20 décembre 2008

ANALYSE : La Commission de consolidation de la paix en République centrafricaine : vers un nouveau chapitre de paix

Jean-Baptiste HARELIMANA

La RCA, qui s’étend sur 623 000km2, a connu une histoire marquée par de nombreux coups d’Etat qui ont fragilisé économiquement ce pays tout en inscrivant cette ancienne colonie française dans un cycle d’insécurité particulièrement préoccupant pour ses 3,9 millions d’habitants, classés parmi les plus pauvres du monde. Aujourd'hui, elle se caractérise avant tout par sa fragilité. Cette fragilité est particulièrement critique dans les institutions d'Etat et les processus politiques.

Cette situation est la conséquence d’un conflit multidimensionnel qui dure depuis plusieurs décennies marquées par le syndrome de la dépendance[1], comme le montrent les crises militaires et politiques survenues de 1996 à 2003. Le gouvernement peine à restaurer les fonctions administratives, économiques et sociales essentielles afin de répondre aux besoins les plus urgents de la population. L'autorité de l'Etat est concentrée dans la capitale et ses environs, ainsi que dans quelques villes. La faiblesse des institutions d'Etat et la quasi-absence d'une administration publique efficace à l'extérieur de Bangui ont amené certains à considérer la RCA comme un « Etat fantôme »[2]. Si ce diagnostic  est alarmant, le véritable enjeu est de parvenir à une thérapeutique adéquate. A ce propos, nombreuses sont les actions, interventions et énergies déployées pour trouver une issue durable à cette crise.

Au cours des dernières années, une prise de conscience a émergé, au sein de la communauté internationale, quant à l'importance de la consolidation de la paix et a son rôle essentiel dans le processus de  paix. Si le souci d’institutions internationales d’apporter leur soutien à des Etats en crise n’est pas entièrement nouveau, il s’accompagne aujourd’hui d’une volonté de ne pas se contenter de la simple restauration de l’autorité de l’Etat et/ou de la fin des affrontements armés (internes ou internationaux). De plus en plus, les institutions internationales considèrent qu’une paix durable ne peut se concevoir qu’à la condition de promouvoir un système de gouvernement fondé sur les principes de la démocratie, de l’Etat de droit, de l’économie de marché et de la bonne gouvernance. Le plus difficile, dans ce domaine, est toujours de mettre en place des structures étatiques nouvelles et viables et de faire en sorte que l’aide extérieure permette aux sociétés sortant d’un conflit d’avancer efficacement vers une paix durable et de faire face aux défis de la mondialisation.

En effet, la mondialisation est pour certains synonyme de menace pour le respect des droits fondamentaux[3]. Sans pour autant  négliger les aspects positifs que la mondialisation peut entraîner d’un point de vue social sur les populations, il faut se rendre à l’évidence que le fossé entre le Nord et le Sud est une réalité. Celui-ci, malgré les efforts de ceux qui mettent tout en œuvre pour le combler, continue à se creuser. A l’heure actuelle, les famines qui ravagent régulièrement les pays d’Afrique subsaharienne (dont la RCA) représentent un triste exemple de ce déséquilibre. Ces pays se retrouvent intégrés dans un processus économique dont ils ne maîtrisent ni les règles ni la mise en œuvre et, dépendant souvent essentiellement du commerce de matières premières très spéculatives, ils subissent des soubresauts importants dans la valorisation de leurs produits. Cette situation entraîne bien évidemment des difficultés quant à la planification et l’organisation de leur développement économique et  à la paix durable.

Dans ce contexte, la consolidation de la paix est un projet complexe, à long terme, qui implique des décisions fondamentales sur la façon de construire une « bonne » société et nécessite des initiatives officielles et informelles de mise en place d’institutions. Même s’il est encore trop tôt pour se prononcer sur l’action de la Commission de consolidation de la paix (CCP) des Nations unies[4] et son Bureau d’appui en République centrafricaine, il est certainement utile d’examiner certaines difficultés qui se posent à la Commission, et d’identifier certaines des contraintes qui pèsent sur elle et les grandes chances qui s’offrent à elle.

L’éruption récurrente de violence en République centrafricaine, un pays qui a accueilli ces dix dernières années quatre opérations de maintien de la paix par le passé, illustre la fragilité des situations post-conflictuelles et l’importance de la communauté internationale de ne pas crier à la victoire et de maintenir son effort tout au long des phases qui suivent celle du maintien de la paix. Les problèmes sont redoutables et nécessitent une large et solide alliance au niveau international.


