Au mois de février 2008, le premier ministre australien a adressé des excuses officielles aux aborigènes de son pays. Dans ce sillage, le Canada a présenté à ses peuples autochtones des « excuses détaillées et exhaustives » pour sa politique d’assimilation et d’effacement des différences le 11 juin 2008. De son côté, le Japon qui avait toujours mené une politique de négation de l’existence des minorités et des peuples autochtones en se présentant comme un Etat « ethniquement pur », pour mieux dissimuler les discriminations à leur encontre, a décidé de reconnaître solennellement le peuple autochtone Aïnou le 6 juin 2008 et de se repentir des sévères injustices qu’il lui a infligées. Les Aïnous avaient été contraints de renoncer à leurs terres, langue et mode de vie par la loi sur les anciens aborigènes de Hokkaido adoptée en 1899 à Tokyo. En juin 2008, le gouvernement japonais a accepté solennellement « le fait historique que le peuple Aïnou a été victime de discrimination et a souffert de la pauvreté au cours de la modernisation de notre pays (…) si notre pays veut mener la communauté internationale, il est crucial que tous les peuples indigènes puissent garder leur honneur et leur dignité ». Au Cameroun, le gouvernement de la République a décidé de célébrer officiellement le 9 août 2008, pour la première fois, la Journée internationale des peuples autochtones instituée par l’Organisation des Nations Unies depuis 1994.
Si l’on ajoute que ces quatre événements de première importance ont suivi de peu l’adoption, le 13 septembre 2007, de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, elle-même précédée de l’adoption par l’Union africaine, le 30 janvier 2007, de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui fait aussi une bonne place à la protection des minorités et des peuples autochtones, il n’en faudrait peut-être pas plus pour conclure au triomphe planétaire de la cause minoritaire et autochtone exactement 16 ans après l’adoption, le 18 décembre 1992, de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques.
Mais il se trouve qu’aux Etats-Unis d’Amérique, Barack Obama vient d’être triomphalement élu président de l’hyperpuissance américaine le 4 novembre 2008, après être entré dans l’histoire avec son investiture officielle, par acclamation le 26 juillet 2008, comme premier candidat non blanc présenté par l’un des deux grands partis politiques américains à l’élection présidentielle. Du coup, certains en concluent que les différences sont effacées et que questions raciale et ethnique sont désormais derrière nous. Ils en déduisent, à tort, que le monde est devenu homogène et que la protection des minorités et des peuples autochtones n’a plus droit de cité juridique, la diversité culturelle étant désormais rayée par le succès historique de Barack Obama. La réussite du candidat démocrate à l’élection présidentielle démontrerait, selon eux, que les membres des groupes minoritaires peuvent réussir autant que les membres des groupes majoritaires. Par conséquent, la protection catégorielle et spéciale de ces dernières ne se justifierait plus en ce début du troisième millénaire.
Si la première série d’événements évoqués tend à renforcer l’universalisation de la protection des minorités et des peuples autochtones, le cas Obama pourrait quant à lui servir de prétexte à certains pour ramer à contre-courant de ce mouvement mondial. Or, cet argument est fâcheusement spécieux, pour quatre raisons majeures. Premièrement, parce que le problème des minorités se situe dans un rapport de proportion et ne se résume pas à une question d’illustration. Deuxièmement, parce que Barack Obama ne correspond pas au profil type du noir américain et ne pouvait pas choisir son colistier parmi les minorités américaines. Troisièmement, en raison des dosages volontaires ou involontaires de son entourage qui ont rendu l’élection du métis le plus célèbre du monde possible. Et, quatrièmement, en raison du fait que Barack Obama a lui-même reconnu le faible impact de sa réussite sur la question raciale aux Etats-Unis.
1- De manière générale, le problème des minorités et des peuples autochtones n’est pas que l’un de leurs membres puisse faire aussi bien que les membres des groupes majoritaires. Le problème est que la proportion des membres des deux types de groupes qui réalisent un certain nombre de choses remarquables dans des aspects fondamentaux de la vie sociale, politique et économique est trop inégale. Ce n’est pas parce qu’une personne dont l’un des parents est noir, est élue 44ème président des Etats-Unis que l’on devrait penser que la proportion des présidents « noirs » est désormais la même que celle des présidents de race blanche au pays de l’Oncle Sam. S’il est admis que les noirs constituent 12,4 % de la population américaine, la proportion d’un président « noir » sur 44 présidents est très loin d’attester que les noirs se trouvent désormais à égalité avec les blancs dans l’accession à la Maison Blanche. Seule une proportion de 5 ou 6 présidents « noirs » sur 44 qui permettrait de se rapprocher de cet objectif.
