La RCA, qui s’étend sur 623 000km2, a connu une histoire
marquée par de nombreux coups d’Etat qui ont fragilisé économiquement ce pays
tout en inscrivant cette ancienne colonie française dans un cycle d’insécurité
particulièrement préoccupant pour ses 3,9 millions d’habitants, classés parmi
les plus pauvres du monde. Aujourd'hui, elle se caractérise avant tout par sa
fragilité. Cette fragilité est particulièrement critique dans les institutions
d'Etat et les processus politiques.
Cette situation est la conséquence d’un conflit multidimensionnel qui dure depuis plusieurs décennies marquées par le syndrome de la dépendance[1], comme le montrent les crises militaires et politiques survenues de 1996 à 2003. Le gouvernement peine à restaurer les fonctions administratives, économiques et sociales essentielles afin de répondre aux besoins les plus urgents de la population. L'autorité de l'Etat est concentrée dans la capitale et ses environs, ainsi que dans quelques villes. La faiblesse des institutions d'Etat et la quasi-absence d'une administration publique efficace à l'extérieur de Bangui ont amené certains à considérer la RCA comme un « Etat fantôme »[2]. Si ce diagnostic est alarmant, le véritable enjeu est de parvenir à une thérapeutique adéquate. A ce propos, nombreuses sont les actions, interventions et énergies déployées pour trouver une issue durable à cette crise.
Au cours des dernières années, une prise de conscience a
émergé, au sein de la communauté internationale, quant à l'importance de la
consolidation de la paix et a son rôle essentiel dans le processus de paix. Si le souci d’institutions
internationales d’apporter leur soutien à des Etats en crise n’est pas
entièrement nouveau, il s’accompagne aujourd’hui d’une volonté de ne pas se contenter
de la simple restauration de l’autorité de l’Etat et/ou de la fin des
affrontements armés (internes ou internationaux). De plus en plus, les
institutions internationales considèrent qu’une paix durable ne peut se
concevoir qu’à la condition de promouvoir un système de gouvernement fondé sur
les principes de la démocratie, de l’Etat de droit, de l’économie de marché et
de la bonne gouvernance. Le plus difficile, dans ce domaine, est toujours de
mettre en place des structures étatiques nouvelles et viables et de faire en
sorte que l’aide extérieure permette aux sociétés sortant d’un conflit
d’avancer efficacement vers une paix durable et de faire face aux défis de la
mondialisation.
En effet, la mondialisation est pour certains synonyme de
menace pour le respect des droits fondamentaux[3]. Sans pour autant négliger les aspects positifs que la
mondialisation peut entraîner d’un point de vue social sur les populations, il
faut se rendre à l’évidence que le fossé entre le Nord et le Sud est une réalité.
Celui-ci, malgré les efforts de ceux qui mettent tout en œuvre pour le combler,
continue à se creuser. A l’heure actuelle, les famines qui ravagent
régulièrement les pays d’Afrique subsaharienne (dont la RCA) représentent un
triste exemple de ce déséquilibre. Ces pays se retrouvent intégrés dans un
processus économique dont ils ne maîtrisent ni les règles ni la mise en œuvre
et, dépendant souvent essentiellement du commerce de matières premières très
spéculatives, ils subissent des soubresauts importants dans la valorisation de
leurs produits. Cette situation entraîne bien évidemment des difficultés quant
à la planification et l’organisation de leur développement économique et à la paix durable.
Dans ce contexte, la consolidation de la paix est un projet
complexe, à long terme, qui implique des décisions fondamentales sur la façon
de construire une « bonne » société et nécessite des initiatives officielles et
informelles de mise en place d’institutions. Même s’il est encore trop tôt pour
se prononcer sur l’action de la Commission de consolidation de la paix (CCP)
des Nations unies[4] et son Bureau d’appui en République centrafricaine, il est
certainement utile d’examiner certaines difficultés qui se posent à la
Commission, et d’identifier certaines des contraintes qui pèsent sur elle et
les grandes chances qui s’offrent à elle.
L’éruption récurrente de violence en République
centrafricaine, un pays qui a accueilli ces dix dernières années quatre
opérations de maintien de la paix par le passé, illustre la fragilité des
situations post-conflictuelles et l’importance de la communauté internationale
de ne pas crier à la victoire et de maintenir son effort tout au long des
phases qui suivent celle du maintien de la paix. Les problèmes sont redoutables
et nécessitent une large et solide alliance au niveau international.
