Conscients des défis à relever, les dirigeants d’alors, singulièrement Mohandas Karamchand Gandhi et Jawaharlal Nehru, cherchent à pacifier les rapports sociaux, sans toucher aux structures fondamentales de la société. En témoigne la Constitution indienne, élaborée par un juriste issu de la caste des intouchables, Bhimrao Ramji Ambedkar. Ce texte fondateur prohibe toute discrimination à l’égard des femmes, des intouchables, pose les bases de quotas dans l’éducation et dans les emplois publics pour ces derniers, et affirme la liberté religieuse.
Toutefois, il y a loin des principes à la réalité. Il faudra attendre 1990 pour que les intouchables aient réellement des places réservées à l’école, à l’université, dans la fonction publique et les entreprises nationalisées. Et, si des progrès irréfutables ont été réalisés – une femme dalit, Mme Mayawati, dirige même l’un des Etats les plus peuplés du pays, l’Uttar Pradesh, depuis la fin mai 2007 –, la plupart des intouchables sont dans la misère, et certains subissent encore les exactions de membres d’autres castes. Plus globalement, la société demeure marquée par la hiérarchie de castes.
Quant aux violences religieuses, elles se sont apaisées ces trois dernières années. Le parti nationaliste hindou, BJP, a été battu aux élections de 2004. Mais les tensions affleurent régulièrement, notamment vis-à-vis des musulmans, dont la majorité vit dans la très grande pauvreté, et qui sont souvent soupçonnés de faire le jeu de l’adversaire pakistanais.
La misère, l’absence d’éducation digne de ce nom, notamment dans les campagnes, et le manque d’équipements sanitaires figurent parmi les plaies les plus vives du pays, qui alimentent la violence contre soi-même (comme le montre la vague de suicides paysans) et contre les autres, ceux qui ne sont pas de la communauté.
"Les castes contre les classes", Purushottam Agrawal
"Pyramide hiérarchique", M. B.
"Violence du nationalisme hindou", Rolf Gauffin
"Aux prises avec l’extrémisme sikh", Jean-Pierre Dardaud
"La communauté musulmane divisée", Alexandre Dastarac et M. Levent
"Bangalore à la conquête de l’électronique", Michel Raffoul
"Emplois démontables chez Ikea", Olivier Bailly, Jean-Marc Caudron et Denis Lambert
"Vague de suicides et crise de l’agriculture", Palagummi Sainath
"A la veille d’une difficile «révolution verte»", René Dumont
"L’invention du revenu rural garanti", Jyotsna Saksena
"Cinq mille ans d’histoire", Kavalam Madhava Pannikar
"Meutres en série pour cause de dot", Roland-Pierre Paringaux

II. Du non-alignement à l’attrait américain
Géographiquement, historiquement, stratégiquement, l’Inde occupe une place à part sur l’arène internationale. Parfois en pleine lumière, parfois totalement effacée. Figure de proue du mouvement de libération contre l’occupation coloniale, elle fut une des actrices majeures du non-alignement. Comme Jawaharlal Nehru l’a rappelé à maintes reprises, cette politique n’a jamais signifié neutralité, mais engagement en fonction de principes humains et des intérêts nationaux indiens, et refus de s’engager dans un camp, qu’il soit occidental ou soviétique. Pourtant, les Etats-Unis ont longtemps rêvé d’enrôler New Delhi, face à la Chine et à l’Union soviétique. En témoigne le plaidoyer du sénateur et futur président américain John Fitzgerald Kennedy.
Toutefois, les espoirs de paix ont vite tourné court. La première guerre du Cachemire éclate peu après l’indépendance, et le conflit perdure. La guerre-éclair de 1962 avec la Chine – et la défaite – met fin à tout projet de rayonnement politique en Asie et dans le tiers-monde, tandis que les réticences américaines poussent New Delhi dans les bras soviétiques. Les conflits chez les petits voisins (Sri Lanka, Népal, Bangladesh...) n’aident guère au déploiement d’une diplomatie active et novatrice.
A partir de 1998, l’Inde cherche à reprendre sa place dans le monde en s’affirmant comme puissance nucléaire. Les essais ont alors relancé la course aux armements dans la région (notamment avec le Pakistan) et lui ont valu d’être mise au ban de l’Occident. Mais l’accord entre les autorités de New Delhi et Washington, signé à la fin de 2006, redonne vie aux ambitions internationales du pays. L’attrait des élites indiennes pour les Etats-Unis, les pressions de l’administration Bush pousseront-ils l’Inde à assumer le rôle de contrepoids à la Chine que certains souhaitent ? La partie va se jouer ces prochaines années.
"Paysage asiatique après la bombe", Paul-Marie de La Gorce
"Bandung, l’espoir du tiers-monde", Jawaharlal Nehru
"Entre la Chine et l’Inde, une querelle permanente", Maho Ram
"Le Cachemire à l’heure afghane", R.-P. P.
"Aider l’Inde pour l’exemple", John Fitzgerald Kennedy
"Le pari américain", Christophe Jaffrelot
"A l’origine du Bangladesh", Jean Peyzieu
"Des rêves de puissance", M. B.

III. Cultures urbaines et populaires
Tout autant que l’arrivée désordonnée de paysans venus chercher quelques moyens de subsistance et qui s’entassent toujours plus nombreux dans d’invraisemblables bidonvilles, le jaillissement des technologies de l’information dans des univers très formatés et bien proprets remodèle les villes les plus anciennes, désormais tentaculaires. Ce mouvement crée une atmosphère unique, où les cultures urbaines naissantes cohabitent avec les traditions les plus anciennes, s’imbriquent même, sans que, pour l’heure, le rouleau compresseur occidental ait réussi à écraser l’urbanisme indien. Toutefois, certaines vieilles familles aisées ou issues des couches moyennes s’affolent devant la rapidité des changements. Au point de se laisser séduire par le nationalisme hindou, comme à la fin des années 1990.
Pourtant, ce pays aux dix-huit langues officielles et aux religions multiples tire son identité de la pluralité des apports et du multiculturalisme. C’est particulièrement vrai pour le cinéma, où coexistent les films bengalis, kéralais, hindis, etc., où la réalité sociale peut nourrir la créativité, et où même les flamboyants films dansés et chantés – les fameux Bollywood – se renouvellent. Quel autre pays pourrait voir son activité quasi arrêtée chaque semaine pour cause de feuilleton télévisé, mettant en images l’un des textes indiens les plus anciens, le Ramayana ? Même dans les villages les plus reculés, les habitants se regroupent alors autour des quelques téléviseurs disponibles...
Si la littérature et le cinéma ont franchi les frontières depuis longtemps, les arts picturaux sont souvent restés à l’écart, à quelques exceptions près. Le vide se comble, et les peintres indiens figurent désormais dans les catalogues internationaux. Pas seulement par amour de l’art, mais également, parfois, pour des raisons purement spéculatives. Ici aussi, les nouveaux riches ont fait leur apparition.
"Une obsession nommée Bombay", Mila Khalon
"Pune entre traditions et multinationales", Marie-Caroline Saglio
"Le cinéma et les mélodrames sociaux", Serge Daney
"Sous le choc d’un feuilleton télévisé", Vijay Singh
"Les très riches heures de la peinture indienne", Mila Gantcheva
"La jeune génération", M. G.
"L’art marie intimement sculpture et architecture", Jeannine Auboyer