2- Le prétexte tiré de l’élection de Barack Obama ne pourrait sérieusement être invoqué sans déclencher l’hilarité générale qu’à deux conditions. D’abord, si Barack Obama correspondait bien au profil de l’individu-type issu d’un groupe minoritaire dans le pays de l’Oncle Sam. Ensuite, si l’on pouvait imaginer que celui qui n’était alors que le candidat du parti démocrate eût pu choisir un vrai noir – totalement noir et élevé par des noirs – comme colistier ou, à défaut, une autre personnalité typiquement issue d’un groupe minoritaire, comme un indien, voire un musulman. Or, chacun convient que la matérialisation de l’une de ces hypothèses aurait irrémédiablement coulé son « ticket ».
L’on sait aussi qu’en dépit de l’engagement de l’ancien rédacteur en chef de la Harvard Law Review pour la cause noire dans la cité américaine de Chicago, son métissage héréditaire, son éducation occidentale et son élitisme clinquant l’inscrivent en porte à faux avec sa « communauté (noire) d’origine ». Métis né d’un père noir, d’une mère blanche et élevé par sa mère et sa grand-mère blanches, le président élu Obama apparaît en pleine lumière comme noir à 33,33% et comme blanc à 66,66%. A l’identique du général Colin Powell, le premier « noir » (en fait un métis lui aussi) à être nommé chef d’Etat major des armées américaines et à accéder au poste de secrétaire d’Etat aux Etats-Unis.
Ce n’est donc pas un noir qui a été investi par le parti démocrate comme candidat à l’élection présidentielle. Ce n’est pas non plus un noir qui a été élu à la tête du pays le plus puissant de la terre. N’en déplaise à quelques uns, Barack Obama, ce n’est pas tout à fait le « cousin d’Amérique ». C’est l’incarnation exceptionnelle de la synthèse colorée de la société américaine actuelle et du rêve américain. Colorée, oui, car ses envolées sur l’unité des Américains et ses discours fervents qui invitent à transcender les différences raciales dissimulaient mal son ambition de s’assurer prioritairement les voix majoritaires de l’Amérique blanche à 74%.
Les études sociométriques confirment la prégnance du facteur racial dans la campagne électorale qui vient de s’achever aux Etats-Unis et dans le vote du 4 novembre 2008 : seuls 43% des blancs ont voté pour Barack Obama (55% d’entre eux ont voté pour Mc Cain), tandis que 95% des noirs ont voté pour lui. C’est ce qui explique que Barack Obama ne soit pas parvenu à distancer substantiellement son rival républicain dans les sondages, alors qu’il devait en être autrement de l’avis des experts, au vu des facteurs idiosyncratiques qu’il a donné à voir pendant sa campagne. L’observation a aussi été faite que les blancs qui s’identifient à lui n’ont rien en commun avec les noirs qui ont voté pour lui par solidarité raciale. Sa peau étant, chacun le constate, un peu trop noire tout de même pour un métis ordinaire, né d’un père tout à fait noir et d’une mère parfaitement blanche.
L’exemple de Barack Obama ne pourrait contrarier la protection des minorités et des peuples autochtones et militer, de ce fait, pour le rabotage des différences entre les groupes formant le substrat humain de l’Etat américain que si le candidat démocrate s’identifiait davantage aux minorités américaines et si le lauréat de l’Université de Havard aurait pu prendre pour colistier une autre personnalité issue d’un groupe minoritaire.
3- Les analystes pointent du doigt les dosages volontaires ou involontaires de son entourage qui ont rendu l’élection du métis le plus célèbre du monde possible : à droite, une femme tout à fait noire et, à gauche, un vice-président « blanc comme du lait ». Le phénomène identitaire et la constitution racialement bien dosée des équipes dirigeantes n’auront jamais été aussi vivaces aux Etats-Unis. Le gouvernement qu’il formera – sans doute à la manière de Sarkozy en France – devra confirmer cette orientation. Là encore, il ne s’agira pas d’une révolution, car ainsi que l’observent les constitutionnalistes français Jean Gicquel et Jean-Eric Gicquel, aux Etats-Unis, le gouvernement qui s’efforce, depuis les auteurs du Fédéraliste, de prévenir la « tyrannie de la majorité », a toujours eu soin de protéger les minorités en mettant en place des équipes dirigeantes représentatives de la diversité culturelle de la société. Ainsi, en 2007, le gouvernement Bush comptait quatre femmes et cinq ministres issus des minorités sur un total de quinze membres. Il accueille aussi généralement un membre de l’opposition (Manuel, 21ème éd., 2007, note n° 109, p. 285).
C’est donc à bon droit que l'édition étrangère du Quotidien du Peuple, organe du Parti communiste chinois, a publié le 16 juin 2008, une tribune sévère à l'égard de celui qui n’était alors que le candidat démocrate américain, affirmant, sous la plume d’un haut responsable de la rédaction, que la désignation du candidat métis ne signifie en rien un changement aux Etats-Unis sur le plan des discriminations raciales. « Obama n'a pas vaincu le sentiment de supériorité de l'Amérique blanche, au contraire, son émergence a renforcé ce sentiment », observent les Chinois, du haut de leur civilisation cinq fois millénaire.