I. APERÇU HISTORIQUE DES CRISES SOCIO POLITICO- MILITAIRES
DE LA REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
La République centrafricaine – l’Oubangui Chari durant la
période coloniale – a, depuis son
indépendance officielle à nos jours, une histoire politique décrite comme
turbulente, ou comme parfois « ubuesque » et « chaotique », à en croire
Jean-Marc Balencie et Arnaud de la Grange[5]. La RCA n'a connu qu'une suite de
régimes politiques autoritaires dont le plus emblématique est le régime du
Président à vie Jean-Bedel Bokassa devenu empereur (1966-1979) avant d'être
renversé en 1979. Pour avoir tenté de trop agrandir son pouvoir et son autorité
et, surtout, de se rapprocher de la Libye, le Président Bokassa, premier et
seul empereur de Centrafrique, se vit destitué, en septembre 1979, par un coup
d’Etat commandité par Paris qui entra dans l’histoire sous le nom d’ «
opération Barracuda ».
David Dacko revient une seconde fois et lui succède encore brièvement. Ce dernier
abolit l’empire et restaure la République. Dacko II organise les élections en
mars 1981 et l’emporte (50,23%). Mais son chalangeur Ange Felix Patasse
conteste les résultats et prend le chemin de l’exil. Son parti politique MLPC
organise des manifestations violentes. En même temps, le pays traverse une
grave crise de trésorerie. La Centrafrique est au bord de la guerre civile. La
paix et l’unité nationales sont gravement menacées. C’est donc dans ces
conditions que le Général André Kolingba, alors chef d’Etat-major, arrive au
pouvoir le 1er septembre 1981. Au lendemain de son accession au pouvoir, la
Constitution est suspendue, les syndicats et les partis politiques sont
dissous. Le nouveau Président promet de se retirer dans moins d’un an, une fois
l’autorité de l’Etat rétablie. Ayant pris goût aux délices du pouvoir, André
Kolingba s’accroche.
Face à l’ampleur des pressions internes et externes suite à
la corruption galopante, le Président Kolingba (1981-1993) se prononce pour le
multipartisme en avril 1991. Les prisonniers politiques sont libérés, les
partis politiques sont légalisés le 31 août 1991 et les libertés syndicales,
suspendues en juillet, sont rétablies le 1er novembre de cette même année. Après avoir accepté le principe d’une
conférence nationale dans un premier temps, le Président Kolingba convoque
finalement un « grand débat national » non souverain qui est boycotté par
l’opposition. L'organisation des élections présidentielles et législatives pluralistes,
les 22 août et 19 septembre 1993, s'est faite sous le strict contrôle de la
communauté internationale, en particulier de la France. Ancien Premier ministre
de Bokassa, Ange Félix Patassé est élu le 19 septembre 1993 avec 53,45% des
voix. La nouvelle Constitution adoptée
par référendum le 28 décembre 1994 avec 82% des suffrages, mais avec une
participation de l'ordre de 40% seulement, a été promulguée par décret le 14
janvier 1995.
Très rapidement cependant, la situation politique se crispe.
Sept partis d’opposition se regroupent au sein d’un Conseil démocratique de
l’opposition centrafricaine (CODEPO) dès le mois de novembre 1995 en fustigeant
le caractère autoritaire et ethnocentriste du pouvoir d’Ange Patassé[6]. Les
problèmes politiques et économiques se nourrissant mutuellement, une partie de
l’armée se mutine en avril 1996 pour réclamer le paiement de soldes. En
l’espace de huit mois, entre 1996 et 1997, trois mutineries de soldats
ébranlent le régime Patassé.
Tout au long des années 1996 et 1997, affrontements, accords
de paix et rupture de trêve se succèdent. Les accords entre forces politiques
conduisent, en juin 1996, à la nomination d’un Premier ministre mais le Conseil
démocratique de l’opposition centrafricaine (CODEPO) refuse de participer au
gouvernement. Des parlementaires demandent même une mise en accusation du chef
de l’Etat en janvier 1997. Les différentes crises amènent le Tchad, le Gabon,
le Burkina Faso et le Mali à initier plusieurs médiations. Avec leur appui, la
Commission centrafricaine de concertation et de dialogue parvient à un accord
de réconciliation.
Les accords de Bangui, signés le 25 janvier 1997 prévoient
la création d’une mission interafricaine de surveillance des accords de Bangui
(MISAB) et d’un comité international de suivi (CIS) de l’ONU. La MISAB,
comprenant des soldats des pays médiateurs et appuyée par la France, est
installée le 12 février et un nouveau gouvernement d’action pour la défense de
la démocratie est formé auquel participe toute la classe politique. Des
accrochages entre mutins et MISAB ont lieu en mars, en mai et en juin 1997,
risquant de compromettre les accords de Bangui. L’ONU a mis en place une
Mission des Nations Unies en République centrafricaine (MINURCA) composée de
1400 hommes avec pour mission d’assurer le respect des accords signés entre les
différentes parties. Du coup, ces événements servent de prétexte au pouvoir
pour développer un redoutable arsenal de répression visant principalement les
populations du quartier sud de Bangui appartenant à l’ethnie Yakoma[7].
