Confrontée
à la flambée mondiale du coût de la nourriture, l'ONU se prépare au
pire. "Une des inquiétudes majeures est la possibilité que l'ensemble du
système d'aide alimentaire d'urgence soit incapable de faire face",
prévient une note interne de l'ONU dont Le Monde a obtenu une copie.
Elle recommande la mise sur pied de "plans d'urgence spécifiques pour
répondre aux besoins des populations urbaines", jusque-là peu touchées
par la malnutrition.
D'après
ce document de travail, la hausse des prix, qui pourrait se révéler non
pas passagère mais "structurelle", risque de plonger dans l'"insécurité
alimentaire" des millions de personnes. Et la communauté humanitaire
manquera de moyens et d'expertise pour leur porter secours.
Selon
le "mémo" de neuf pages produit par le Bureau de la coordination des
affaires humanitaires (OCHA), l'ONU devra répondre aux besoins de
"nouveaux groupes de population" à un moment où il y aura "moins de
nourriture à distribuer". Pour cause d'augmentation des prix des
aliments et de l'énergie, les agences humanitaires reçoivent moins de
dons en nature et doivent dépenser plus pour acheter de la nourriture et
la distribuer.
Parmi
les défis qui attendent l'ONU et qui ne doivent pas être sous-estimés,
figure aussi le durcissement de crises locales causé par des "émeutes de
la faim", comme celles qui ont secoué l'Egypte, la Mauritanie, le
Mexique, le Maroc, la Bolivie, le Pakistan, l'Indonésie, la Malaisie...
Ces
troubles pourraient imposer "des interventions humanitaires hautement
délicates" notamment en termes "de ciblage et de distribution", dans des
périodes d'agitation et d'instabilité.
La
réflexion onusienne s'appuie notamment sur des données du Fonds
international de développement agricole (FIDA), une agence de l'ONU
selon laquelle, pour chaque augmentation de 1 % du prix des denrées de
base, 16 millions de personnes supplémentaires sont plongées dans
l'insécurité alimentaire. Cela "signifie que 1,2 milliard d'êtres
humains pourraient avoir chroniquement faim d'ici à 2025 ; 600 millions
de plus que précédemment anticipé", prévient le document. Parmi les pays
en première ligne : l'Erythrée, la Sierra Leone, Madagascar, Haïti, la
Géorgie, le Burundi ou le Zimbabwe.
Selon
cette analyse, bien que la flambée des prix alimentaires soit en partie
due à des facteurs temporaires, la concomitance de "prix records de la
nourriture" et de "productions agricoles record" est "une indication
forte" que les prix resteront durablement élevés. D'autant plus que les
facteurs de long terme, tels que l'augmentation de la population
mondiale, la richesse croissante de pays tels que l'Inde, la Chine ou le
Brésil (où l'on consomme plus de viande, et donc de grains pour le
bétail), ainsi que la pénurie des ressources naturelles suggèrent "la
possibilité d'un changement structurel, plutôt que simplement cyclique".
Bien
que les groupes les plus vulnérables se trouvent traditionnellement
dans des zones rurales, la nouvelle crise risque, selon l'OCHA, "d'avoir
un impact important sur les pauvres en milieu urbain".
Le
phénomène a commencé au Pakistan, où plus d'un tiers des 56 millions de
citadins sont considérés comme vivant dans une situation "d'insécurité
alimentaire". Selon la note, le défi, pour les organisations d'aide
alimentaire, sera de s'adapter à "la nature mouvante des mécanismes de
débrouille en milieu urbain", alors qu'elles n'ont qu'une "expérience
limitée" dans cet environnement.
Pour
faire face, l'ONU devra aussi, selon l'étude de l'OCHA, envisager "des
interventions alternatives", telles que la distribution d'argent
liquide, de bons alimentaires, ou la mise en place de "filets de secours
sociaux".
Le
déblocage de fonds d'urgence pour l'achat de bétail, de semences ou
d'outils agricoles pourrait aussi se révéler indispensable. Mais les
Nations unies disposent d'une expertise toute relative dans ces
domaines, ce qui est, selon la note, une "source de vulnérabilité
majeure".
Jusqu'à
présent, les modèles d'analyse de l'ONU se sont rarement appliqués à
"des situations où il y a de la nourriture, mais où les gens n'ont pas
de quoi se la payer", relève le document. Le bureau de la coordination
de l'aide humanitaire envisage donc d'encourager l'étude des effets du
fonctionnement des marchés mondiaux sur la malnutrition.
L'ONU
pourrait par ailleurs aider les gouvernements touchés à trouver "les
bonnes réponses". Cela pourrait passer par l'adoption d'une posture
claire sur la question de la reconversion de terres agricoles pour
produire des biocarburants. Cette tendance nouvelle a été qualifiée de
"crime contre l'humanité", en octobre 2007, par Jean Ziegler, alors
rapporteur des Nations unies sur le droit à l'alimentation, mais ni
l'ONU ni ses agences humanitaires ou environnementales n'ont adopté de
position définitive sur la question.
Philippe Bolopion
Commentaires
Par ailleurs, cette montée des prix risque bien d'engendrer un mouvement inflationniste de grande envergure, srutout dans ces pays (la BCE tente actuellement de réduire ce risque pour la zone euro, elle a de grandes chances d'y parvenir, mais avec un coût assez élevé pour les consommateurs). Quelle sera, dans cette hypothèse d'inflation galopante, l'effectivité d'une aide en numéraire?