L’Empire du milieu sait assurément de quoi il parle, lui qui est si attentif à protéger les minorités présentes sur son territoire. Dans son édition du 10 juin 2008, le journal Le Monde rappelait avec pertinence qu’alors que « les Hans comptent pour 92% de la population, (ils) reconnaissent les coutumes et les droits des 55 minorités qui représentent seulement 100 millions d’habitants sur un total de 1,3 milliard. » A titre d’exemple, dans le domaine du droit de participation politique, l’article 59 de la Constitution chinoise de 1982 précise que les minorités doivent être représentées à l’Assemblée nationale populaire dans une proportion adéquate, fixée à 12% par la loi électorale du 10 décembre 1982, soit le double de ce qu’une représentation proportionnelle aurait dû leur accorder au moment où cette loi a été adoptée.
4- Barack Obama a lui-même prédit le faible impact de sa réussite sur la question raciale aux Etats-Unis dans l’un des rares discours qu’il a consacré à la question raciale pendant sa campagne : « Je n’ai jamais été naïf pour croire que cette question pouvait être résolue en une seule élection et par un seul candidat », a-t-il martelé. Il n’est, dès lors, pas question de mettre un terme à la promotion et à la protection des droits des minorités et des peuples autochtones en tant que partie intégrante des droits de l’Homme ni aux Etats-Unis, ni ailleurs.
Sous ce prisme, l’élection d’Obama consolide le courant universel qui combat le racisme. Elle pousse aussi vers une coexistence plus harmonieuse, ainsi que vers l’intrication des différentes communautés humaines qui composent non seulement les Etats-Unis d’Amérique, mais également les Etats aussi multiculturels que le Cameroun – où les clivages sont cependant nettement moins prononcés qu’en Amérique – dans le respect des droits individuels et des droits des groupes. 

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En somme, l’erreur de ceux qui estiment que l’élection de Barack Obama anéantit les différences raciales, ethniques, religieuses et linguistiques et leur prise en charge juridique procède de la confusion entre le recul de la barrière raciale que consacre le triomphe du futur locataire de la Maison Blanche, en ce sens qu’une personne qui passe pour noire peut accéder à la fonction politique la plus prestigieuse qui soit d’une part, et la fin des questions raciale, ethnique, religieuse et linguistique qui signifierait que l’on ne tiendra plus compte de ces facteurs dans l’organisation de la vie sociale, économique et politique des nations, dès lors que les différences sur lesquelles ces questions reposent seraient gommées. Un démenti est apporté à cette perception par quatre données factuelles : i) la persistance du vote racial aux Etats-Unis comme ailleurs ; ii) les dosages raciaux qui sont traditionnels aux Etats-Unis et qui ont rendu l’élection de Barack Obama possible ; iii) l’accélération de la marche versl’affirmative action en faveur des minorités en France depuis l’élection de Barack Obama et iv) les réalités de différents Etats où, à l’instar du Cameroun, les populations conservent leur attachement à leur communauté d’origine. La dynamique universelle de reconnaissance, de promotion et de protection renforcées des droits des minorités et des peuples autochtones va se poursuivre.
Il reste que l’élection de Barack Obama, qui passe pour un noir, déploie une influence directe sur chaque habitant de la terre pour trois motifs. D’abord, en raison de son caractère particulièrement stimulant pour l’humanité, les noirs en premiers, à qui Obama a démontré que l’impossible est possible ; ensuite en ce qu’elle influence positivement la perception de l’homme noir ou des différences raciales et modifie la perception des noirs sur eux-mêmes ; enfin en raison du fait qu’Obama incarne à merveille la double responsabilité du chef de l’Exécutif américain, appelé à gouverner une « République impériale ». Incarnation de la diversité de la société américaine par son métissage, il est aussi le premier président américain à refléter parfaitement la diversité du monde sur lequel s’exerce l’influence des Etats-Unis : né d’un père africain, et d’une mère occidentale, en partie élevé en Asie (Indonésie) et porteur d’un prénom musulman, le président Obama est l’authentique « prince de l’Univers » que l’on voit souvent en la personne du président des Etats-Unis.
C’est en raison de ce double métissage national et universel que son élection a fait souffler un vent de paix, de réconciliation et de coopération au sein des Etats à population hétérogène et sur le monde. D’abord, du fait des relations apaisées qu’elle annonce entre les communautés composant le substrat humain des Etats. Ensuite, du fait des rapports moins heurtés que les Etats-Unis entretiendront, du moins l’espère-t-on, avec les autres Etats des cinq continents et avec les organisations internationales, au premier rang desquelles l’Organisation des Nations Unies occupe une place spéciale. Même si la réalité promet d’être beaucoup moins onirique.