A. Ben-Ousmane DIALLO
La Guinée n'est pas encore sortie de l'ornière et tout indique que ce n'est pas demain la veille. J'ai beau vouloir m'abstenir de parler des problèmes de ce pays, je n'y parviens pas. La raison est simplement que je me sens profondément Guinéen, même si (et peut-être que ceci explique cela) je suis né de parents exilés, comme des millions d'autres Guinéens. J'ai toujours mal au coeur quand je pense à ce qu'est devenu ce pays.
De quoi s'agit-il ? D'une histoire de rendez-vous manqués avec l'Histoire qui ne cessent de se répéter.
Dans ce pays que tout le monde qualifie d'accident géologique, où les ressources sont tellement abondantes qu'elles pourraient nourrir 3 fois la population actuelle, la misère est le lot quotidien des citoyens et le développement demeure encore une éternelle utopie. Les Guinéens ont déjà eu deux rendez-vous manqués pour jeter les bases d'un État démocratique, pluraliste, d'une société ouverte et d'un développement durable. Ils sont en passe de manquer un troisième rendez-vous. Les deux premiers sont, consécutivement, l'accession à l'indépendance en 1958 et la mort du tyran Ahmed Sékou Touré, en 1984. Nous n'insisterons pas sur ces deux premiers rendez-vous manqués. Nous parlerons plutôt du troisième qui est en cours, car il s'agit du présent.
Depuis un an, le Premier ministre actuel, Monsieur Lansana Kouyaté, dirige un gouvernement présenté comme une équipe de consensus chargée de remettre le pays sur les rails, car ce dernier ressemble à un train dont tous les wagons ont déraillé. Ce gouvernement, dit de consensus, a été formé suite à de violentes manifestations qui ont coûté la vie à des centaines de jeunes Guinéens qui n'avaient qu'un seul tort, celui de demander plus de justice, de démocratie et de responsabilité au pouvoir en place. L'arrivée de l'équipe Kouyaté a donc été saluée par la majorité des citoyens, même les plus sceptiques et les plus cyniques. Personnellement, je lui ai toujours accordé le bénéfice du doute. Je n'ai jamais voulu formuler de jugement sur sa personne pour son passé au service du PDG (Parti Démocratique de Guinée). Je pensais qu'il pourrait jeter les bases de la réconciliation nationale en Guinée, en tirant les leçons du passé, en reconnaissant et en dénonçant toutes les injustices subies par des centaines de milliers de nos compatriotes morts ou vivants. Nous ne pouvons pas faire fi de la nécessité de dire la vérité sur tous les crimes passés, si nous voulons jeter les bases d'une vraie réconciliation nationale, fondée sur le pardon et la confiance. Notre peuple vit dans la méfiance et la suspicion depuis que le PDG a érigé le culte de la suspicion et celui de la personnalité en mode de gouvernement.
Il ne s'agit nullement de dire que tel groupe ou tel clan a souffert plus que tel autre ou de rouvrir le Camp Boiro pour y jeter les criminels encore en vie. NON. Il s'agit de dire la vérité au peuple de Guinée, de reconnaître que le Parti-État, le PDG, et la Personne-Etat, Ahmed Sékou Touré, n'ont pas rendu service à la Guinée. Il s'agit de condamner moralement et publiquement cet État, de reconnaître ses fautes lourdes et ses crimes abominables, de demander pardon à TOUT LE PEUPLE DE GUINÉE, car en vérité aucune famille n'a été épargnée, même si la souffrance a été différemment vécue.
Il y a quelques semaines, j'ai lu avec beaucoup d'émotions la lettre ouverte de Monsieur Thierno Telli DIALLO demandant que la tombe de son père soit identifiée pour que sa mère puisse s'y recueillir avant qu'il ne soit trop tard. Vous comprenez le sous-entendu qu'il y a dans l'expression « trop tard ». Combien de Guinéens vivent dans le deuil depuis près de 30 ans ou 50 ans, sans savoir où se trouve le corps de leurs enfants, parents ou grands-parents assassinés dans les geôles de Sékou Touré ou simplement pendus ?
NUL NE LE SAIT, ET PROBABLEMENT NUL NE LE SAURA JAMAIS.
Personne ne s'attend à ce que le gouvernement Kouyaté résolve les problèmes économiques de la Guinée. Même s'il en a la volonté, il ne semble pas en avoir les compétences et/ou les moyens. Par contre, il rendrait un grand service au pays, en essayant de jeter les bases de la réconciliation et de l'unité nationales. L'unité nationale ne doit pas être un simple slogan, c'est à dire creux et vide de sens. Il faudrait que ce soit une réalité tangible, fondée sur des bases solides.