I. APERÇU HISTORIQUE DES CRISES SOCIO POLITICO- MILITAIRES DE LA REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

La République centrafricaine – l’Oubangui Chari durant la période coloniale – a,  depuis son indépendance officielle à nos jours, une histoire politique décrite comme turbulente, ou comme parfois « ubuesque » et « chaotique », à en croire Jean-Marc Balencie et Arnaud de la Grange[5]. La RCA n'a connu qu'une suite de régimes politiques autoritaires dont le plus emblématique est le régime du Président à vie Jean-Bedel Bokassa devenu empereur (1966-1979) avant d'être renversé en 1979. Pour avoir tenté de trop agrandir son pouvoir et son autorité et, surtout, de se rapprocher de la Libye, le Président Bokassa, premier et seul empereur de Centrafrique, se vit destitué, en septembre 1979, par un coup d’Etat commandité par Paris qui entra dans l’histoire sous le nom d’ « opération Barracuda ».

David Dacko revient une seconde fois et  lui succède encore brièvement. Ce dernier abolit l’empire et restaure la République. Dacko II organise les élections en mars 1981 et l’emporte (50,23%). Mais son chalangeur Ange Felix Patasse conteste les résultats et prend le chemin de l’exil. Son parti politique MLPC organise des manifestations violentes. En même temps, le pays traverse une grave crise de trésorerie. La Centrafrique est au bord de la guerre civile. La paix et l’unité nationales sont gravement menacées. C’est donc dans ces conditions que le Général André Kolingba, alors chef d’Etat-major, arrive au pouvoir le 1er septembre 1981. Au lendemain de son accession au pouvoir, la Constitution est suspendue, les syndicats et les partis politiques sont dissous. Le nouveau Président promet de se retirer dans moins d’un an, une fois l’autorité de l’Etat rétablie. Ayant pris goût aux délices du pouvoir, André Kolingba s’accroche.

Face à l’ampleur des pressions internes et externes suite à la corruption galopante, le Président Kolingba (1981-1993) se prononce pour le multipartisme en avril 1991. Les prisonniers politiques sont libérés, les partis politiques sont légalisés le 31 août 1991 et les libertés syndicales, suspendues en juillet, sont rétablies le 1er novembre de cette même année.  Après avoir accepté le principe d’une conférence nationale dans un premier temps, le Président Kolingba convoque finalement un « grand débat national » non souverain qui est boycotté par l’opposition. L'organisation des élections présidentielles et législatives pluralistes, les 22 août et 19 septembre 1993, s'est faite sous le strict contrôle de la communauté internationale, en particulier de la France. Ancien Premier ministre de Bokassa, Ange Félix Patassé est élu le 19 septembre 1993 avec 53,45% des voix.  La nouvelle Constitution adoptée par référendum le 28 décembre 1994 avec 82% des suffrages, mais avec une participation de l'ordre de 40% seulement, a été promulguée par décret le 14 janvier 1995.

Très rapidement cependant, la situation politique se crispe. Sept partis d’opposition se regroupent au sein d’un Conseil démocratique de l’opposition centrafricaine (CODEPO) dès le mois de novembre 1995 en fustigeant le caractère autoritaire et ethnocentriste du pouvoir d’Ange Patassé[6]. Les problèmes politiques et économiques se nourrissant mutuellement, une partie de l’armée se mutine en avril 1996 pour réclamer le paiement de soldes. En l’espace de huit mois, entre 1996 et 1997, trois mutineries de soldats ébranlent le régime Patassé.

Tout au long des années 1996 et 1997, affrontements, accords de paix et rupture de trêve se succèdent. Les accords entre forces politiques conduisent, en juin 1996, à la nomination d’un Premier ministre mais le Conseil démocratique de l’opposition centrafricaine (CODEPO) refuse de participer au gouvernement. Des parlementaires demandent même une mise en accusation du chef de l’Etat en janvier 1997. Les différentes crises amènent le Tchad, le Gabon, le Burkina Faso et le Mali à initier plusieurs médiations. Avec leur appui, la Commission centrafricaine de concertation et de dialogue parvient à un accord de réconciliation.