La division sera donc consommée entre les citoyens du
Nord et ceux du Sud. Ces derniers, désignés comme des «
gibiers » par les forces de la présidence (notamment les milices Karakos,
Balawas et Sarawis) sont, après chaque mutinerie ou tentative de coup de force,
systématiquement massacrés et soumis aux pires exactions : tortures, viols,
expulsions, pillages. L’on estime à près
de 20 000 ceux d’entre eux qui ont fui le pays et errent dans la sous-région,
trouvant abri dans les camps de réfugiés.
Patassé procède à une augmentation sensible de sa garde
présidentielle (près de deux mille hommes), crée des milices et des unités
spéciales de commandos et multiplie les services d’écoute et de renseignements.
Il déploie une offensive diplomatique dans la région et opère un rapprochement
avec le tchadien Idriss Déby et feu Laurent Désiré Kabila de la République
démocratique du Congo. Mais l’alliance la plus spectaculaire sera scellée avec
le Guide de la révolution libyenne, Mouammar Kadhafi, qui lui fournira un
détachement de trois cents hommes fortement équipés pour sa protection
personnelle.
Après l’élection présidentielle de 1999, remportée par
Patassé face à une opposition divisée et une population déprimée, l’opposition
dénonce les irrégularités du scrutin. Dans la nuit du 27 au 28 mai 2000, Bangui
est à nouveau prise sous le feu de soldats « rebelles » qui affrontent les
forces loyalistes. Une tentative de coup d’État que s’empresse de revendiquer
l’ex-président, le général André Kolingba. La tentative de putsch est matée par
les forces loyalistes, les soldats libyens et les troupes du rebelle congolais
(RDC) Jean-Pierre Bemba qui passent la frontière entre les deux pays pour
participer à la répression Patassé lors des combats du 25 au 30 octobre
2002, au cours desquels des crimes de
guerre contre les habitants de Bangui ont été commis, et ce, en complicité
passive avec les troupes loyales.
Lors des deux tentatives de coups d’Etat, en mai 2001 et en
octobre 2002, Ange Félix Patassé a cherché le soutien des forces armées du
Mouvement de Libération du Congo (MLC) et de leur leader, Jean-Pierre Bemba.
L’envoi de 700 combattants du MLC a conduit à renforcer le risque de contagion
du conflit congolais en Centrafrique, tout en ayant fait augmenter
considérablement le nombre de militaires étrangers sur le territoire national.
D’autre part, ce pacte a constitué une violation de l’accord d’assistance
mutuelle que le Chef d’Etat de la RCA avait déjà signé avec son homologue
congolais, Laurent Kabila, en mai 1999.
Malgré l'intervention de la communauté internationale
(MINURCA), le général François Bozizé réussit un nouveau coup d'État, le 15
mars 2003 et renverse le président Patassé. Une élection présidentielle a lieu,
le 13 mars 2005, après plusieurs reports et dans laquelle se présentent, entre
autres, François Bozizé (déjà Chef d'État), l'ancien président André Kolingba
et l'ancien vice-président Abel Goumba. L’élection présidentielle de 2005 va
conforter le pouvoir du président Bozizé, comme le témoigne notamment la
réintégration de la RCA au sein de l’Union africaine et le retour des bailleurs
de fonds.
Ainsi, les répercussions négatives des crises
militaro-politiques risquent de déclencher un cercle vicieux, dans la mesure où
la baisse de la production et du budget du pays, suite au désintérêt de la
Communauté internationale, rend encore plus difficile pour l’Etat le paiement
des salaires de ses fonctionnaires ainsi que des soldes de ses soldats, ce qui
constitue, de nouveau, une source potentielle de mécontentement, de révolte et
d’agitation susceptibles de décourager les investisseurs étrangers.
Malgré son triomphe électoral, Bozizé a connu un début de
mandat difficile, marqué par une série d’accrochages dans le nord du pays entre
des groupes armés et les FACA. Depuis 2004, les groupes armés sévissent dans le
nord du pays et on compte plus de 30.000 réfugiés centrafricains dans les pays
voisins (Tchad et Cameroun) ainsi que beaucoup de déplacés internes. Parmi ces
groupes, les deux plus actifs dans cette région de la RCA sont, d’une part,
l’Union des Forces Démocratiques pour le Rassemblement (UFDR)[8] dirigée par
Abakar Sabone et Michel Djotodra, et d’autre part, l’Alliance Patriotique pour
la Restauration de la République et de la Démocratie (APRD) très actif dans le
Nord-Ouest. Ce groupe est dirigé par Larmassoum et associe des éléments de
l’ex-garde présidentielle de l’ancien président Ange Félix Patassé à des
groupes d’auto-défense locaux en quête de sécurité pour leur communauté.
