, prenant d’assaut, fin mars 2023, les villages de Tshanzu et Runyoni dans le territoire de Rutshuru, avant de poursuivre son offensive sur le territoire voisin de Nyiragongo. Dans une note d’information du 6 juin 2022, l’OCHA, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, a alors fait état de près de 117 000 personnes déplacées depuis ces violences de mars, dont 31 000 ont cherché à se mettre à l’abri dans le territoire de Rutshuru et 33 000 dans le territoire de Nyiragongo.

Si les combattants du M23, majoritairement originaires de la province du Nord-Kivu, estiment être susceptibles d’obtenir le soutien de ses habitants en raison de leur connaissance de la région, la configuration de l’une des régions minières les plus riches de la planète n’est certainement pas étrangère à leur lutte. En effet, l’est de la RDC regorge de ressources naturelles, telles que l’or, l’uranium, l’étain, le coltan et le cobalt. Depuis 2013, la RDC est, de loin, considérée comme le premier producteur de cobalt, fournissant à elle seule 70% de la production mondiale, soit environ 120 000 tonnes par an. Le coltan provenant de l’est de la RDC, quant à lui, représente 60 à 80% des réserves mondiales. Il s’agit d’un minerai essentiel dans les domaines de l’électronique, de l’aérospatial, des télécommunications et du nucléaire, sur lesquels repose une part substantielle du système de défense et de sécurité de certaines puissances comme les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France ou encore la Chine.

Au regard des enjeux économiques dans cette zone, la capacité du M23 à combattre les forces armées congolaises et à occuper certains territoires du Nord-Kivu confortent l’idée que ce mouvement est soutenu par de puissants alliés. À cet égard, le Gouvernement congolais accuse le Rwanda de soutenir ce mouvement, une affirmation démentie par le Gouvernement rwandais et par les rebelles eux-mêmes.

Pourtant, d’après le Rapport à mi-parcours du Groupe d’experts sur la RDC du 15 décembre 2023, plusieurs « preuves – dont des images aériennes et des photos – d’interventions directes et de renforts de troupes des RDF [Forces de défense rwandaises] en République démocratique du Congo, en particulier dans les territoires de Masisi, de Rutshuru et de Nyiragongo », attestent que le M23 opère sous le commandement du service du renseignement de la défense du Rwanda. Ainsi, la plupart des sociétés qui pillent les ressources naturelles de la RDC appartiendraient soit au Rwanda soit à des collaborateurs proches du président rwandais, Paul Kagame.
 
Peut-on surmonter l'impunité ?


Devant la progression alarmante du M23 dans le Nord-Kivu, l’opération Springbok, mise sur pied en novembre 2023 par la MONUSCO en collaboration avec les FARDC, a pour but principal d’établir une stratégie de défense pour protéger les populations civiles de Goma et de Saké des attaques de ce mouvement rebelle. En vain, puisqu’une partie de la population congolaise continue d’être aujourd’hui la cible de bombardements et contrainte à des déplacements forcés. Avec près de 7 millions de personnes déplacées, soit la plus grande population déplacée du continent africain, dont 2,1 millions déplacées dans la seule province du Nord-Kivu, il est plus que temps que les victimes obtiennent justice et réparation pour les atrocités commises depuis 1996.

Si les conflits en Ukraine et à Gaza occupent aujourd’hui le devant de la scène médiatique, les alertes n’ont pas manqué pour sensibiliser la communauté internationale à la situation dramatique vécue à l’est de la RDC depuis de nombreuses années, que l’on songe à l’appel lancé en décembre 2012 par plusieurs personnalités (dont Robert Badinter) dans le journal Le Monde sous le titre « Au Kivu, on viole et massacre dans le silence », ou à celui, plus récent de février 2024, des joueurs de l’équipe nationale de football durant la Coupe d’Afrique des nations.

Tandis que la communauté internationale n’a de cesse, tout particulièrement depuis la création d’une Cour pénale internationale permanente, de proclamer qu’il ne peut y avoir d’impunité pour les crimes les plus graves et que les auteurs de tels crimes doivent répondre de leurs actes, les avancées restent minces en RDC.