Les accords de Bangui, signés le 25 janvier 1997 prévoient la création d’une mission interafricaine de surveillance des accords de Bangui (MISAB) et d’un comité international de suivi (CIS) de l’ONU. La MISAB, comprenant des soldats des pays médiateurs et appuyée par la France, est installée le 12 février et un nouveau gouvernement d’action pour la défense de la démocratie est formé auquel participe toute la classe politique. Des accrochages entre mutins et MISAB ont lieu en mars, en mai et en juin 1997, risquant de compromettre les accords de Bangui. L’ONU a mis en place une Mission des Nations Unies en République centrafricaine (MINURCA) composée de 1400 hommes avec pour mission d’assurer le respect des accords signés entre les différentes parties. Du coup, ces événements servent de prétexte au pouvoir pour développer un redoutable arsenal de répression visant principalement les populations du quartier sud de Bangui appartenant à l’ethnie Yakoma[7].

La division sera donc consommée entre les citoyens du Nord  et ceux  du Sud. Ces derniers, désignés comme des « gibiers » par les forces de la présidence (notamment les milices Karakos, Balawas et Sarawis) sont, après chaque mutinerie ou tentative de coup de force, systématiquement massacrés et soumis aux pires exactions : tortures, viols, expulsions, pillages.  L’on estime à près de 20 000 ceux d’entre eux qui ont fui le pays et errent dans la sous-région, trouvant abri dans les camps de réfugiés.

Patassé procède à une augmentation sensible de sa garde présidentielle (près de deux mille hommes), crée des milices et des unités spéciales de commandos et multiplie les services d’écoute et de renseignements. Il déploie une offensive diplomatique dans la région et opère un rapprochement avec le tchadien Idriss Déby et feu Laurent Désiré Kabila de la République démocratique du Congo. Mais l’alliance la plus spectaculaire sera scellée avec le Guide de la révolution libyenne, Mouammar Kadhafi, qui lui fournira un détachement de trois cents hommes fortement équipés pour sa protection personnelle.

Après l’élection présidentielle de 1999, remportée par Patassé face à une opposition divisée et une population déprimée, l’opposition dénonce les irrégularités du scrutin. Dans la nuit du 27 au 28 mai 2000, Bangui est à nouveau prise sous le feu de soldats « rebelles » qui affrontent les forces loyalistes. Une tentative de coup d’État que s’empresse de revendiquer l’ex-président, le général André Kolingba. La tentative de putsch est matée par les forces loyalistes, les soldats libyens et les troupes du rebelle congolais (RDC) Jean-Pierre Bemba qui passent la frontière entre les deux pays pour participer à la répression Patassé lors des combats du 25 au 30 octobre 2002,  au cours desquels des crimes de guerre contre les habitants de Bangui ont été commis, et ce, en complicité passive avec les troupes loyales.

Lors des deux tentatives de coups d’Etat, en mai 2001 et en octobre 2002, Ange Félix Patassé a cherché le soutien des forces armées du Mouvement de Libération du Congo (MLC) et de leur leader, Jean-Pierre Bemba. L’envoi de 700 combattants du MLC a conduit à renforcer le risque de contagion du conflit congolais en Centrafrique, tout en ayant fait augmenter considérablement le nombre de militaires étrangers sur le territoire national. D’autre part, ce pacte a constitué une violation de l’accord d’assistance mutuelle que le Chef d’Etat de la RCA avait déjà signé avec son homologue congolais, Laurent Kabila, en mai 1999.

Malgré l'intervention de la communauté internationale (MINURCA), le général François Bozizé réussit un nouveau coup d'État, le 15 mars 2003 et renverse le président Patassé. Une élection présidentielle a lieu, le 13 mars 2005, après plusieurs reports et dans laquelle se présentent, entre autres, François Bozizé (déjà Chef d'État), l'ancien président André Kolingba et l'ancien vice-président Abel Goumba. L’élection présidentielle de 2005 va conforter le pouvoir du président Bozizé, comme le témoigne notamment la réintégration de la RCA au sein de l’Union africaine et le retour des bailleurs de fonds.

Ainsi, les répercussions négatives des crises militaro-politiques risquent de déclencher un cercle vicieux, dans la mesure où la baisse de la production et du budget du pays, suite au désintérêt de la Communauté internationale, rend encore plus difficile pour l’Etat le paiement des salaires de ses fonctionnaires ainsi que des soldes de ses soldats, ce qui constitue, de nouveau, une source potentielle de mécontentement, de révolte et d’agitation susceptibles de décourager les investisseurs étrangers.