Dans ces zones, la violence est actuellement contenue par la
présence des missions internationales de l’EUFOR et de la MINURCAT.
L’insécurité chronique qui règne en République centrafricaine menace toutefois
l’ensemble de la région. Sa stabilisation apparait donc comme un enjeu crucial
pour la communauté internationale.
II. LA COMMISSION DE
CONSOLIDATION DE LA PAIX : NOUVEAU CHAPITRE DE LA PAIX ?
Le concept des opérations dites de « consolidation pour la
paix », ou « peacebuilding », désigne les efforts déployés pour promouvoir la
sécurité humaine dans les sociétés émergeant de conflits. L’objectif central de
la consolidation de la paix est de renforcer la capacité des sociétés à gérer
pacifiquement les sorties de conflits et, ainsi, à assurer de façon durable la
sécurité humaine de leurs citoyens, dans l’espoir d’éviter un début ou une
reprise d’hostilités armées.
Simplement dit, ces opérations cherchent à mobiliser et
coordonner les efforts nationaux et internationaux visant à stimuler le
développement économique, le renforcement des institutions politiques et
juridiques tout en assurant l’établissement d’une société civile. Selon
l’Agenda pour la Paix, publié par l’ONU en 1992, la notion de consolidation de
la paix doit être comprise comme une « série d’actions menée en vue de définir
et d’élaborer les structures propres à raffermir la paix afin d’éviter une
reprise des hostilités ».
Dans son rapport intitulé « Dans une liberté plus grande
»[9] paru en 2005, Kofi Annan a rappelé que la moitié des pays qui sortent
d’une guerre retombent dans la violence dans les cinq années qui suivent. Il
mettait ainsi l’accent sur l’importance de la « consolidation de la paix », un
concept dont l’ambition globale est de « réhabiliter des régions ou des États
dévastés par des conflits armés, afin d’éviter la reprise des hostilités et
d’installer une paix durable ». Fort de ce constat, l’ONU a mis en en place, en
décembre 2005, une Commission de consolidation de la paix (CCP), suivant ainsi
les recommandations du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces,
les défis et le changement[10].
1. Cadre conceptuel
La consolidation de la paix repose sur l’idée selon laquelle
les situations post-conflit sont marquées par des conditions politiques,
économiques et sociales instables, persistant une fois les affrontements armés
terminés. Considérant la fragilité d’un État et la facilité de voir un
basculement graduel vers une reprise de conflit ou vers sa défaillance totale,
les stratégies d’une mission de consolidation de la paix cherchent à instaurer
les conditions favorables au maintien de l’ordre, mais surtout à développer des
outils démocratiques qui assureront le transfert des conflits armés vers leur
expression pacifique dans la sphère politique et sociale.
Les sociétés post-conflit présentent un risque fortement
élevé de reprise des hostilités. Le
risque pour un pays en développement type, qui a connu la paix sur une
longue période, de retomber dans une violence à large échelle, est estimé à
environ 9% sur une décennie (Collier, Hoeffler et Rohner, 2007). En revanche,
partant d’une analyse de 66 expériences post-conflit, Collier, Hoeffler et
Soderbom estiment à 40% le risque que
présente une société post-conflit type au cours de sa première décennie
pacifique.
C’est la raison pour laquelle les activités de consolidation
de la paix s’entremêlent avec celles
issues des programmes de développement durable des différentes agences
internationales (Banque mondiale, Fonds monétaire international, Banque
interaméricaine de développement ou Programme des Nations unies pour le
Développement…) et des ONG (Croix-Rouge, OXFAM ou CARE…).
2. La structure
La CCP est un organe consultatif intergouvernemental créé à
la fois par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies.
Elle est placée sous la tutelle de ces deux organes. La CCP a trois objectifs
majeurs : proposer des stratégies intégrées pour faciliter le relèvement des
États qui sortent d’un conflit armé, faire des recommandations et donner des
renseignements dans le but d’améliorer la coordination entre tous les acteurs
impliqués dans le processus de consolidation de la paix, maintenir la
mobilisation internationale afin de dégager les ressources nécessaires à la
reconstruction et au renforcement des institutions dans les États au lendemain
d’une guerre.
