Les dernières difficultés pour la tenue du scrutin à la date prévue sont en passe d’être résolues. Il s’agit essentiellement du désarmement des rebelles, de l’établissement des listes électorales après la bonne tenue des audiences foraines. Les bailleurs de fonds semblent traîner des pieds pour participer au financement du processus électoral, mettant l’Etat ivoirien dans une situation délicate, d’autant qu’il a assuré au premier trimestre 2008 le paiement de tous ses arriérés auprès des institutions financières internationales. Suspendue depuis 2004, la coopération a repris normalement avec les institutions de Bretton Woods depuis avril 2008. Le chef de l’Etat a lancé une forte offensive pour assainir la gestion du pays, à l’image de la lutte contre le racket sur les routes de pays et de la mise en ordre du secteur café-cacao qui a entraîné en juin 2008 des dizaines d’arrestations des plus hauts responsables des organismes de gestion de la filière, libéralisée au début des années 2000.
Enfin, la Côte d’Ivoire, de retour sur la scène diplomatique, a accueilli du 10 au 13 juin, à Yamoussoukro, la réunion du « groupe des 77 + la Chine » dans la perspective de l’établissement d’une charte de coopération Sud/Sud. La visite du ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner, le 14 juin, a marqué formellement la normalisation des relations entre la France et la Côte d’Ivoire. Le Front populaire ivoirien (FPI), dirigé de 1988 à 2000 par l’actuel chef de l’Etat, a été l’hôte, les 14 et 15 juin, de la réunion du Comité Afrique de l’Internationale socialiste.

Les derniers points de l’Accord de Ouagadougou
Engagé le 22 décembre 2007, le regroupement des forces loyalistes (12 000 hommes) a été achevé dès le 24 janvier 2008 et officialisé par une cérémonie solennelle au camp Galliéni d’Abidjan le 13 avril. Celui des combattants rebelles, seulement engagé à la mi-mars, a connu un grand retard. Il a été effectivement relancé le 3 mai 2008 vers les sites de Ferkéssédougou, Kani, Odienné, Bouaké, Korhogo et Man d’une capacité d’accueil de 4500 hommes.
Le Premier ministre Guillaume Soro a fait preuve de sa volonté de voir se réaliser au plus vite le désarmement des Forces nouvelles car il a dû affronter de sérieuses résistances de la part de certains commandants de zones militaires rebelles. Cela a été le cas de Koné Zacharia qui régnait en maître dans la région 5 de Vavoua et de Séguéla. Il a été destitué de son poste de commandement le 18 mai et séjourne actuellement au Burkina Faso sous le contrôle des autorités de ce pays. Certains de ses hommes, réclamant son retour, se sont mutinés à Séguéla le 28 juin. Ils ont finalement été regroupés à Kani et désarmés. Auparavant les 16 et18 juin, à Bouaké dont le « com’zone » est Chérif Ousmane, d’anciens combattants rebelles, prétextant le non paiement de trois mois de solde, ont tiré dans les rues. La population excédée s’est retournée contre eux faisant deux morts.
Ces graves incidents ont conduit le chef de l’Etat à se rendre à Séguéla et à Vavoua le 14 juillet prochain pour appuyer l’action du Premier ministre dans la perspective d’un désarmement rapide et effectif. « Celui qui ne désarme pas est en dehors de la République et nous le traiterons comme un ennemi de la paix » a-t-il souligné avec fermeté lors de l’annonce de son futur déplacement.
Un groupe de travail sur la restructuration de l’armée, regroupant ex-forces belligérantes, forces impartiales et société civile, a été installé le 19 mars 2008, conformément à l’accord de Ouagadougou. Toutefois, le décret relatif à la réinsertion des éléments armés des Forces nouvelles dans la nouvelle armée est toujours attendu. Le porte-parole du Premier ministre a proposé que 5000 éléments des Forces nouvelles rejoignent cette nouvelle armée, 5000 autres étant intégrés dans la police, la gendarmerie, les douanes et les services des eaux et forêts. Cette proposition de 10 000 éléments semble fortement surévaluée.
La tenue des audiences foraines engagée en septembre 2007 a été prolongée jusqu’au 15 mai 2008. Sur 617 420 requêtes reçues sur toute l’étendue du territoire, 586 755 jugements supplétifs ont été délivrés. Ces résultats, acceptés par tous, montrent que le nombre de « sans papiers » a été très largement surestimé par l’opposition, notamment par Alassane Dramane Ouattara président du Rassemblement des républicains (RDR), qui avançait une évaluation, reprise par la presse internationale, se situant autour de trois millions. La Commission électorale indépendante (CEI) a annoncé la publication le 31 août 2008 des nouvelles listes électorales qui vont aussi prendre en compte les nouveaux citoyens ayant atteint l’âge de dix-huit ans. Par ailleurs, le représentant du secrétaire général de l’ONU, M. Choi Young-Jin, certificateur du processus, a remis le fichier électoral de base officiel à la CEI prenant en compte 10 190 lieux de vote.