Malgré son triomphe électoral, Bozizé a connu un début de mandat difficile, marqué par une série d’accrochages dans le nord du pays entre des groupes armés et les FACA. Depuis 2004, les groupes armés sévissent dans le nord du pays et on compte plus de 30.000 réfugiés centrafricains dans les pays voisins (Tchad et Cameroun) ainsi que beaucoup de déplacés internes. Parmi ces groupes, les deux plus actifs dans cette région de la RCA sont, d’une part, l’Union des Forces Démocratiques pour le Rassemblement (UFDR)[8] dirigée par Abakar Sabone et Michel Djotodra, et d’autre part, l’Alliance Patriotique pour la Restauration de la République et de la Démocratie (APRD) très actif dans le Nord-Ouest. Ce groupe est dirigé par Larmassoum et associe des éléments de l’ex-garde présidentielle de l’ancien président Ange Félix Patassé à des groupes d’auto-défense locaux en quête de sécurité pour leur communauté.

Dans ces zones, la violence est actuellement contenue par la présence des missions internationales de l’EUFOR et de la MINURCAT. L’insécurité chronique qui règne en République centrafricaine menace toutefois l’ensemble de la région. Sa stabilisation apparait donc comme un enjeu crucial pour la communauté internationale.


II. LA COMMISSION DE  CONSOLIDATION DE LA PAIX : NOUVEAU CHAPITRE DE LA PAIX ?

Le concept des opérations dites de « consolidation pour la paix », ou « peacebuilding », désigne les efforts déployés pour promouvoir la sécurité humaine dans les sociétés émergeant de conflits. L’objectif central de la consolidation de la paix est de renforcer la capacité des sociétés à gérer pacifiquement les sorties de conflits et, ainsi, à assurer de façon durable la sécurité humaine de leurs citoyens, dans l’espoir d’éviter un début ou une reprise d’hostilités armées.

Simplement dit, ces opérations cherchent à mobiliser et coordonner les efforts nationaux et internationaux visant à stimuler le développement économique, le renforcement des institutions politiques et juridiques tout en assurant l’établissement d’une société civile. Selon l’Agenda pour la Paix, publié par l’ONU en 1992, la notion de consolidation de la paix doit être comprise comme une « série d’actions menée en vue de définir et d’élaborer les structures propres à raffermir la paix afin d’éviter une reprise des hostilités ».

Dans son rapport intitulé « Dans une liberté plus grande »[9] paru en 2005, Kofi Annan a rappelé que la moitié des pays qui sortent d’une guerre retombent dans la violence dans les cinq années qui suivent. Il mettait ainsi l’accent sur l’importance de la « consolidation de la paix », un concept dont l’ambition globale est de « réhabiliter des régions ou des États dévastés par des conflits armés, afin d’éviter la reprise des hostilités et d’installer une paix durable ». Fort de ce constat, l’ONU a mis en en place, en décembre 2005, une Commission de consolidation de la paix (CCP), suivant ainsi les recommandations du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement[10].
 
1. Cadre conceptuel

La consolidation de la paix repose sur l’idée selon laquelle les situations post-conflit sont marquées par des conditions politiques, économiques et sociales instables, persistant une fois les affrontements armés terminés. Considérant la fragilité d’un État et la facilité de voir un basculement graduel vers une reprise de conflit ou vers sa défaillance totale, les stratégies d’une mission de consolidation de la paix cherchent à instaurer les conditions favorables au maintien de l’ordre, mais surtout à développer des outils démocratiques qui assureront le transfert des conflits armés vers leur expression pacifique dans la sphère politique et sociale.
 
Les sociétés post-conflit présentent un risque fortement élevé de reprise des hostilités. Le  risque pour un pays en développement type, qui a connu la paix sur une longue période, de retomber dans une violence à large échelle, est estimé à environ 9% sur une décennie (Collier, Hoeffler et Rohner, 2007). En revanche, partant d’une analyse de 66 expériences post-conflit, Collier, Hoeffler et Soderbom  estiment à 40% le risque que présente une société post-conflit type au cours de sa première décennie pacifique.

C’est la raison pour laquelle les activités de consolidation de la paix s’entremêlent  avec celles issues des programmes de développement durable des différentes agences internationales (Banque mondiale, Fonds monétaire international, Banque interaméricaine de développement ou Programme des Nations unies pour le Développement…) et des ONG (Croix-Rouge, OXFAM ou CARE…).

2. La structure

La CCP est un organe consultatif intergouvernemental créé à la fois par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies. Elle est placée sous la tutelle de ces deux organes. La CCP a trois objectifs majeurs : proposer des stratégies intégrées pour faciliter le relèvement des États qui sortent d’un conflit armé, faire des recommandations et donner des renseignements dans le but d’améliorer la coordination entre tous les acteurs impliqués dans le processus de consolidation de la paix, maintenir la mobilisation internationale afin de dégager les ressources nécessaires à la reconstruction et au renforcement des institutions dans les États au lendemain d’une guerre.
 