À cet égard, le Conseil de sécurité a condamné à plusieurs reprises les massacres perpétrés en RDC, exigeant de toutes les parties impliquées qu’elles cessent les violations des droits humains et du droit international humanitaire. Dans sa dernière résolution du 19 décembre 2023, la Résolution 2717, le Conseil « [e]ncourage l’adoption de nouvelles mesures par le Gouvernement congolais pour que les forces de sécurité répondent des violations du droit international humanitaire et du droit international des droits humains et que la lutte contre l’impunité dans leurs rangs se poursuive, et demande aux autorités congolaises de traduire les responsables de ces faits en justice » (§6). Par ailleurs, il autorise également la MONUSCO à « [t]ravailler de concert avec les autorités congolaises, en tirant parti des capacités et des compétences du système des Nations Unies, afin de renforcer et d’appuyer le système judiciaire congolais, d’enquêter sur tous ceux qui pourraient avoir commis un génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, des violations du droit international humanitaire et des violations des droits humains ou des atteintes à ces droits dans le pays, et de traduire les intéressés en justice notamment en coopérant avec les États de la région et avec la Cour pénale internationale » (§36).

Précisons que la Cour pénale internationale, saisie par le Gouvernement congolais en avril 2004, a ouvert une enquête en juin de la même année à l’égard des crimes de guerre et les crimes contre l’humanité qui auraient été commis depuis le 1er juillet 2002 (date d’entrée en vigueur du Statut de Rome) dans le contexte d’un conflit armé en RDC, les régions actuellement concernées par l’enquête étant l’est de la RDC, dans la région de l’Ituri et les provinces du Nord Kivu et du Sud Kivu. Au regard de la massivité des crimes, y compris ceux commis avant 2002, telle que mise en évidence par la publication en 2010 par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme du Rapport du Projet Mapping, décrivant et cartographiant les violations les plus graves des droits humains et du droit international humanitaire commises en RDC sur une décennie (entre mars 1993 et juin 2003), l’action de la CPI ne saurait suffire à garantir l’impunité.

Au-delà de la justice interne et de la justice transitionnelle, la justice internationale pourrait également intervenir sous la forme d’un tribunal pénal international ad hoc créé par une résolution du Conseil de sécurité ou d’un tribunal pénal internationalisé créé par un traité entre les Nations Unies et la RDC.

Dans son ouvrage paru en 2023 Holocauste au Congo, Charles Onana rapporte les propos issus d’un entretien avec Titinga Frederic Pacéré, expert indépendant sur la situation des droits humains en RDC, concernant la mise en place d’un tribunal pénal international pour la RDC : « Il faut savoir qu’un tribunal pénal international pour la RDC est une question difficile, parce qu’il n’y a pas de volonté politique pour que cela se fasse. Même avec des centaines de milliers de femmes violées, certains n’ont pas intérêt à ce qu’un tel tribunal existe », faisant ici référence aux puissances, notamment celles ayant un siège permanent au Conseil de sécurité, qui tirent profit des richesses de l’est du pays.

Si la poursuite des violences sur le terrain a poussé la population congolaise à manifester, en février dernier, pour dénoncer l’indifférence de la communauté internationale, il serait temps de faire avancer la recommandation faite par le Parlement européen dans sa résolution du 17 septembre 2020 (2020/2783) qui, suivant le plaidoyer du prix Nobel de la paix (2018), Denis Mukwege, a invité le Conseil de sécurité à créer un tribunal pénal international pour que l’impunité ne puisse prévaloir nulle part, même dans les situations moins médiatisées.

Parallèlement à la question des responsabilités individuelles, c’est précisément dans cette perspective que, le 21 août 2023, la RDC a saisi la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples d’une requête introductive d’instance dirigée contre le Rwanda, afin que soit reconnue la responsabilité de cet État dans la violation de divers droits protégés par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.



MONUSCO/Sylvain Liechti
Des combattants du M23 se dirigent vers Goma en République démocratique du Congo (photo d'archives).


1 commentaire :

  1. Intéressant. Très bel article qui remet la lumière sur une situation de violations massives des droits de l'homme au vu et au su de la communauté internationale sans réaction majeure.
    Espérons que dans le jugement de la CADHP, les responsabilités seront situées, des décisions exécutoires prononcées et exécutées de bonne foi.

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