Portant sur le thème "Geopolitics and Darfur", cette conférence fut l'occasion pour Gérard Prunier de revenir sur cette question complexe pour essayer d'en démêler les principaux écheveaux et d'en présenter les ressorts historiques, culturels, sociaux, économiques, diplomatiques et géopolitiques.
Depuis que le conflit dans cette région occidentale du Soudan, grande comme la France, a éclaté en février 2003 et qu'il a été progressivement porté à la connaissance de l'opinion publique mondiale, notamment par le biais d'images et de chiffres chocs, sous le prisme d'une crise humanitaire, d'exactions et de violations de droits humains et que des accusations de génocide ou d'actes constitutifs de génocide ont été avancées par des ONG et une mission d'enquête internationale mandatée par les Nations Unies (4), de nombreuses initiatives diplomatiques ont été entreprises, plusieurs campagnes d'information, de mobilisation des opinions publiques (*) ont été lancées à l'échelle mondiale.
À ce titre, pour le conférencier, l'on ne saurait de prime abord appréhender la complexité de la situation au Darfour s'il est fait abstraction du Soudan dans son ensemble. Pour se faire, il est brièvement revenu sur l'histoire de la région du Darfour (épisode qu'il aborde plus longuement et substantiellement dans son ouvrage susmentionné) qui, s'est joué dans un contexte historique caractérisé par des rivalités et réalités coloniales du XXème siècle. Ainsi, avant 1960, le Darfour était un territoire indépendant du Soudan ; il ne tomba dans la sphère territoriale et politique du Soudan, tel qu'il était alors constitué à cette époque, que lorsque les rivalités entre l'Angleterre et la France se firent une fois de plus jour dans cette région du monde. L' «acquisition» du Darfour se caractérisa dans les années qui suivirent par une marginalisation accrue et par des écarts importants en termes de développement et de mise en valeur entre cette région et d'autres parties du Soudan, telles la Vallée du Nil à l'Est et le Centre du pays. Le Sud du Soudan a également souffert de cette marginalisation, ce qui fut l'une des raisons qui conduit au conflit ayant opposé pendant un peu plus d'une vingtaine d'année le Sud-Soudan au pouvoir central de Khartoum. 
Ainsi, alors que la population des trois provinces du Darfour s'accroissait, les infrastructures sanitaires, routières et éducatives n'ont pas suivi. C'est ce sentiment d'abandon et d'être méprisé par le Gouvernement central de Khartoum et, paradoxalement, la paix signée entre le Sud-Soudan et Khartoum (5), qui ont poussé deux mouvements rebelles (le Mouvement de Libération du Soudan -MLS-, souhaitant un meilleur partage des richesses et le Mouvement Justice et Égalité -MJE- de tendance islamiste et ayant un agenda plus national voire indépendantiste) composés de populations originaires du Darfour qui a mis le feu au poudre en février 2003.
Le conférencier est ensuite revenu sur la nature des oppositions dont il s'est attelé à déconstruire certaines idées préconçues. Il a ainsi insisté sur le fait que le conflit au Darfour n'était pas le résultat d'une opposition aux couleurs religieuses, avec d'un côté des Chrétiens et de l'autre des Musulmans et encore moins un affrontement aux lignes clairement démarquées entre populations «Arabes» et «Noires». La stratégie à laquelle l'on a assisté de la part du gouvernement de Khartoum pourrait se résumer à une instrumentalisation de franges de la population darfourienne prônant une idéologie raciste persistante et fondée sur la supériorité des Arabes sur les populations «noires», qui ne mériteraient que la place d'esclaves qui sied à des êtres inférieurs ; ce serait au sein de ces franges que le gouvernement de Khartoum a décidé de recruter et armer des miliciens Janjawids, auprès de qui furent sous-traités les actes qui leurs sont actuellement reprochés. Par ailleurs, pour invalider une autre idée et perception du conflit qui a largement été avancée au début du conflit au Darfour, il est important de préciser que toutes les populations du Darfour sont musulmanes. De plus, les nombreux mixages de populations rendent véritablement difficile et peu évidente la distinction entre un «arabe» et un «noir».
De ce qui précède, l'on peut avancer sans risque de se tromper que la véritable nature de l'opposition à laquelle l'on assiste au Darfour se trouve plutôt dans une configuration mettant en place un centre (Khartoum) et une périphérie (Darfour) marginalisée. Cette situation, qui n'est pas propre au Darfour, porte en elle des germes conflictogènes susceptible de déclencher dans le futur des revendications et soulèvements similaires dans la province occidentale du Kordofan (région contiguë du Darfour).