La CCP est dotée d’un comité d’organisation composé de 31 États membres[11]. Cet organe permanent est aidé dans sa tâche par le bureau d’appui à la consolidation de la paix qui comprend 12 personnes et qui dépend du Secrétaire général de l’ONU. Ce bureau est chargé d’assister la CCP, d’appuyer le Secrétaire général pour les questions relatives à la consolidation de la paix, ainsi que de la direction des fonds. En ce qui concerne ce dernier point, un Fonds de consolidation de la paix, géré par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), a été lancé en octobre 2006 par le Secrétaire général à la demande de l’Assemblée générale.

Les travaux de la CCP sont également épaulés, pour chaque pays inscrit à son agenda, par une « Formation » ou « Configuration » spécifique. Il s’agit d’un groupe réduit composé d’États, d’Institutions financières internationales, ou encore d’Organisations régionales et internationales. Enfin, la CCP a mis en place un Groupe de travail chargé d’examiner les enseignements tirés de son expérience. Celui-ci recense les « pratiques optimales » et met en avant l’expérience des membres de la CCP dans le domaine de la consolidation de la paix.


III. LA CCP EN ACTION EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

Dans une lettre adressée au Président de la Commission de consolidation de la paix le 6 mars 2008 et transmise au Conseil de sécurité le 10 avril 2008, le Ministre des affaires étrangères, de l’intégration régionale et de la francophonie de la République centrafricaine a demandé que la République centrafricaine soit inscrite à l’ordre du jour de la Commission de consolidation de la paix. Le Conseil a appuyé la  demande et a invité la Commission à formuler des avis et des recommandations sur la situation en République centrafricaine[12].

A l'occasion de la 6e réunion du Comité d'organisation de la Commission de consolidation de la paix qui s'est tenue le 12 juin 2008, il a été décidé d'inscrire la République centrafricaine à l'ordre du jour de la Commission. Le Représentant permanent de la Belgique aux Nations unies, M. Jan Grauls, Ambassadeur, a été élu à la Présidence de la Formation République centrafricaine de la Commission. Le dialogue politique inclusif reste l’élément central dans la stratégie de consolidation de la paix sur lequel misent les partenaires de la RCA.

Tirant parti de l’opportunité créée par les efforts régionaux de rétablissement de la paix et de la stabilité en République centrafricaine, le Bureau d’appui à la consolidation de la paix a approuvé un financement au titre du guichet pour les interventions d’urgence d’un montant de 801.975 dollars pour un projet de Dialogue politique inclusif. A la suite du lancement du projet et pour en accélérer le processus, deux décrets portant création et organisation d’un Comité préparatoire du Dialogue ont été signés par le Président Bozizé le 30 novembre 2007. Par le biais d’un exercice consultatif organisé par le Bureau d’appui des Nations unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (BONUCA)  avec toutes les parties prenantes, le processus de dialogue a permis de favoriser l’établissement d’un consensus sur l’adoption du décret rectificatif.

Quant au Fonds de la Consolidation de la Paix, l’affectation sous la première tranche est sur le point d’être formalisée. Le plan des priorités, élaboré en coopération avec le BONUCA et l’équipe de pays des Nations unies, a été approuvé en mai 2008 pour un montant de 10 millions de dollars et a recensé trois domaines prioritaires à court terme pour le financement du Fonds : i) réforme du secteur de la sécurité, ii) promotion d’une bonne gouvernance, décentralisation et services publics et iii) revitalisation des collectivités affectées par le conflit.

Ceci devrait notamment permettre le financement de certains aspects des processus de RSS et de DDR, non couverts à ce jour par d’autres financements. Dans ce cadre, une mission d’évaluation mixte (composée de représentants de la RCA et des partenaires internationaux) est prévue en décembre 2008 ou janvier 2009. Elle devrait permettre aux participants de dresser un nouveau bilan des avancées et problèmes éventuels dans la mise-en-œuvre de la stratégie nationale de RSS. L’engagement mutuel entre la CCP et la République centrafricaine se concrétisera par un document stratégique de consolidation de la paix.
  

