Requête introductive d’instance
Dans sa requête la Belgique soutient que le Sénégal, où M. Habré vit en exil depuis 1990, n’a pas donné suite à ses demandes répétées de voir l’ancien président tchadien poursuivi en justice au Sénégal, à défaut d’être extradé vers la Belgique, pour des faits qualifiés, notamment, de crimes de torture et de crimes contre l’humanité. Le demandeur rappelle que, suite à une plainte déposée le 25 janvier 2000 par sept personnes et une ONG (l’Association des victimes de crimes et de répressions politiques), M. Habré avait été inculpé le 3 février 2000 à Dakar de complicité de «crimes contre l’humanité, d’actes de torture et de barbarie» et avait été assigné à résidence. La Belgique ajoute que cette inculpation avait été rejetée par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar le 4 juillet 2000 au motif que «le "crime contre l’humanité" ne fai(sai)t pas partie du droit pénal sénégalais».
Le demandeur indique encore qu’«entre le 30 novembre 2000 et le 11 décembre 2001, un ressortissant belge d’origine tchadienne et des ressortissants tchadiens» ont déposé des plaintes similaires auprès de la justice belge. La Belgique rappelle que ses instances judiciaires compétentes ont, depuis fin 2001, adressé de nombreux devoirs d’instruction judiciaire au Sénégal et décerné à l’encontre de M. Habré, en septembre 2005, un mandat d’arrêt international auquel la justice sénégalaise a estimé ne pas pouvoir donner suite. Selon le demandeur, fin 2005, le Sénégal a transmis le dossier à l’Union africaine. La Belgique ajoute qu’en février 2007 le Sénégal a décidé de modifier son code pénal et son code de procédure pénale afin d’y intégrer «les incriminations de génocide, de crime de guerre et de crime contre l’humanité» ; elle souligne toutefois que le défendeur a fait état de difficultés financières empêchant l’organisation d’un procès contre M. Habré.
La Belgique fait valoir qu’au regard du droit international conventionnel, «l’abstention du Sénégal de poursuivre M. H. Habré, à défaut de l’extrader vers la Belgique pour répondre des faits de torture qui lui sont imputés, viole la Convention (des Nations Unies du 10 décembre 1984) contre la torture», notamment, l’article 5, paragraphe 2, l’article 7, paragraphe 1, l’article 8, paragraphe 2 et l’article 9, paragraphe 1. Elle ajoute qu’au regard de la coutume internationale «l’abstention du Sénégal de poursuivre M. H. Habré ou de l’extrader vers la Belgique, pour répondre des crimes contre l’humanité qui lui sont imputés, viole l’obligation générale de réprimer les crimes de droit international humanitaire que l’on trouve dans de nombreux textes de droit dérivé (actes institutionnels d’organisations internationales) et de droit conventionnel».
Pour fonder la compétence de la Cour, la Belgique invoque tout d’abord les déclarations unilatérales d’acceptation de la compétence obligatoire de la Cour faites par les Parties en vertu de l’article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour, les 17 juin 1958 (Belgique) et 2 décembre 1985 (Sénégal).
En outre, le demandeur indique que «les deux Etats sont parties à la Convention des Nations Unies du 10 décembre 1984 contre la torture» depuis le 21 août 1986 (Sénégal) et le 25 juin 1999 (Belgique). L’article 30 de cette convention dispose que tout différend entre deux Etats parties concernant son interprétation ou son application, qui n’a pu être réglé par voie de négociation ou d’arbitrage, peut être soumis à la CIJ par l’un des Etats. La Belgique soutient que les négociations entre les deux Etats «courent vainement depuis 2005» et que leur échec a été constaté par elle le 20 juin 2006. La Belgique dit par ailleurs avoir proposé le recours à l’arbitrage au Sénégal le 20 juin 2006 et note que celui-ci «n’a pas donné suite à cette demande… alors que la Belgique n’a cessé de confirmer par notes verbales la persistance du différend».
Au terme de sa requête, la Belgique prie la Cour de dire et juger que :
«⎯ la Cour est compétente pour connaître du différend qui (l’oppose au Sénégal) en ce qui concerne le respect par (celui-ci) de son obligation de poursuivre M. H. Habré ou de l’extrader vers la Belgique aux fins de poursuites pénales ;
⎯ la demande belge est recevable ;
⎯ la République du Sénégal est obligée de poursuivre pénalement M. H. Habré pour des faits qualifiés notamment de crimes de torture et de crimes contre l’humanité qui lui sont imputés en tant qu’auteur, coauteur ou complice ;
⎯ à défaut de poursuivre M. H. Habré, la République du Sénégal est obligée de l’extrader vers le Royaume de Belgique pour qu’il réponde de ces crimes devant la justice belge».
Mesures conservatoires
La Belgique a également déposé ce jour une demande en indication de mesures conservatoires. Elle y expose que si «M. H. Habré est (actuellement) en résidence surveillée à Dakar… il ressort d’un entretien donné par le président sénégalais, A. Wade, à Radio France International, que le Sénégal pourrait mettre fin à cette mise en résidence surveillée s’il ne trouve pas le budget qu’il estime nécessaire à l’organisation du procès de M. H. Habré». Le demandeur souligne que «dans cette hypothèse, il serait facile pour M. H. Habré de quitter le Sénégal et de se soustraire à toute poursuite», ce qui «porterait un préjudice irréparable aux droits que le droit international confère à la Belgique (et) violerait les obligations que le Sénégal doit remplir».
En conséquence, la Belgique prie la Cour «d’indiquer, en attendant qu’elle rende un arrêt définitif sur le fond», des mesures conservatoires tendant à ce que le défendeur prenne «toutes les mesures en son pouvoir pour que M. H. Habré reste sous le contrôle et la surveillance des autorités judiciaires du Sénégal afin que les règles de droit international dont la Belgique demande le respect puissent être correctement appliquées».
Le texte intégral de la requête de la Belgique est disponible sur le site de la CIJ : http://www.icj-cij.org/docket/files/144/15148.pdf