Voici un ouvrage qui devrait passionner tous ceux qui s'intéressent aux enjeux politiques et éthiques fondamentaux de notre époque et veulent mieux comprendre la marche du monde. En effet, il s'agit du premier livre en français qui offre une synthèse critique et dresse le bilan d'un des phénomènes politiques les plus importants et les plus passionnants de l'après-guerre froide : la montée en puissance des politiques de réconciliation. Ce livre interpelle chacun de nous et montre comment des dizaines de sociétés sont directement concernées par cette nouvelle mythologie : de l'Afrique du Sud aux Balkans, de l'Argentine au Rwanda, de la Pologne au Cambodge.
Pendant des siècles, la principale réponse à la question de la reconstruction d'une société après des périodes de dictature ou après des crimes fut celle de l'amnistie et du silence. Pierre Hazan examine le renversement de stratégie qui s'est produit avec les tribunaux de Nuremberg et s'est accéléré avec la fin de la guerre froide. Désormais, ce n'est plus le silence, mais la parole qui est censée guérir les plaies de l'histoire. Ce livre a pour objet la montée en puissance des politiques de la mémoire depuis le début des années 1990 : commission vérité, tribunaux pénaux, réparations financières...
Le tribunal, à la fois comme institution et comme symbole, a modifié les équilibres internes dans les pays en transition et reconfiguré l'architecture des relations internationales. La multiplication des Commissions Vérité en Amérique latine, en Afrique et en Asie, le développement de la justice internationale et les processus d'épuration dans les ex-régimes communistes d'Europe centrale et orientale témoignent de cette révolution à la fois juridique, politique et culturelle. Pierre Hazan montre comment ce projet de museler la violence a modifié non seulement les pratiques de résolution de conflits et les stratégies de réconciliation, mais contribue aussi à retravailler en profondeur les identités nationales.
A travers l'analyse de cas concrets – la conférence diplomatique de Durban qui prétendait guérir les blessures nées de l'esclavage et de la colonisation, la Commission Vérité du Maroc, première du genre à naître dans le monde arabo-islamique, et les poursuites engagées par la Cour pénale internationale auprès d'une des guérillas les plus impitoyables de la planète, la Lord's Resistance Army en Ouganda -, l'auteur dresse un premier bilan de la «justice transitionnelle». Il en montre les ressorts et les espoirs de refondation des sociétés, mais il met aussi en lumière les tensions irréductibles entre la recherche de la paix et la recherche de la justice, les mécanismes pervers qui suscitent une concurrence victimaire et une guerre des mémoires, ainsi que l'instrumentalisation de la culture à des fins politiques. Il montre encore comment les politiques de châtiment et de pardon sont en train de réécrire l'histoire du monde, et de changer non seulement notre représentation du passé, mais d'engager aussi notre présent et notre avenir.

Pierre HAZAN, Juger la guerre, juger l'Histoire. Du bon usage des commissions vérité et de la justice internationale, Paris, PUF, 2007 (272 pp.)
Pierre HAZAN Diplômé du Centre d'études stratégiques (Aberdeen) et docteur ès sciences politiques de l'université de Genève, correspondant diplomatique, spécialiste de l'humanitaire et des droits de l'Homme pour Libération (Paris) etLe Temps (Genève), Pierre Hazan a été le témoin attentif de nombreux conflits (ex-Yougoslavie, Rwanda, Proche-Orient...). Récemment chercheur associé à la Harvard Law School, puis au United States Institute of Peace à Washington D. C., il a notamment publié La justice face à la guerre (Paris, Stock, 2000).
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