Les Cinghalais (bouddhistes) représentent 74% de la population de l’île, les Tamouls (hindouistes) 18% et les Moors (Cinghalais et Tamouls islamisés) 7%. Un tiers des Tamouls de l’île sont les descendants de Tamouls de l’Etat indien du Tamil Nadu, qui ont été transférés en tant que main d’œuvre par la colonisation britannique.
En tant qu’ethnie démographiquement majoritaire, les Cinghalais sont davantage présents dans les institutions et au pouvoir. Les Tigres tamouls luttent pour l’autonomie, voire pour l’indépendance, d’un Etat tamoul existant de facto et appelé Eelam.
Ce conflit existe sous la forme d’une lutte violente depuis 1972. Mais c’est en 1983 qu’il à clairement dégénéré en guerre (au sens polémologique, non juridique). Après plusieurs décennies de logique de violence, le conflit avait connu une accalmie relative dans les années 2000 avec l’intervention de missions de médiations étrangères. Mais l’échec de ces missions de médiations, l’intransigeance des LTTE, ainsi que celle du président Mahinda Rajapakse (élu depuis novembre 2005), ont conduit à la reprise continue des combats et des attentats en 2006. On dénombre environ 70 000 morts depuis le début du conflit.

Origines et formes du conflit
Si historiquement Tamouls et Cinghalais ont toujours été en compétition ethnique sur le sol sri lankais, ils parvenaient a s’ignorer, et donc à éviter l’affrontement. La colonisation européenne a agi sur l’opposition entre les deux communautés, d’abord comme réceptacle du conflit, ensuite comme catalyseur. Les colonisations portugaise puis hollandaise, si elles ne semblent pas avoir exacerbé les oppositions, ont probablement participé à la conservation de l’antagonisme ethnique.
La colonisation britannique a quant à elle procédé à une « racialisation » des identités (Eric Meyer) – une conviction alors en vogue en Europe –, ainsi qu’a une division des deux ethnies, afin de diviser le pouvoir auquel elle avait à faire face. De cette pratique, les Tamouls, ethnie démographiquement minoritaires, ressortirent privilégiés en obtenant des fonctions administratives ou commerciales au sein des firmes britanniques. Ainsi, l’ethnie la plus nombreuse pèse démographiquement et l’ethnie la moins nombreuse pèse par le petit pouvoir qu’on lui a confié. Chaque ethnie s’empêche et se limite réciproquement.
Enfin, l’île a hérité du modèle institutionnel britannique, conçu pour fonctionner sur les Etats-nations européens, qui bénéficient d’une entité nationale homogène et non d’un patchwork d’ethnies différentes. Or, en 1948 lorsque survient l’indépendance, ce modèle institutionnel est maintenu, et ce sont donc les Cinghalais, majoritaires démographiquement, qui accèdent au pouvoir. Dès lors, non seulement ils mettent fin aux traitements de faveurs jusqu’alors réservés aux Tamouls, mais ils adoptent aussi une politique discriminatoire à leur égard, concernant l’accès à certaines professions ainsi qu’à l’université. Associée au chômage, cette politique empêchera les Tamouls de jouer un rôle important en société, voire simplement un rôle normal. De là naîtront les tensions contemporaines.
Du début des années soixante-dix au début des années quatre-vingt, du fait de la pluralité des acteurs menant des conflits politiques violents (nationalistes, marxistes, groupes identitaires, religieux) et de la facilité de l’Etat à recourir à la force, une logique de violence s’installe, et évolue par émulation entre les différents acteurs.
De cette émulation, les LTTE, créés en 1976 par Velupillaï Prabhakaran ressortent renforcés. En 1983, 13 soldats gouvernementaux meurent dans l’explosion d’une mine posée par les LTTE. A Colombo, lors de l’inhumation des corps, des émeutes anti-Tamouls éclatent en représailles. Rapidement des milliers de Tamouls fuient le Sud de l’île pour se réfugier dans la péninsule de Jaffna, au Nord. Parallèlement, de 1976 à 1985, les mouvements tamouls s’entredéchirent, suite à quoi les LTTE obtiendront la suprématie sur tous les autres.
L’essence du conflit est une guerre civile identitaire sécessionniste. Elle oppose des ressortissants d’un même Etat, dont une partie réclame l’indépendance. Le type de lutte armée employée est d’abord un hybride d’attentats et de guérilla, mais rapidement, l’exceptionnel opiniâtreté des LTTE ainsi que leur génie stratégique, développe l’organisation, son savoir-faire guerrier et ses réseaux, au point de se rendre capable de mener aussi bien des actions de guerre classique et que de guerre asymétrique.