IV. LES PROLEGOMENES D’UNE CONTRIBUTION A LA CONSOLIDATION DE LA PAIX EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

La persistance de troubles et de tensions sociopolitiques et les difficultés à concilier les fractions sociales du pays avec les valeurs et les pratiques démocratiques, donnent, de l’autre côté, une image qui semble remettre en question la sortie définitive du pays d’une dynamique conflictuelle. Il est donc important que la communauté internationale donne un appui à l’Etat centrafricain pour renforcer la sécurité. Pour consolider son avenir, la RCA ne saurait faire fi de son passé.

La RCA semble s’engager dans cette voie. L’opportunité offerte par le processus de stabilisation politique, marqué par une nouvelle philosophie, permet de penser qu’il ne sera plus nécessaire pour exprimer ses opinions de prendre le maquis et de vivre en exil et pour l’armée de rentrer dans les casernes. Cependant, en  faisant la phénoménologie de la crise centrafricaine, en restituant ses figures et modes sociaux d'expression ainsi que ses ressources, on comprend que la fin définitive de la crise n’est pas si accessible. Si la transition de la guerre vers la paix peut déboucher sur une paix durable, la transition d’un Etat en faillite vers  la paix  peut inversement s’achever dans l’anarchie et le chaos. De fait, l’immensité des défis à relever expose la pacification post-crise à affronter de nombreux dilemmes. Ceux-ci sont relatifs à l’intensité des conflits, aux limites intrinsèques de la consolidation de la paix.

1. La réforme de l’armée

Les propos de la Ligue centrafricaine des droits de l’Homme dans un communiqué publié dans Jeune Afrique Economie (1996) lors de la première mutinerie sont toujours d’actualité : « En fait, cette mutinerie a pour cause, le mouvais traitement dont sont victimes les soldats : bas  niveau de salaire, absence de dotation en habits et chaussures ; manque de soins et de suivi médical, détournement des primes globales d’alimentations par certains officiers : détournement de la ration alimentaire ; abandon sans moyens financiers et matériels des éléments envoyés au front dans le cadre de la lutte contre les coupeurs de route et braconniers, insuffisances de moyens logistiques de travail, injustice dans l’évolution de la carrière, règlement de comptes et autres humiliations… Les revendications des mutins étaient suffisamment claires : « depuis quinze ans, on continue  percevoir un traitement de deuxième classe qui est de 29041 FCFA par mois. Nos conditions de vie sont très médiocres. Nous sommes lésés et exposés  des maladies. Depuis la caserne, nous demandons le paiement des arrières de salaires de 1992, 1993 et 1996… Nous sommes des pères de familles avec enfants ».

Pour contribuer de manière significative à la consolidation de la paix en RCA, la communauté internationale  devra  mener à bien la réforme indispensable de l’armée centrafricaine  pour  sortir la Centrafrique de sa misère politique, économique et sécuritaire.

2. Un ius post bellum à la hauteur des attentes

La Commission vérité et réconciliation aura un travail à faire pour faciliter la tache aux institutions judiciaires afin de rompre définitivement avec l’impunité. La démarche de l’Etat centrafricain mérite d’être encouragée. Cette démarche consiste à saisir la Cour pénale internationale sur les atrocités commises sur la population centrafricaine entre 2002 et 2003. Mais il serait mieux d’aller au-delà de cette période pour permettre aux victimes de recréer symboliquement le lien avec la communauté. Il faudra penser aux soutiens de nombreuses victimes. Le rapport de Human Rights Watch fait état de villages incendiés, de femmes violées et d’individus exécutés en masse, et du fait qu’il est difficile d’évaluer avec exactitude la situation humanitaire. Ainsi, l’amélioration de la situation des droits de l’Homme constitue un grand défi qu’il faut absolument relever pour une bonne marche de ce processus de consolidation de la paix.

3. La bonne volonté des acteurs dans le processus de stabilisation politique en cours

Fort heureusement, à partir de novembre 2006, face à la situation d’insécurité, un « Groupe des Sages» a initié une série de consultations avec les partis politiques nationaux, les syndicats, les associations civiles et le corps diplomatique ainsi que l’opposition armée. Ces consultations ont débouché sur des recommandations en vue de la tenue d’un dialogue politique inclusif.

Le Comité préparatoire du Dialogue politique inclusif (CPDPI), constitué en décembre 2007, a réuni des représentants de l'Etat, de l'opposition, de la société civile et des groupes armés fin d'élaborer un cadre consensuel pour un dialogue politique ouvert à tous. Le Dialogue inclusif est considéré comme une occasion majeure de réunir toutes les parties prenantes nationales au sein d'un processus de réconciliation. La plupart des parties prenantes nationales pensent également qu'il s'agit d'une mesure décisive pour que les prochaines élections législatives et présidentielles soient libres, équitables et pacifiques.