Dès le début du mois de mai, le processus d’installation des commissions électorales indépendantes (CEI) départementales, sous-préfectorales et communales a été engagé. Il en ira de même pour les Ivoiriens de l’extérieur. Depuis la mi-mai, la Sagem et l’Institut national de la statistique, sous l’autorité de la CEI, travaillent aux opérations d’enrôlement et d’identification des citoyens ivoiriens.
Le financement de la période électorale n’est pas encore assuré. Un point a été effectué le 3 juillet autour du représentant du facilitateur Blaise Compaoré, en présence du ministre ivoirien des Finances et des partenaires extérieurs. Outre l’organisation des élections avec le coûteux système d’identification, il faut financer le service civique qui a démarré le 26 mai, le Programme national de réinsertion et de réhabilitation, et les programmes d’urgence. Sur un budget global de l’ordre de 220 milliards de francs CFA (335 millions d’euros), l’Etat ivoirien, dont la trésorerie est très tendue à l’heure actuelle, en prend 145 à sa charge. Au 30 juin 2008, il a décaissé 59 milliards, le reliquat devant être étalé sur les cinq mois à venir. A la même date, les bailleurs de fonds n’ont mobilisé que 7 % des ressources auxquelles ils se sont engagés. L’Union européenne devrait s’engager plus avant, à hauteur de 16 milliards de francs CFA, dans le cadre du 10 ème FED. Un coup d’accélérateur est nécessaire, mais il semble excessif de penser que l’échéance du 30 novembre soit reconsidérée pour des raisons financières.
C’est dans ce contexte que se tient le 10 juillet à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, la cinquième réunion du Comité d’évaluation et d’accompagnement (CEA) de l’accord de Ouagadougou. La troisième réunion du Cadre permanent de concertation, intégrant les présidents du PDCI et du RDR, s’était tenue le 9 mai à Yamoussoukro, accordant un satisfecit à l’ensemble des actions conduites depuis l’accord de Ouagadougou et des accords complémentaires.

Le climat politique, économique et social à l’intérieur de la Côte d’Ivoire
Au plan politique, les principaux partis ont signé « un code de bonne conduite », le 24 avril, en présence du secrétaire général des Nations Unies Ban Ki Moon qui a effectué une visite exceptionnelle de 48 heures en Côte d’ivoire. La campagne est lancée depuis plusieurs mois sur le terrain. Pour le Front populaire ivoirien (FPI), elle est conduite par son Président P. Affi N’Guessan (Nord du pays) et deux vice-présidents Simone Gbagbo (Centre) et Mamadou Koulibaly (Sud). Henri Konan Bédié a tenu quelques meetings pour le Parti démocratique de Cîte d’Ivoire (PDCI), à Abidjan et à l’intérieur du pays. Pour le Rassemblement des républicains (RDR), A.D. Ouattara a désigné le ministre de l’Agriculture Amadou Gon Coulibaly directeur de sa campagne, mais laisse surtout à son bras droit, Henriette Diabaté, le soin de mobiliser ses partisans. Dans le cadre de cette action politique classique, on discerne mal l’engagement spécifique des Forces nouvelles dont le premier responsable Guillaume Soro est totalement accaparé par ses fonctions d’Etat. Lors du congrès du RDR en février, son président, A.D. Ouattara, a reçu mandat de nouer une alliance politique avec les Forces nouvelles qui tarde à se concrétiser.
A noter que l’ancien Président intérimaire du PDCI, Laurent Dona-Fologo, président du Conseil économique et social, soutient la candidature de Laurent Gbagbo à la présidentielle à travers le Rassemblement pour la paix (RPP), mouvement de soutien aux institutions de la République, créé le 30 avril 2003 et qui s’est officiellement constitué en parti politique le 29 mai 2008. Dénommé désormais Rassemblement pour la paix, le progrès et le partage, Le RPPP va présenter ses propres candidats aux élections législatives et locales.
Face au Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) réunissant le PDCI, le RDR et quelques partis plus modestes, le Président Gbagbo est soutenu par le Conseil national pour la résistance et la démocratie (CNDR). Le CNDR regroupe des partis politiques dont le plus important est le FPI, mais aussi des ONG, des syndicats et mouvements divers ainsi que des personnalités à l’image de l’écrivain Bernard Dadié, ancien ministre d’Houphouët-Boigny, qui en assure la présidence depuis sa création en 2004.