La CCP est dotée d’un comité d’organisation composé de 31
États membres[11]. Cet organe permanent est aidé dans sa tâche par le bureau
d’appui à la consolidation de la paix qui comprend 12 personnes et qui dépend
du Secrétaire général de l’ONU. Ce bureau est chargé d’assister la CCP,
d’appuyer le Secrétaire général pour les questions relatives à la consolidation
de la paix, ainsi que de la direction des fonds. En ce qui concerne ce dernier
point, un Fonds de consolidation de la paix, géré par le Programme des Nations
unies pour le développement (PNUD), a été lancé en octobre 2006 par le
Secrétaire général à la demande de l’Assemblée générale.
Les travaux de la CCP sont également épaulés, pour chaque
pays inscrit à son agenda, par une « Formation » ou « Configuration »
spécifique. Il s’agit d’un groupe réduit composé d’États, d’Institutions
financières internationales, ou encore d’Organisations régionales et
internationales. Enfin, la CCP a mis en place un Groupe de travail chargé
d’examiner les enseignements tirés de son expérience. Celui-ci recense les «
pratiques optimales » et met en avant l’expérience des membres de la CCP dans
le domaine de la consolidation de la paix.
III. LA CCP EN ACTION EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
Dans une lettre adressée au Président de la Commission de
consolidation de la paix le 6 mars 2008 et transmise au Conseil de sécurité le
10 avril 2008, le Ministre des affaires étrangères, de l’intégration régionale
et de la francophonie de la République centrafricaine a demandé que la
République centrafricaine soit inscrite à l’ordre du jour de la Commission de
consolidation de la paix. Le Conseil a appuyé la demande et a invité la Commission à formuler
des avis et des recommandations sur la situation en République
centrafricaine[12].
A l'occasion de la 6e réunion du Comité d'organisation de la
Commission de consolidation de la paix qui s'est tenue le 12 juin 2008, il a
été décidé d'inscrire la République centrafricaine à l'ordre du jour de la
Commission. Le Représentant permanent de la Belgique aux Nations unies, M. Jan
Grauls, Ambassadeur, a été élu à la Présidence de la Formation République
centrafricaine de la Commission. Le dialogue politique inclusif reste l’élément
central dans la stratégie de consolidation de la paix sur lequel misent les
partenaires de la RCA.
Tirant parti de l’opportunité créée par les efforts
régionaux de rétablissement de la paix et de la stabilité en République
centrafricaine, le Bureau d’appui à la consolidation de la paix a approuvé un
financement au titre du guichet pour les interventions d’urgence d’un montant
de 801.975 dollars pour un projet de Dialogue politique inclusif. A la suite du
lancement du projet et pour en accélérer le processus, deux décrets portant
création et organisation d’un Comité préparatoire du Dialogue ont été signés
par le Président Bozizé le 30 novembre 2007. Par le biais d’un exercice
consultatif organisé par le Bureau d’appui des Nations unies pour la
consolidation de la paix en République centrafricaine (BONUCA) avec toutes les parties prenantes, le processus
de dialogue a permis de favoriser l’établissement d’un consensus sur l’adoption
du décret rectificatif.
Quant au Fonds de la Consolidation de la Paix, l’affectation
sous la première tranche est sur le point d’être formalisée. Le plan des priorités,
élaboré en coopération avec le BONUCA et l’équipe de pays des Nations unies, a
été approuvé en mai 2008 pour un montant de 10 millions de dollars et a recensé
trois domaines prioritaires à court terme pour le financement du Fonds : i)
réforme du secteur de la sécurité, ii) promotion d’une bonne gouvernance,
décentralisation et services publics et iii) revitalisation des collectivités
affectées par le conflit.
Ceci devrait notamment permettre le financement de certains
aspects des processus de RSS et de DDR, non couverts à ce jour par d’autres
financements. Dans ce cadre, une mission d’évaluation mixte (composée de
représentants de la RCA et des partenaires internationaux) est prévue en
décembre 2008 ou janvier 2009. Elle devrait permettre aux participants de
dresser un nouveau bilan des avancées et problèmes éventuels dans la
mise-en-œuvre de la stratégie nationale de RSS. L’engagement mutuel entre la
CCP et la République centrafricaine se concrétisera par un document stratégique
de consolidation de la paix.
IV. LES PROLEGOMENES D’UNE CONTRIBUTION A LA CONSOLIDATION
DE LA PAIX EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
La persistance de troubles et de tensions sociopolitiques et les difficultés à concilier les fractions sociales du pays avec les valeurs et les pratiques démocratiques, donnent, de l’autre côté, une image qui semble remettre en question la sortie définitive du pays d’une dynamique conflictuelle. Il est donc important que la communauté internationale donne un appui à l’Etat centrafricain pour renforcer la sécurité. Pour consolider son avenir, la RCA ne saurait faire fi de son passé.
