Dans le cas des émeutes actuelles en Afrique du Sud, une xénophobie violente (24 morts, 10 000 sans abris (1), nombreuses habitations et commerces pillés) d’une minorité de Sud-africains s’est manifestée à l’encontre des immigrés africains (initialement à l’encontre des Zimbabwéens puis des autres immigrés et même de Sud-africains) accusés de « voler » les emplois aux ressortissants sud-africains dans une conjoncture économique nationale particulièrement rude (environ 40% de chômage et une inflation record en mars 2008).
Débutées dans le township d’Alexandra après la diffusion d’une rumeur selon laquelle les immigrés auraient reçu des « maisons sociales » (2), les émeutes ont fait tâche d’huile vers d’autres townships et quartiers de Johannesburg (Diepsloot, Kya Sands, Thokoza, Zandspruit, Central Business District, Hillbrow…). Ces dernières années, les importants flux d’immigration, accrus par la faillite du système de contrôle des frontières, ont porté le nombre total estimé d’immigrés à plus de cinq millions, dont trois millions de Zimbabwéens. Or c’est le Gauteng - plus petite province d’Afrique du Sud et berceau de Johannesburg - la capitale financière et économique, qui a connu le plus fort accroissement démographique du fait de son pouvoir d’attraction sur l’immigration.
Après avoir vécu durant près de cinquante années sous le régime de l’apartheid (1948-1991/1994), les Sud-africains ont accédé à la démocratie. Cependant, alors que l’apartheid organisait un « développement séparé », écartant les Sud-africains noirs du pouvoir et du profit économique au bénéfice des Sud-africains blancs, la nouvelle Afrique du Sud s’est lancée, après quelques années d’hésitations dans une politique économique ultra-libérale creusant les inégalités entre l’ensemble des Sud-africains. La majeur partie de la puissance économique est demeurée en possession des blancs. Cette communauté, jusqu’alors intégralement favorisée, voit désormais une petite partie d’elle même se retrouver sans emploi au point de vivre dans la rue. D’autre part, tandis qu’une classe noire aisée voyait le jour en Afrique du Sud, la plupart des citoyens demeuraient dans la pauvreté.
D’une situation de privilèges au profit de la communauté blanche, l’Afrique du Sud est passée à une situation de « loi de la jungle » au sein du marché. Pour la plupart, les déshérités sont toujours les mêmes, bien que les élites aient en partie changé de couleur. À l’apartheid, période de profonde division idéologique, ethnique, juridique et économique de la société, a succédé une période d’atomisation sociale liée à l’accroissement des inégalités de richesses transmettant le « flambeau » d’un apartheid racial reposant sur le droit à un apartheid économique de fait.
Néanmoins, eu égard aux situations existant ailleurs sur le continent africain, l’Afrique du Sud demeure un pays développé et relativement bien portant, ce qui fait d’elle une destination importante pour l’émigration intra-africaine. Trois millions de Zimbabwéens se sont déjà installés en Afrique du Sud dans le but de fuir la faim et un gouvernement autoritaire. À l’issue des interminables luttes de pouvoir électorales en cours au Zimbabwe, une victoire du mouvement démocratique permettrait peut-être un retour au pays de quelques Zimbabwéens ayant émigré en Afrique du Sud. Mais cela ne solutionnera pas le fond du problème sud-africain qui est avant tout d’ordre socio-économique et intra-national.
Outre les iniquités économiques de l’Afrique du Sud, il est probable que l’existence d’une empreinte sociale de la violence joue un rôle dans les explosions de violence auxquelles ce pays est sujet. On ne ressort pas indemne de trois siècles d’une situation coloniale suivie d’un système de ségrégation raciale omniprésent et d’une lutte armée de libération nationale. Cet état de fait, conjugué à l’aigreur actuelle du corps social, est sans doute pour quelque chose dans la facilité avec laquelle on a recours à la violence en Afrique du Sud.
Fait tout aussi inquiétant que rassurant, aux dernières nouvelles, les forces de l’ordre (South African Police Service et National Intelligence Agency), après avoir procédé à plus de 517 arrestations, détiendraient des preuves concrètes de l’existence d’une troisième force à l’origine des émeutes (3) et auraient fait intervenir des unités spécialisées pour combattre les émeutiers.
Certaines voix réclament l’instauration de l’état d’urgence (notamment un consortium d’ONG) (4) et l’intervention de l’armée (notamment le parti d’opposition à l’ANC, Democratic Alliance) . L’association des Avocats pour les droits de l’Homme (Lawyers for Human Rights) a cependant mis en garde contre les lacunes du cadre légal dans le cas d’une intervention militaire, contre l’absence d’entraînement des militaires pour faire face à une menace relevant de la criminalité, ainsi que contre le risque d’exacerbation de la violence .
La décision de solliciter le matériel de l’armée a tout de même été prise à la demande de la police sud-africaine. Le porte-parole de l’armée sud-africaine a précisé que la mission constitutionnelle des forces armées était certes de défendre le pays mais également de venir en aide au peuple, l’armée ayant en premier lieu à répondre à une demande d’assistance avant d’être engagée dans une action.
Des policiers et des militaires ont néanmoins conjointement opérés, procédant à plusieurs arrestations à Johannesburg. Pour l’instant, cette aide de l’armée ne semble cependant porter que sur l’apport d’un soutien (matériel et sécuritaire) et non sur un engagement offensif.
En effet, comme dans le cas des émeutes françaises de l’hiver 2005, il est crucial d’apporter une réponse contenue et graduée des forces de l’ordre afin d’éviter tout risque d’escalade et de généralisation de la violence. Un recours à l’armée pourrait au contraire attiser les haines et l’agressivité en fournissant aux émeutiers un adversaire agressif prétexte à l’offensive.
Dans la crise que connaît actuellement l’Afrique du Sud, les disparités sociales semblent avoir été le terreau d'où a germé une situation de conflit. Ce conflit a lui-même produit une violence que la xénophobie a ensuite catalysé et véhiculé. Quoi qu’il en soit, si alarmantes que soient la situation sociale du pays et la situation sécuritaire dans les provinces du Gauteng, du Nord-Ouest, du Mpumalanga et du KwaZulu-Natal, il faut garder espoir en une société qui avait quasiment toutes les chances de verser dans la guerre civile une fois l’apartheid démantelé mais qui, contre toute attente, a su dépasser un antagonisme fallacieusement théorisé.




(1) « Another night of violence in Gauteng », Mail & Guardian online, 20 May 2008.
(2) « Chasse aux Africains dans un bidonville de Johannesburg », African Global News, 14 mai 2008.(3) « Third force involvement in attacks », Mail & Guardian online, 20 May 2008.
(4) « Gauteng reels under xenophobic attacks », Mail & Guardian online, 19 May 2008.(5) « Wave of hate engulfs Jo’burg », Mail & Guardian online, 19 May 2008.