De son côté, l’ancien chef rebelle ivoirien Ibrahim Coulibaly, dit IB, s’est déclaré candidat au prochain scrutin présidentiel au nom du parti UNIR qu’il a constitué en 2007. Il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international depuis janvier 2008 pour un nouveau projet de coup d’Etat et a été condamné, le 4 juin, à Paris, à quatre ans de prison ferme dans une affaire de mercenariat déjouée en août 2003.
Si la campagne électorale est d’ores et déjà engagée, le climat politique a été profondément marqué par l’arrestation en juin des principaux responsables des organismes de gestion de la filière café-cacao, libéralisée au début des années 2000. Suite à la saisine par le chef de l’Etat du procureur de la République, le 11 octobre 2007, pour éclairer l’opinion nationale sur « les graves accusations de détournements de fonds dans la filière café-cacao », une information judiciaire a été ouverte dans un premier temps contre vingt-trois personnes qui ont été mises en examen et incarcérées. La liste initiale a été élargie puisque 36 personnes avaient été arrêtées à la date du 1er juillet. Nombre d’entre elles sont proches aussi bien du PDCI que du FPI. Le FPI a cependant soutenu officiellement cette opération voulue par le chef de l’Etat.
Ce dernier a confié à son conseiller Aubert Zohoré la mission de réfléchir à une réorganisation de la filière café cacao qui repose aujourd’hui sur cinq organismes : le Fonds de développement et de promotion des activités des producteurs de café et de cacao (FDPCC), la Bourse du café cacao (BCC), le Fonds de régulation et de contrôle café cacao (FRC), le Fonds de garantie de coopératives café cacao (FGCCC) et l’Autorité de régulation du café et du cacao (ARCC).
Dans le même temps, la lutte contre le racket organisé par l’armée et la police sur les routes du pays a réellement été engagée. Le chef d’Etat-major, le général Philippe Mangou, a rendu effectives, à partir du 2 juin, de nouvelles mesures pour mettre un terme à ce fléau dont l’impact économique et social est considérable. Selon un récent rapport de la Banque mondiale, rendu public à Abidjan le 9 juillet, le racket sur les routes coûte entre 90 et 150 milliards de francs CFA par an (150 à 230 millions d’euros), soit l’équivalent de 35% à 55% des dépenses d’investissement inscrites au budget 2007 de l’Etat ivoirien.
Ces opérations de moralisation, qui pourraient atteindre certains membres du gouvernement et provoquer un remaniement ministériel, sont d’autant plus appréciées que des mouvements de protestation contre la vie chère sont apparus au tout début du mois d’avril. Rapidement maîtrisés par une baisse sensible des taxes sur les produits de première nécessité, ils pourraient renaître avec l’augmentation spectaculaire (29% à 44%), depuis le 7 juillet, des prix des carburants, artificiellement bloqués depuis trois ans, et du coût des transports que le gouvernement veut limiter à 20 %.
Le ministre de l’Economie Charles Diby Koffi vise un taux de croissance de l’ordre de 3% en 2008 pour l’économie du pays où 38 % de la population vivent avec moins d’un dollar par jour. Malgré une trésorerie tendue, l’Etat ivoirien essaie d’honorer le paiement au secteur privé de sa dette intérieure. Près de 38 milliards de francs CFA ont été versés aux opérateurs économiques pendant les cinq premiers mois de l’année, ce qui ne représente cependant que 16 % de cette dette.
L’extension du Port d’Abidjan vers l’île Boulay qui s’inscrit dans une ambitieuse dynamique économique régionale a été symboliquement engagée, le 11 juin, avec la pose de la première pierre du futur pont reliant Yopougon à l’île Boulay.
La Côte d’Ivoire a signé le 30 juin un accord d’étape avec l’Union européenne dans le cadre des négociations d’un nouveau partenariat économique (APE), lui permettant notamment d’éviter de lourdes pénalités sur ses exportations de cacao.
Dans le domaine des médias, le Premier ministre a pris l’initiative d’une rencontre, le 28 mai, avec les professionnels de ce secteur, dans le but de sceller un partenariat responsable dans la perspective des prochaines élections. C’était à l’occasion de l’ouverture du « Forum national sur la mission des médias en période électorale ». Il y a quelques mois, le 3 décembre 2007 exactement, le chef de l’Etat devant l’Union internationale de la presse francophone avait exprimé son souci de voir se professionnaliser tous les acteurs de ce secteur. Le 9 juin, le Conseil national de la presse a accordé un délai de 45 jours à l’ensemble des journaux du pays, dont certains avaient été suspendus le 2 juin, pour se mettre en conformité avec la loi qui régit la profession.