Dans ce contexte, l’accord de paix global signé le 21 juin 2008 à Libreville par le gouvernement centrafricain et deux des trois principaux mouvements politico-militaires, a marqué une étape symbolique dans la relance d’une dynamique de stabilisation. Cet accord, conclu sous l’égide du président de la République du Gabon, confirme les engagements de cessez-le-feu entre les parties. Il engage notamment le gouvernement à promulguer une loi d’amnistie générale, préalable au Dialogue Politique Inclusif (DPI) et à un processus de Démobilisation, de Désarmement et de Réinsertion (DDR) des troupes rebelles.

Le démarrage du Dialogue Politique Inclusif connaît actuellement de graves difficultés. Le gouvernement centrafricain reproche à différents mouvements politico-militaires d’avoir repris les armes en dépit des accords de cessez-le-feu. Une partie de l’opposition parlementaire d’une part et de l’opposition armée d’autre part a refusé le projet de Loi d'Amnistie voté le 29 septembre et a demandé une représentation plus équilibrée au sein du Comité préparatif du dialogue. Le gouvernement centrafricain s’est engagé à chercher activement une solution à ce blocage. Depuis lors, le 13 octobre, le président de la République a promulgué ladite loi d’amnistie. Outre les problèmes internes en matière de politique et de sécurité, des menaces potentielles externes persistent car la République centrafricaine est exposée aux effets des conflits qui sévissent dans les pays voisins que sont le Tchad, le Soudan et la République démocratique du Congo.

La responsabilité de protéger la population civile revient en priorité au gouvernement centrafricain qui doit absolument réorganiser les forces armées, mettre fin aux violations des droits de l’Homme en sécurisant la totalité du pays,  améliorer les conditions de vie de la population et initier une vraie réforme démocratique. Etant donné l’incapacité du gouvernement centrafricain à adresser en particulier la crise économique et sécuritaire du pays, la communauté internationale a le devoir d’assister et de protéger la population Centrafricaine. Le BONUCA, en collaboration avec le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme, assiste actuellement la RCA dans la mise en place d’une Commission nationale de promotion des droits de l’Homme conforme aux principes universels. Cette Commission est attendue en début de l’année 2009.

Les autorités centrafricaines ont publié en juin 2008, dans le cadre de l’allocation du Fonds de Consolidation de la Paix, leur Plan Prioritaire pour la Consolidation de la Paix. Celui-ci identifie comme premier domaine d’intervention prioritaire la Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS). La RSS est envisagée comme un processus de restructuration et de formation engageant tous les segments du secteur de la sécurité, notamment les Forces Armées Centrafricaines (FACA), la gendarmerie nationale, la police nationale, le service des douanes, certains éléments non-étatiques, l’administration judiciaire et pénitentiaire, les services de renseignement et des services de protection des ressources naturelles.

Les avancées du Dialogue Politique Inclusif, du processus de RSS et du processus de DDR peuvent potentiellement se renforcer mutuellement. Dans cette vision, le processus de DPI permettrait aux parties de s’engager dans une dynamique de réconciliation nationale avec confiance  et de définir les modalités du cantonnement des mouvements politico-militaires et du retour à la stabilité du pays.

Conclusion

L’alternance de l’Etat centrafricain entre anomie et dysfonctionnement a conduit à l’établissement de structures publiques peu performantes ainsi qu’à l’accroissement de la précarité et de la fragilité. La situation s’avère  d’autant plus inquiétante que la population se montre de plus en plus désintégrée et mécontente. A ceci s’ajoute la présence d’hommes armés et d’armes clandestines sur le territoire national qui est en train de prendre des dimensions de plus en plus inquiétantes. La menace la plus inquiétante semble toutefois toujours se situer au niveau de la réinsertion des anciens combattants au sein de la population et de la reforme de l’armée, au vu de la faible capacité du secteur public et de l’économie nationale à les réabsorber.