Une occasion unique se présente pour accomplir cet acte qui demande beaucoup de courage. La Guinée célèbre cette année le cinquantième anniversaire de son accession à l'indépendance. Voilà l'opportunité que Monsieur Kouyaté devrait saisir pour faire le bilan de l'action politique du PDG et celle de son successeur le PUP (Parti de l'Unité et du Peuple), pour dire aux Guinéens que l'État qui leur avait promis sécurité, unité, paix et prospérité a failli à sa mission et reconnaître que l'État guinéen est une coquille vide qui fait fausse route depuis 50 ans. Il est temps de faire un diagnostique honnête de la situation et de tirer les leçons qui s'imposent en disant au peuple de Guinée que ses dirigeants, même s'ils étaient animés de bonnes intentions, ont failli. Il ne s'agit pas de dire qu'ils se sont trompés ou qu'ils été combattu par des ennemis qui les ont empêchés d'accomplir leur mission, mais de dire clairement qu'ils ont trompé le peuple qu'ils prétendaient servir en le mettant sous la terreur, la tyrannie et dans la promiscuité. L'État que Monsieur Kouyaté incarne, s'il en incarne un, doit reconnaître ses fautes.
S'il ne veut pas manquer le rendez-vous avec l'Histoire, voilà le discours que Monsieur Kouyaté doit tenir le 28 septembre ou le 2 octobre 2008. Un discours de franchise et d'honnêteté vis à vis du peuple.
Y EN MARRE DES PROMESSES JAMAIS TENUES DE DÉVELOPPEMENT OU DE SORTIE DE CRISE ! C'est ce que disent mes parents au Fouta et partout ailleurs dans le pays. Et ils ont raison.
Toutefois, je ne me fais aucune illusion sur ce que préparent Monsieur Kouyaté et ses amis pour célébrer le cinquantenaire de la fameuse « Révolution », comme ils l'appellent. Je n'ai pas beaucoup de temps pour lire toute la littérature politique sur la situation en Guinée qui prolifère actuellement sur la toile mais, d'après les échos que j'en ai, notre peuple doit s'attendre au pire : la réhabilitation des criminels du PDG, pour célébrer la Révolution.
Par conséquent, je salue la mobilisation des familles de victimes pour s'opposer à un tel projet. Il ne faudrait pas qu'on nous opprime et qu'on nous humilie pendant près de 50 ans et revenir encore insulter notre mémoire, en nous disant que les criminels étaient de nobles et honorables citoyens.
NON, À LA REHABILITATION DU TYRAN !
NON, À LA RESTAURATION DU PDG !
NON, AU CULTE DE LA PERSONNALITÉ !
Je fais partie de ceux qui disent non à ce projet destructeur et je veux que ma voix soit entendue. Je ne serai pas complice, en m'installant dans mon confort personnel, en gardant le silence et en oubliant que des millions de personnes, qui sont mes frères, mes soeurs, mes oncles, mes tantes, mes cousins, mes cousines, ou simplement mes amis, vivent sous un régime dangereux qui ne reconnaît pas, ne respecte pas et ne promeut pas les droits les plus élémentaires de la personne.
Je n'ai pas choisi de naître Guinéen. Même si je suis né hors des frontières nationales de ce territoire et que je n'y ai vécu qu'une partie de mon enfance, je me sens concerné par le sort de ce pays qui est aussi mien. J'appelle donc tous les enfants de ce pays, qu'ils soient de l'intérieur ou de la diaspora, pour reprendre la terminologie que les destructeurs de la nation utilisent pour diviser le peuple, à prendre leur plume et à écrire au Premier Ministre, Monsieur Lansana Kouyaté et à son gouvernement, pour leur demander de ne pas mettre en péril l'avenir de la Guinée en profitant du cinquantenaire de l'indépendance pour réhabiliter le tyran et ses acolytes et restaurer la tyrannie du PDG. Ce serait un troisième rendez-vous manqué avec l'Histoire, pour le peuple de Guinée. Et ce serait très dommage.
Mode de citation : A. Ben-Ousmane DIALLO, « Guinée : une histoire de rendez-vous manqués avec l'Histoire », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 26 mars 2008
Mode de citation : A. Ben-Ousmane DIALLO, « Guinée : une histoire de rendez-vous manqués avec l'Histoire », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 26 mars 2008
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que son auteur.
Commentaires
Mais quelles autorités ou institutions sauraient vite prendre l'initiative de rassembler - en un Mémorandum ou en un Livre Blanc ou en un tout autre type de Compilations ou de Mélanges - les nombreuses analyses de tous ceux qui, de tout temps, se sont investis dans le débat guinéo-guinéen?
Des associations, des groupes de parlementaires, des coalitions de partis, des membres de la société civile ?...
Les populistes de tous poils - qui n'ont jamais rien lu de ce qu'écrivent leurs compatriotes mais qui reprochent aux ... intellectuels, entre autres, leur apathie quand ce n'est pas leur responsabilité devant le sort de la Guinée - auraient à leur disposition des canevas de reconstruction à conseiller aux gouvernants présents et futurs.
L'approche du cinquantenaire de l'indépendance de la Guinée devrait inciter à y songer. Il y a là un beau défi à relever mais les Guinéens devraient comprendre que ceux qui écrivent sont les moins bien placés pour devenir leurs propres exégètes.
De son indépendance avant tous les autres dans sa zone, elle n’a su tirer le moindre profit parce que, pendant plus d’un quart de siècle, elle s’est assise sur ses richesses pour décimer ses élites quand celles-ci n’ont pas voulu s’exiler.