La persistance de troubles et de tensions sociopolitiques et les difficultés à concilier les fractions sociales du pays avec les valeurs et les pratiques démocratiques, donnent, de l’autre côté, une image qui semble remettre en question la sortie définitive du pays d’une dynamique conflictuelle. Il est donc important que la communauté internationale donne un appui à l’Etat centrafricain pour renforcer la sécurité. Pour consolider son avenir, la RCA ne saurait faire fi de son passé.
La RCA semble s’engager dans cette voie. L’opportunité
offerte par le processus de stabilisation politique, marqué par une nouvelle
philosophie, permet de penser qu’il ne sera plus nécessaire pour exprimer ses
opinions de prendre le maquis et de vivre en exil et pour l’armée de rentrer
dans les casernes. Cependant, en faisant
la phénoménologie de la crise centrafricaine, en restituant ses figures et
modes sociaux d'expression ainsi que ses ressources, on comprend que la fin
définitive de la crise n’est pas si accessible. Si la transition de la guerre
vers la paix peut déboucher sur une paix durable, la transition d’un Etat en
faillite vers la paix peut inversement s’achever dans l’anarchie et
le chaos. De fait, l’immensité des défis à relever expose la pacification
post-crise à affronter de nombreux dilemmes. Ceux-ci sont relatifs à
l’intensité des conflits, aux limites intrinsèques de la consolidation de la
paix.
1. La réforme de l’armée
Les propos de la Ligue centrafricaine des droits de l’Homme
dans un communiqué publié dans Jeune Afrique Economie (1996) lors de la
première mutinerie sont toujours d’actualité : « En fait, cette mutinerie a
pour cause, le mouvais traitement dont sont victimes les soldats : bas niveau de salaire, absence de dotation en
habits et chaussures ; manque de soins et de suivi médical, détournement des
primes globales d’alimentations par certains officiers : détournement de la
ration alimentaire ; abandon sans moyens financiers et matériels des éléments
envoyés au front dans le cadre de la lutte contre les coupeurs de route et
braconniers, insuffisances de moyens logistiques de travail, injustice dans
l’évolution de la carrière, règlement de comptes et autres humiliations… Les
revendications des mutins étaient suffisamment claires : « depuis quinze ans,
on continue percevoir un traitement de
deuxième classe qui est de 29041 FCFA par mois. Nos conditions de vie sont très
médiocres. Nous sommes lésés et exposés
des maladies. Depuis la caserne, nous demandons le paiement des arrières
de salaires de 1992, 1993 et 1996… Nous sommes des pères de familles avec
enfants ».
Pour contribuer de manière significative à la consolidation
de la paix en RCA, la communauté internationale
devra mener à bien la réforme
indispensable de l’armée centrafricaine
pour sortir la Centrafrique de sa
misère politique, économique et sécuritaire.
2. Un ius post bellum
à la hauteur des attentes
La Commission vérité et réconciliation aura un travail à
faire pour faciliter la tache aux institutions judiciaires afin de rompre
définitivement avec l’impunité. La démarche de l’Etat centrafricain mérite
d’être encouragée. Cette démarche consiste à saisir la Cour pénale internationale
sur les atrocités commises sur la population centrafricaine entre 2002 et 2003.
Mais il serait mieux d’aller au-delà de cette période pour permettre aux
victimes de recréer symboliquement le lien avec la communauté. Il faudra penser
aux soutiens de nombreuses victimes. Le rapport de Human Rights Watch fait état
de villages incendiés, de femmes violées et d’individus exécutés en masse, et
du fait qu’il est difficile d’évaluer avec exactitude la situation humanitaire.
Ainsi, l’amélioration de la situation des droits de l’Homme constitue un grand
défi qu’il faut absolument relever pour une bonne marche de ce processus de
consolidation de la paix.
3. La bonne volonté des acteurs dans le processus de
stabilisation politique en cours
Fort heureusement, à partir de novembre 2006, face à la
situation d’insécurité, un « Groupe des Sages» a initié une série de
consultations avec les partis politiques nationaux, les syndicats, les
associations civiles et le corps diplomatique ainsi que l’opposition armée. Ces
consultations ont débouché sur des recommandations en vue de la tenue d’un
dialogue politique inclusif.
Le Comité préparatoire du Dialogue politique inclusif
(CPDPI), constitué en décembre 2007, a réuni des représentants de l'Etat, de
l'opposition, de la société civile et des groupes armés fin d'élaborer un cadre
consensuel pour un dialogue politique ouvert à tous. Le Dialogue inclusif est
considéré comme une occasion majeure de réunir toutes les parties prenantes
nationales au sein d'un processus de réconciliation. La plupart des parties
prenantes nationales pensent également qu'il s'agit d'une mesure décisive pour
que les prochaines élections législatives et présidentielles soient libres,
équitables et pacifiques.