Un effort cohérent de consolidation de la paix est nécessaire pour éliminer les multiples causes d’un conflit ou d’un risque de conflit. Il s’agit de déterminer l’ampleur des besoins et les moyens de les satisfaire à court, moyen et long terme, en fonction de la nature du conflit et de ses causes profondes. Il s’agit également de s’attaquer en priorité aux questions liées à la réconciliation nationale, aux droits de l’Homme, à la représentativité du régime politique afin de garantir l’unité nationale, le renforcement des institutions démocratiques, le rapatriement et la réinsertion des réfugiés et des personnes déplacées, la formation d’une armée républicaine, la réinsertion des ex-combattants, la résorption de la masse des armes de petit calibre en circulation. D’une manière générale, on constate que la consolidation de la paix se veut structurelle, dans la mesure où elle vise à restaurer ou à élaborer des conditions permettant le fonctionnement optimal de l’appareil étatique, qui apparaît comme un préalable, non seulement à la jouissance des droits et libertés, mais aussi à la sécurité des investissements et au bon fonctionnement de l’économie de marché. Bien qu’il y ait beaucoup à faire en République centrafricaine, on est actuellement en présence d’une conjoncture favorable exceptionnelle. Les acteurs doivent tirer profit de l’action du gouvernement et des donateurs internationaux, de l’accord de paix global, du Dialogue Politique Inclusif et des cadres stratégiques établis pour la sécurité, la réduction de la pauvreté et l’aide humanitaire. C’est un nouveau chapitre et une occasion unique de rompre avec les  « années de poudre et de sang ».


Mode de citation : Jean-Baptiste HARELIMANA, « Commission deconsolidation de la paix en République centrafricaine : vers un nouveauchapitre de paix », MULTIPOL - Réseau d’analyse et d’information sur l’actualitéinternationale, 20 décembre 2008.


 

[1] Il a été fortement influencé, voire parfois dirigé, par l’extérieur.

[2] ICG, RCA : anatomie d’un état fantôme, Rapport Afrique n°136, 13 décembre 2007.

[3] Voir le rapport de la Haut-Commissaire intitulé «La mondialisation et ses effets sur la pleine jouissance de tous les droits de l’Homme» (E/CN.4/2002/54), qui a pour thème la libéralisation du commerce de produits agricoles et son incidence sur le droit au développement, y compris le droit à l’alimentation.

[4] La Commission de consolidation de la paix, nouveauté institutionnelle importante de la réforme de fond de l’ONU, est saluée comme le premier organe intergouvernemental cherchant à s’engager à long terme dans des activités visant à promouvoir la paix durable dans des pays sortant d’un conflit. Elle doit combler une insuffisance du système des Nations unies et devenir, au sein de l’Organisation, le point de contact sur les questions liées à la paix. Créée à la fois par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, elle se doit d’être représentative des deux organes.
 
[5] J.-M. BALENCIE et A. DE LA GRANGE, Mondes Rebelles. Guérillas, milices, groupes terroristes, Paris, Michalon, 2001, pp.881-891.

[6] L. GOMINA-PAMPALI, La Centrafrique face à lui-même : diagnostic de la décennie de démocratisation (1986-1996) et repère pour l’avenir, Yaoundé, PUCAC, 2001.

[7] E. BERMAN, La République Centrafricaine : Une étude de cas sur les armes légères et les conflits, Genève, Coprint, 2006.

[8] Ce groupe rebelle qui opère principalement dans le Nord-Est est en fait une alliance de trois groupes rebelles distincts : le Mouvement de Libération Centrafricain pour la justice (MLCJ) de Michel Djotodra et le Front Démocratique Centrafricain (FDC) de Justin Hassan.

[9] Nations unies, « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’Homme pour tous », Rapport du Secrétaire général (A/59/2005), 24 mars 2005, New York, 72 pp., http://www2.ohchr.org/french/bodies/hrcouncil/docs/gaA.59.2005_Fr.pdf.

[10] Nations unies, « Un monde plus sûr, notre affaire à tous », Rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, 2004.

[11] Le Comité d'organisation se compose de 7 membres sélectionnés par le Conseil de sécurité : Afrique du Sud, Chine, États-Unis d’Amérique, Fédération de Russie, France, Panama, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, 7 membre élus par l’ECOSOC : Angola, Brésil, Guinée-Bissau, Luxembourg, Indonésie, République tchèque et Sri Lanka et 5 pays figurant parmi ceux dont les contributions statutaires aux budgets de l’Organisation des Nations unies et les contributions volontaires aux budgets des fonds, programmes et organismes des Nations unies, dont un fonds permanent pour la consolidation de la paix, sont les plus importantes : Allemagne, Canada, Japon, Pays-Bas et Suède.

[12] A/62/864–S/2008/383, Lettre datée du 30 mai 2008, adressée au président de la Commission de consolidation de la paix par le président du Conseil de sécurité.

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