À la mort de son dictateur, elle n’a même pas osé tourner la page par peur d’avoir à juger les responsables de sa gestion criminelle au propre et au figuré. Elle n’a pas eu davantage le courage de déclencher une conférence nationale pour « évacuer », comme on a dit dans un pays à ses frontières, « toutes les questions du passé : les morts, la gabegie, la situation chaotique du présent en vue de mieux préparer l’avenir. »
Sur le plan international, non plus, rien n’a jamais été bénéfique pour la Guinée : pas plus le double septennat au pouvoir des socialistes en France que la perestroïka en Russie ou le « socialisme de marché » en Chine, ni la chute du mur de Berlin en Allemagne, ni la disparition d’Houphouët en Côte d’Ivoire dont la politique lui a longtemps « fait de l’ombre ». Réalisera-t-elle un jour que tant que les choses resteront en l’état, chez elle, rien ne lui rapportera jamais : pas plus la mondialisation des relations que la globalisation des échanges ?"
Aussitôt que tous se sont retrouvés dans l'enceinte du plateau de confluence et que d'énormes pilons métalliques ont démoli les issues souterraines, un mugissement échappé du ciel ou de la terre – sans doute des deux en même temps – annonce l'heure des comptes.
Des jeunes soldats, adossés contre les murailles d'acier, exécutent d’instinct le seul ordre qu’ils attendaient, le doigt sur la détente. Les salves partent et fauchent tout autour les têtes des «pèlerins» debout aux premiers rangs.
- Pè ... è ... è ... re! hésite quelqu'un entre deux rafales.
- Mère! crie un autre.
- Oncle! hurle un troisième.
Les a-t-on entendus? En tout cas, seuls semblent se répondre les échos discordants des plaintes et des salves dans un dialogue de sourds percutant. Et à mesure que les silhouettes s’effondrent, cibles trop faciles face aux tireurs d’élite, les rangs fondent de leur côté comme beurre de karité au soleil (...)
Les bourreaux n'en continuent pas moins de tirer, plus atteints dans leur amour-propre par les rares impacts brillants des balles ayant fait mouche sur les barrières alentour que par les torrents d'hémoglobine s'écoulant des nombreuses poitrines défoncées.
Les « condamnés à mort », eux non plus, ne cessent pas de tomber dans un désordre bruyant de grappes de mangues mûres secouées par le vent. De toute façon, les ordres ont été formels.
- À l'audition du tocsin, vous n'aurez qu'à fusiller! Vous n'arrêterez qu'au début des premières mesures de la marche funèbre! ...
Mais voilà que l'hymne mortuaire tarde à se faire entendre malgré la rapide exécution de tous « les prisonniers »...
Alors, les canons des fusils font face à ceux des pistolets mitrailleurs. Les uns dans la direction des autres, les tireurs visent. Inutile de dire qu'à chaque rafale, plusieurs d'entre eux sont liquidés des deux côtés. De cent qu'ils étaient dans chaque camp, ils décroissent vite à quarante dans une parité parfaite. Ici et là, soixante soldats baignent dans une mer de sang, abattus par ceux qui, il y a juste quelques instants, étaient encore leurs frères d'armes. Ce sont bientôt soixante-dix puis quatre-vingt-dix-neuf. Debout, il n'en reste plus qu'un seul! Et, pourtant, le signal commandant la fin de l'exécution de la volonté mystérieuse se fait toujours attendre, longtemps, au grand effroi du dernier des bourreaux (...)
Une trappe s'ouvre. Le bourreau se retrouve sans savoir comment au fond d'une des cellules d'où il vient de convoyer une partie des «pèlerins» suppliciés. Au plafond s'allume un clignotant. La Voix, plus injonctive que jamais, suggère à l'homme lige de suivre le couloir le plus à droite. Il s'exécute sur-le-champ et, c’est une longue déflagration qui récompense ses nombreux et loyaux services (...) "
Encore des mutineries de soldats en cette fin du mois de mai 2008. Précédentes insurrections pour réclamations d’arriérés de soldes: les 2 et 3 février 1996 et le 2 mai 2007. Avec leurs exactions coutumières, innommables, contre les civils accablés par les machinations des politicards et exténués par les pénuries de toutes sortes !
Depuis la fin de la semaine dernière (14 et 15 juin 2008), des militaires et des paramilitaires, parmi ceux qui ont obtenu des promesses de paiement des sommes qui leur sont dues, retourneraient leurs armes contre les policiers, les gendarmes et les douaniers, mutinés à leur tour pour réclamer leurs… salaires !
Y aurait-il en Guinée un seul Général, un seul Colonel, un seul Capitaine, un seul Lieutenant, un seul Soldat, non pas pour prendre le pouvoir (ils l’ont depuis le 3 avril 1984) mais pour empêcher que le cauchemar ci-dessus raconté ne devienne la réalité ?
Sages africains, Institutions panafricaines et internationales : Union Africaine, Union Européenne, Nations Unies, n’attendez plus pour venir en aide à ce peuple – pacifique – en danger depuis trop longtemps et, à la longue, si proche du… chaos !