Dans ce contexte, l’accord de paix global signé le 21 juin
2008 à Libreville par le gouvernement centrafricain et deux des trois
principaux mouvements politico-militaires, a marqué une étape symbolique dans
la relance d’une dynamique de stabilisation. Cet accord, conclu sous l’égide du
président de la République du Gabon, confirme les engagements de cessez-le-feu
entre les parties. Il engage notamment le gouvernement à promulguer une loi
d’amnistie générale, préalable au Dialogue Politique Inclusif (DPI) et à un
processus de Démobilisation, de Désarmement et de Réinsertion (DDR) des troupes
rebelles.
Le démarrage du Dialogue Politique Inclusif connaît
actuellement de graves difficultés. Le gouvernement centrafricain reproche à
différents mouvements politico-militaires d’avoir repris les armes en dépit des
accords de cessez-le-feu. Une partie de l’opposition parlementaire d’une part
et de l’opposition armée d’autre part a refusé le projet de Loi d'Amnistie voté
le 29 septembre et a demandé une représentation plus équilibrée au sein du
Comité préparatif du dialogue. Le gouvernement centrafricain s’est engagé à
chercher activement une solution à ce blocage. Depuis lors, le 13 octobre, le
président de la République a promulgué ladite loi d’amnistie. Outre les
problèmes internes en matière de politique et de sécurité, des menaces
potentielles externes persistent car la République centrafricaine est exposée
aux effets des conflits qui sévissent dans les pays voisins que sont le Tchad,
le Soudan et la République démocratique du Congo.
La responsabilité de protéger la population civile revient
en priorité au gouvernement centrafricain qui doit absolument réorganiser les
forces armées, mettre fin aux violations des droits de l’Homme en sécurisant la
totalité du pays, améliorer les
conditions de vie de la population et initier une vraie réforme démocratique.
Etant donné l’incapacité du gouvernement centrafricain à adresser en
particulier la crise économique et sécuritaire du pays, la communauté
internationale a le devoir d’assister et de protéger la population
Centrafricaine. Le BONUCA, en collaboration avec le Haut Commissariat des
Nations unies aux droits de l’Homme, assiste actuellement la RCA dans la mise
en place d’une Commission nationale de promotion des droits de l’Homme conforme
aux principes universels. Cette Commission est attendue en début de l’année
2009.
Les autorités centrafricaines ont publié en juin 2008, dans
le cadre de l’allocation du Fonds de Consolidation de la Paix, leur Plan Prioritaire
pour la Consolidation de la Paix. Celui-ci identifie comme premier domaine
d’intervention prioritaire la Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS). La RSS
est envisagée comme un processus de restructuration et de formation engageant
tous les segments du secteur de la sécurité, notamment les Forces Armées
Centrafricaines (FACA), la gendarmerie nationale, la police nationale, le
service des douanes, certains éléments non-étatiques, l’administration
judiciaire et pénitentiaire, les services de renseignement et des services de
protection des ressources naturelles.
Les avancées du Dialogue Politique Inclusif, du processus de
RSS et du processus de DDR peuvent potentiellement se renforcer mutuellement.
Dans cette vision, le processus de DPI permettrait aux parties de s’engager
dans une dynamique de réconciliation nationale avec confiance et de définir les modalités du cantonnement
des mouvements politico-militaires et du retour à la stabilité du pays.
Conclusion
L’alternance de l’Etat centrafricain entre anomie et
dysfonctionnement a conduit à l’établissement de structures publiques peu
performantes ainsi qu’à l’accroissement de la précarité et de la fragilité. La
situation s’avère d’autant plus
inquiétante que la population se montre de plus en plus désintégrée et
mécontente. A ceci s’ajoute la présence d’hommes armés et d’armes clandestines
sur le territoire national qui est en train de prendre des dimensions de plus
en plus inquiétantes. La menace la plus inquiétante semble toutefois toujours
se situer au niveau de la réinsertion des anciens combattants au sein de la
population et de la reforme de l’armée, au vu de la faible capacité du secteur
public et de l’économie nationale à les réabsorber.