La situation au Darfour est aujourd'hui, plus que jamais, le théâtre de grandes manœuvres géopolitiques et diplomatiques d'acteurs sous-régionaux, étatiques pour la plupart, essayant d'utiliser cette question et sa résolution pour faire avancer des agendas et intérêts particuliers. Sur cet échiquier, on retrouve la Libye, qui depuis les années 1980 s'est intéressée à la région du Darfour dans le cadre du conflit qui l'opposait au Tchad, qui quant à lui constitue également une des pièces maîtresses du jeu et l'Érythrée, qui malgré, ou du fait des soupçons qui planent sur son soutien en sous-main de l'insurrection au Darfour, a proposé de jouer un rôle de médiateur. À ces acteurs, il faudrait également ajouter les soutiens diplomatiques du gouvernement de Khartoum que sont la Chine, la Russie et la Ligue Arabe qui, pour les deux premiers, sous couvert d'intérêts pétroliers (6) notamment, et pour le second, d'ignorance de la situation et de raisons «objectives» (7) n'ont jusqu'à présent pas été d'un grand soutien aux efforts du reste de la communauté internationale pour trouver une solution à cette crise. Au surplus, les ambiguïtés internes qui caractérisent et limitent la politique et l'implication américaine peuvent expliquer pour partie le statu quo.
Au-delà de la situation humanitaire sur laquelle tout le monde s'accorde quant à la nécessité de trouver une solution durable et efficace (8), se pose la question de la relance d'un processus politique de paix réellement inclusif qui viendrait  mettre un terme à la situation inacceptable cristallisée par l'Accord de paix au Darfour signé le 5 mai 2006 entre Khartoum et la frange du Mouvement de Libération du Soudan dirigée par Minni Minawi. À ce propos, Gérard Prunier est revenu sur cet Accord dont il a soulevé les points qui, à son sens, en constituaient des limites. Ainsi, outre le fait qu'il exclut plusieurs parties prenantes, il ne règle pas la question de l'indemnisation des personnes qui ont souffert de violences, de vols, et destructions de tous leurs biens et ne résout que très partiellement, sinon pas du tout, les questions relatives au partage du pouvoir.
À cet égard, Jan Eliasson, l'Envoyé spécial de l'ONU pour la crise au Darfour, qui s'est inquiété de la «radicalisation de la situation dans les camps de déplacés et de réfugiés et de la frustration qui s'y développe» (9), a indiqué que pour arriver à des négociations politiques efficaces, ainsi qu'à une cessation des hostilités, il était nécessaire de réunir les initiatives menées par l'ONU, l'Union africaine, l'Érythrée ou la Libye en un «processus convergent» qui devra inclure non seulement les autres mouvements rebelles, la société civile, les chefs de tribu et les déplacés, mais également le Tchad.
La question du Darfour constitue un véritable défi pour la communauté internationale et pour l'Afrique en particulier. Cependant, force est de reconnaître que ni l'une, ni l'autre n'a encore su y répondre de manière efficace tant les enjeux paraissent divergents.
* Le jeudi 30 mai 2007, le magazine Envoyé spécial diffusé à partir de 20h50 (heure de Paris) sur la chaîne France 2 a présenté deux reportages sur le Darfour avec une interview de l'acteur américain, George Clooney, auteur d'une campagne d'information et de mobilisation mondiale sur cette crise.
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1. Ces violations ont été à la fois le fait des milices Janjawids, des mouvements rebelles darfouriens et de militaires et policiers gouvernementaux.
2.  Le groupe d'experts créé aux termes d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies pour surveiller l'embargo sur les armes décrété en >?xml:namespace prefix =" ""st1" /?< 2004 a signalé à plusieurs reprises des violations de l'embargo par toutes les parties au conflit.
3. Les armes en question proviennent notamment de la Chine et la Russie.
4. Pour en savoir plus sur ce qui a été conclu concernant les accusations de génocide au Darfour, lire le rapport de la commission internationale d'enquête qui a été mandatée par le Conseil de sécurité des Nations Unies par sa résolution 1564 du 18 septembre 2004.
 5. La paix signée entre le Sud et le gouvernement central a été le résultat de négociations menées sous les auspices de l'Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD) entre 1994 et 2001. Ces négociations ont conduit à la signature en juillet 2002 du Protocole de Machakos qui prévoit notamment l'organisation d'un référendum d'autodétermination du Sud-Soudan qui sera organisé à l'issue d'un période d'intérim de 6 ans et la non application de la loi islamique dans le Sud. Deux ans plus tard, le 9 janvier 2005, furent signés les Accords de Naivasha qui mirent un terme au conflit entre le Nord et le Sud.
6. Pour des analyses et études sur les liens entre le pétrole et la conflictualité en Afrique consulter le lien suivant.
7. Pour de nombreux pays arabes, le conflit du Darfour est perçu sous le prisme, dont on trouve des traces dans l'histoire, de l'opposition entre «monde musulman» ou «arabe» et «Afrique noire» ou encore de l'opposition entre «monde musulman» et «monde occidental» ; dans cette configuration leur penchant irait objectivement du côté de Khartoum.
8. Le nouveau ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a exprimé son souhait de faire de la résolution de la crise au Darfour une priorité pour la diplomatie française. Cela s'est notamment manifesté par la tenue, le samedi 19 mai dernier, d'une réunion de travail ayant rassemblé, outre le ministre et son secrétaire d'État aux Affaires européennes, les services compétents du Quai d'Orsay et des représentants d'ONG.

*Texte également reproduit sur le blog de l'auteur Un oeil sur la politique internationale.


Mode de citation : William ASSANVO, «Darfour : retour sur une crise qui mobilise sans trouver de solution», MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 3 juin 2007, <http://www.multipol.org>.