La Côte d’Ivoire de retour au plan diplomatique
La visite de travail de 48 heures, les 23 et 24 avril derniers, du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon à Abidjan a symboliquement consacré le retour à la paix en Côte d’Ivoire. Quelques jours auparavant, le Président ivoirien était intervenu à New York devant le Conseil de sécurité.
Suite au passage de son chef d’Etat à New York, la Côte d’Ivoire a accueilli dans sa capitale Yamoussoukro, du 10 au 13 juin, une réunion du « groupe des 77 plus la Chine ». C’était une première en Afrique subsaharienne. Cette réunion a préparé la Conférence des Nations Unies sur la coopération Sud/Sud dont l’organisation est prévue pour le premier trimestre 2009.
Le 14 juin, le Président ivoirien a assisté à la séance d’ouverture de la réunion du Comité Afrique de l’Internationale socialiste qui a rassemblé une trentaine de délégations d’Afrique et d’Europe.
Le Xème sommet de la CEN SAD à Cotonou, les 17 et 18 juin, traitant de la crise alimentaire mondiale, la 34ème session de la CEDEAO à Abuja le 23, consacrée aux liaisons intracommunautaires, et le XIème sommet de l’Union africaine réuni à partir du 30 juin en Égypte à Charm el Cheikh, ont rythmé une activité diplomatique intense.
La visite à Abidjan, le 14 juin, du ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, s’est inscrite dans le cadre de la normalisation formelle des rapports entre la France et la Côte d’Ivoire, après le passage en décembre dernier du ministre de la Défense Hervé Morin. Se saisissant des propositions du président français Nicolas Sarkozy dans son discours du Cap, le 28 février, le Président ivoirien n’a pas fait mystère dans de récentes interviews, notamment sur France 24 le 6 juin, de sa volonté de rediscuter des liens entre les deux pays en matière de défense et de sécurité. Cela devrait déboucher sur la fermeture de la base militaire française de Port-Bouet où stationne le 43ème BIMA.
Pour l’heure, la Force Licorne maintient toujours 1800 hommes en Côte d’Ivoire. Ils étaient 3 300 au moment de la signature des accords de Ouagadougou en mars 2007. C’est le général Philippe Houbron qui succède à partir du 11 juillet au général Bruno Clément-Bollée à la tête de cette force. En quittant ses fonctions, ce dernier a établi un bilan plutôt optimiste de l’évolution de la situation en matière de sécurité au cours de l’année écoulée.
Comme prévu, le lycée français d’Abidjan Blaise Pascal rouvrira ses portes le 2 septembre 2008, ce qui devrait faciliter le retour en Côte d’Ivoire de PME françaises, dont 150 ont fermé après les événements de novembre 2004. Cela devrait aussi accélérer celui de la Banque africaine de développement (BAD) délocalisée à Tunis depuis 2003. Une nouvelle délégation du MEDEF conduite par son responsable Afrique Patrick Lucas était présente à Abidjan le 9 juin. Selon l’AFP, les 600 entreprises françaises implantées en Côte d’Ivoire représentent en chiffre d’affaires 30 % du PIB du pays.
Par ailleurs, le Président Gbagbo a reçu, le 25 juin, l’ancien ministre français de la Coopération Charles Josselin, venu à Abidjan au titre de Président de Cités Unies France à l’invitation de l’Union des villes et communes de Côte d’ivoire (UVICOCI). Cette visite de travail avait pour objet de préparer des rencontres Europe/Afrique autour de la coopération décentralisée, dont l’organisation est prévue à Abidjan en septembre 2008.

En guise de conclusion
S’il faut se garder de toute euphorie au regard des dernières difficultés à résoudre, la Côte d’Ivoire a confirmé son retour dans l’arène internationale à moins de six mois du scrutin présidentiel. Malgré les derniers soubresauts d’anciens chefs rebelles que la fin de la guerre et le redéploiement des autorités de l’Etat privent définitivement de leur rente exceptionnelle, le processus de paix est inéluctable.
Dans ce climat pré-électoral, les opérations spectaculaires de moralisation de la gestion économique du pays ne peuvent que contribuer à apaiser un climat social fragile en raison de la vie chère et de la permanence d’une grande pauvreté pour plus d’un tiers de la population.
Après cinq ans de crise et un terrible isolement au plan régional, la Côte d’Ivoire a renoué de façon volontariste avec une dynamique économique tournée vers les pays du Sahel. L’invitation à une visite officielle, lancée le 8 juillet au Président Laurent Gbagbo par son homologue burkinabé Blaise Compaoré, est le symbole de cette unité ouest-africaine retrouvée.
Enfin, de nouveaux rapports, plus empreints de respect mutuel, sont en train de se dessiner entre la France et la Côte d’Ivoire.