Un effort cohérent de consolidation de la paix est
nécessaire pour éliminer les multiples causes d’un conflit ou d’un risque de
conflit. Il s’agit de déterminer l’ampleur des besoins et les moyens de les
satisfaire à court, moyen et long terme, en fonction de la nature du conflit et
de ses causes profondes. Il s’agit également de s’attaquer en priorité aux
questions liées à la réconciliation nationale, aux droits de l’Homme, à la
représentativité du régime politique afin de garantir l’unité nationale, le
renforcement des institutions démocratiques, le rapatriement et la réinsertion
des réfugiés et des personnes déplacées, la formation d’une armée républicaine,
la réinsertion des ex-combattants, la résorption de la masse des armes de petit
calibre en circulation. D’une manière générale, on constate que la
consolidation de la paix se veut structurelle, dans la mesure où elle vise à
restaurer ou à élaborer des conditions permettant le fonctionnement optimal de
l’appareil étatique, qui apparaît comme un préalable, non seulement à la
jouissance des droits et libertés, mais aussi à la sécurité des investissements
et au bon fonctionnement de l’économie de marché. Bien qu’il y ait beaucoup à
faire en République centrafricaine, on est actuellement en présence d’une
conjoncture favorable exceptionnelle. Les acteurs doivent tirer profit de
l’action du gouvernement et des donateurs internationaux, de l’accord de paix
global, du Dialogue Politique Inclusif et des cadres stratégiques établis pour
la sécurité, la réduction de la pauvreté et l’aide humanitaire. C’est un
nouveau chapitre et une occasion unique de rompre avec les « années de poudre et de sang ».
Mode de citation : Jean-Baptiste HARELIMANA, « Commission deconsolidation de la paix en République centrafricaine : vers un nouveauchapitre de paix », MULTIPOL - Réseau d’analyse et d’information sur l’actualitéinternationale, 20 décembre 2008.
[2] ICG, RCA : anatomie d’un état fantôme, Rapport Afrique
n°136, 13 décembre 2007.
[3] Voir le rapport
de la Haut-Commissaire intitulé «La mondialisation et ses effets sur la pleine
jouissance de tous les droits de l’Homme» (E/CN.4/2002/54), qui a pour thème la
libéralisation du commerce de produits agricoles et son incidence sur le droit
au développement, y compris le droit à l’alimentation.
[4] La Commission de consolidation de la paix, nouveauté
institutionnelle importante de la réforme de fond de l’ONU, est saluée comme le
premier organe intergouvernemental cherchant à s’engager à long terme dans des
activités visant à promouvoir la paix durable dans des pays sortant d’un
conflit. Elle doit combler une insuffisance du système des Nations unies et
devenir, au sein de l’Organisation, le point de contact sur les questions liées
à la paix. Créée à la fois par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité,
elle se doit d’être représentative des deux organes.
[5] J.-M. BALENCIE et A. DE LA GRANGE, Mondes Rebelles.
Guérillas, milices, groupes terroristes, Paris, Michalon, 2001, pp.881-891.
[6] L. GOMINA-PAMPALI, La Centrafrique face à lui-même :
diagnostic de la décennie de démocratisation (1986-1996) et repère pour
l’avenir, Yaoundé, PUCAC, 2001.
[7] E. BERMAN, La République Centrafricaine : Une étude de
cas sur les armes légères et les conflits, Genève, Coprint, 2006.
[8] Ce groupe rebelle qui opère principalement dans le
Nord-Est est en fait une alliance de trois groupes rebelles distincts : le
Mouvement de Libération Centrafricain pour la justice (MLCJ) de Michel Djotodra
et le Front Démocratique Centrafricain (FDC) de Justin Hassan.
[9] Nations unies, « Dans une liberté plus grande :
développement, sécurité et respect des droits de l’Homme pour tous », Rapport
du Secrétaire général (A/59/2005), 24 mars 2005, New York, 72 pp.,
http://www2.ohchr.org/french/bodies/hrcouncil/docs/gaA.59.2005_Fr.pdf.
[10] Nations unies, « Un monde plus sûr, notre affaire à
tous », Rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les
défis et le changement, 2004.
[11] Le Comité d'organisation se compose de 7 membres
sélectionnés par le Conseil de sécurité : Afrique du Sud, Chine, États-Unis
d’Amérique, Fédération de Russie, France, Panama, Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, 7 membre élus par l’ECOSOC : Angola,
Brésil, Guinée-Bissau, Luxembourg, Indonésie, République tchèque et Sri Lanka
et 5 pays figurant parmi ceux dont les contributions statutaires aux budgets de
l’Organisation des Nations unies et les contributions volontaires aux budgets
des fonds, programmes et organismes des Nations unies, dont un fonds permanent
pour la consolidation de la paix, sont les plus importantes : Allemagne,
Canada, Japon, Pays-Bas et Suède.
[12] A/62/864–S/2008/383, Lettre datée du 30 mai 2008,
adressée au président de la Commission de consolidation de la paix par le
président du Conseil de sécurité.
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