L’organisation des LTTE
Pour asseoir leur force, les Tigres tamouls disposent de sanctuaires pour s’entraîner et recourir au trafic d’armes, de l’Etat indien du Tamil Nadu (jusqu’à la fin des années 1980), à des rades secrètes en Thaïlande, en passant par la Birmanie.
Les LTTE, toujours dirigés par Velupillaï Prabhakaran, reposent sur un fonctionnement totalitaire, une allégeance totale au chef et un dévouement total à la cause (recours aux attentats suicides, capsule de cyanure autour du cou des militants pour qu’ils puissent se suicider en cas de capture par l’ennemi, recrutement forcé des combattants par le LTTE).
Ils sont extrêmement bien organisés, disposant de trois armes (terre, air, marine), d’unités spécialisés (unités suicides, unités anti-chars…) et de départements assignés à des missions particulières au sein de l’organisation (levée de fonds, propagande, fabrication d’armes et approvisionnement en armes). Concernant leur matériel et leurs unités, pour illustrer leur esprit d’initiative et leur inventivité on peut citer : l’utilisation d’un mini-submersible pour le trafic d’armes, d’aéronefs de modélisme radiocommandés munis de caméras pour l’observation, ULM suicides, plongeurs suicides, avion civils reconvertis en petit bombardiers, missiles sol-air portables, gaz de combat RDX…
Les LTTE sont également atypiques par l’excellence de leur maîtrise stratégique et tactique, qu’ils ont pu parfaire au contact de l’expérience palestinienne mais aussi de cours de tactique à l’école militaire d’Antigua (grâce à des liens avec le cartel de Medellin). Enfin, les Tigres se fournissent en armes dans le monde entier, en particulier dans les zones grises de l’Asie, mais aussi au Proche-Orient, dans les pays de l’Est et en Afrique Subsaharienne.
Malgré la guerre totale – société militaire, reposant sur une économie de guerre et recourrant à la cyberguerre, aux armes chimiques, aux kamikazes… – menée par les Tigres, celle-ci ne suffit pas à faire plier une armée gouvernementale qui semble davantage déterminée que par le passé.
L’Inde, pourtant puissance régionale, se refuse à intervenir directement à cause du désastre de son intervention de 1987-1989. Durant cette période, qualifiée de « Vietnam de l’Inde », 1500 soldats indiens trouvèrent la mort. D’autant plus qu’en représailles, les LTTE tuèrent par attentat Rajiv Gandhi, ex-Premier ministre indien et commanditaire de l’intervention. Enfin l’Inde doit faire face à d’autres problèmes plus dangereux, tel le risque de guerre au Cachemire et l’insurrection naxalite, et peut craindre des risques de déstabilisation de son Etat du Tamil Nadu.
La guerre a donc continuée. Jusqu’à présent les LTTE étaient parvenus, lors de chaque mise en difficulté sérieuse, à se dégager en combinant des offensives militaires conventionnels extrêmement brutales, à des attentats suicides contre des personnalités officielles civiles ou militaires dans le Sud de l’île, ainsi qu’à des « surprises » tactiques ou stratégiques, qu’il s’agisse d’armes chimiques (1990 et 1995) ou encore d’avions civils transformés en petits bombardiers (2007). Dans l’ensemble des cas passés, cela avait permis de changer temporairement la donne. 

Les Tigres tamouls en difficulté
Mais aujourd’hui, un vent de malchance semble souffler sur les LTTE. D’abord, la fin de la division politique au sein de la scène cinghalaise a donné champ libre au Président Mahinda Rajapakse. Ensuite, le coup dur de la défection du commandant Karuna en 2004, a fait perdre les zones orientales de l’île tenues par le LTTE et a pu divulguer de nombreux renseignements sur les Tigres et leur façon de combattre. Enfin, Anton Balasingham, chef politique et idéologue du mouvement (V. Prabhakaran étant le chef militaire) est mort en 2006, et son successeur désigné a été tué un an plus tard.
L’amélioration du contrôle maritime du Nord de l’île, a également permis de limiter les approvisionnements des Tigres. Enfin, on sait depuis longtemps, qu’eu égard à la part du financement des LTTE issue de la diaspora résidant dans le monde, il suffirait de juguler la levée de l’impôt révolutionnaire et les trafics ayant cours pour grandement réduire les finances des Tigres. Peut être certains Etats ont-ils décidé de mettre fin à cette corne d’abondance ?
L’ensemble de ces revers fait que désormais, l’avancée de troupes gouvernementales sri lankaises et les raids aériens d’hélicoptères MI-24 et d’avions de combats finissent par avoir raison des Tigres. 

Quelle évolution à court terme ?
Dans cette guerre sans fin, les civils sont au cœur de la violence, victimes tantôt des exactions des militaires, tantôt de celles des Tigres tamouls. Bien que les LTTE soient l’un des mouvements de guérilla les plus « mordant » et les mieux organisé qu’ait connu l’histoire, ils se trouvent actuellement face à une possible défaite. Peut-être sommes nous en train d’assister aux limites du combat d’une organisation, si efficace soit-elle, lorsqu’elle se trouve en lutte contre un appareil étatique ?
Malheureusement, dans ce genre de guerre, une défaite militaire n’est pas nécessairement une défaite totale. Une victoire militaire de l'armée ne solutionnerait pas la question tamoule. De plus, en cas de défaite militaire, à défaut d’avoir des chances d’obtenir la création de leur Etat, les LTTE pourraient tout de même poursuivre le combat armé. Les Tigres mènent une lutte dont guerre classique et guerre asymétrique ne sont que des vecteurs. S’ils se retrouvent dans l’incapacité de faire la guerre, le risque est qu’ils procèdent à une transformation de l’organisation, d’une guérilla tellurique contrôlant un Etat de facto, à une organisation terroriste transnationale de plus.

Mode de citation : Alexis BACONNET, «Sri Lanka, retour sur l’anatomie du conflit à l’heure d’une possible victoire de l’armée», MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 30 janvier 2009.