Dans sa requête, le Costa Rica affirme que,
«(e)n envoyant des contingents de ses formes armées en territoire costa-ricien et en y faisant établir des campements militaires, le Nicaragua agit en violation flagrante non seulement du régime frontalier établi entre les deux Etats, mais aussi des grands principes fondateurs des Nations Unies, à savoir le principe de l’intégrité territoriale et l’interdiction du recours à la menace ou à l’emploi de la force contre tout Etat, tels qu’affirmés au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte, et auxquels les Parties ont réaffirmé leur adhésion aux articles premier, 19 et 29 de la charte de l’Organisation des Etats américains».
Le Costa Rica accuse le Nicaragua d’avoir, à l’occasion de deux incidents distincts, occupé son sol dans le cadre de la construction d’un canal à travers le territoire costa-ricien, entre le fleuve San Juan et la lagune de los Portillos également connue sous le nom de «lagon de Harbor Head»), et de certaines activités connexes de dragage menées dans le San Juan.
Le Costa Rica déclare que les «travaux de dragage actuels et prévus, ainsi que la construction du canal, altèreront gravement le débit des eaux alimentant le Colorado, fleuve costa-ricien, et causeront d’autres dommages à son territoire, notamment aux zones humides et aux réserves nationales de flore et de faune sauvages de la région».
Le demandeur affirme que le Nicaragua a rejeté tous les appels au retrait de ses forces armées du territoire occupé et refusé toute forme de négociation. Il déclare en outre que le Nicaragua entend ne pas se conformer à la résolution adoptée le 12 novembre 2010 par le conseil permanent de l’organisation des Etats américains, qui appelle, en particulier, au retrait des forces armées nicaraguayennes de la région frontalière, en demandant d’éviter la présence de forces armées ou de sécurité dans cette zone, où une telle présence pourrait créer des tensions, en vue de favoriser un climat propice au dialogue entre les deux nations.
Le Costa Rica prie en conséquence la Cour «de dire et juger que le Nicaragua viole ses obligations internationales … à raison de son incursion en territoire costa-ricien et de l’occupation d’une partie de celui-ci, des graves dommages causés à ses forêts pluviales et zones humides protégées, des dommages qu’il entend causer au Colorado, à ses zones humides et à ses écosystèmes protégés, ainsi que des activités de dragage et de percement d’un canal qu’il mène actuellement dans le San Juan. En particulier, le Costa Rica prie la Cour de dire et juger que, par son comportement, le Nicaragua a violé :
a) le territoire de la République du Costa Rica, tel qu’il a été convenu et délimité par le traité de limites de 1858, la sentence Cleveland ainsi que les première et deuxième sentences Alexander ;
b) les principes fondamentaux de l’intégrité territoriale et de l’interdiction de l’emploi de la force consacrés par la Charte des Nations Unies et la charte de l’Organisation des Etats américains ;
c) l’obligation faite au Nicaragua en vertu de l’article IX du traité de limites de 1858 de ne pas utiliser le San Juan pour perpétrer des actes hostiles ;
d) l’obligation de ne pas causer de dommages au territoire costa-ricien;
e) l’obligation de ne pas dévier artificiellement le San Juan de son cours naturel sans le consentement du Costa Rica ;
f) l’obligation de ne pas interdire la navigation de ressortissants costa-riciens sur le San Juan ;
g) l’obligation de ne pas mener d’opérations de dragage dans le San Juan si ces activités ont un effet dommageable pour le territoire costa-ricien y compris le Colorado), conformément à la sentence Cleveland de 1888 ;
h) les obligations découlant de la convention de Ramsar sur les zones humides ;
i) l’obligation de ne pas aggraver ou étendre le différend, que ce soit par des actes visant le Costa Rica, et consistant notamment à étendre la portion de territoire costa-ricien envahie et occupée, ou par l’adoption de toute autre mesure ou la conduite d’activités qui porteraient atteinte à l’intégrité territoriale du Costa Rica en violation du droit international».
La Cour est également priée de déterminer les réparations dues par le Nicaragua à raison, en particulier, de toute mesure du type de celles qui sont mentionnées au paragraphe ci-dessus.
Pour fonder la compétence de la Cour, le demandeur invoque le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour en application de l’article XXXI du traité américain de règlement pacifique du 30 avril 1948 «Pacte de Bogotá»), ainsi que les déclarations d’acceptation formulées par le Costa Rica le 20 février 1973 et par le Nicaragua le 24 septembre 1929 modifiée le 23 octobre 2001), conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut.
Ce même 18 novembre 2010, le Costa Rica a en outre déposé une demande en indication de mesures conservatoires, dans laquelle il rappelle que «(l)es mesures conservatoires indiquées en application de l’article 41 du Statut de la Cour ont pour objet de sauvegarder les droits de chacune des Parties en attendant que la Cour rende sa décision au fond» et précise que
«l’objet du différend et de la présente demande en indication de mesures conservatoires est constitué par les droits du Costa Rica à la souveraineté, à l’intégrité territoriale et à la non-ingérence dans les droits qui sont les siens sur le fleuve San Juan, ses terres et ses zones naturelles protégées, ainsi que par ses droits relatifs à l’intégrité et au débit du Colorado».
Le Costa Rica y indique également que la protection de ses droits revêt un réel caractère d’urgence. Il fait observer que «les forces armées nicaraguayennes continuent d’être présentes sur l’île de Portillos, en violation des droits souverains du Costa Rica, (que) le Nicaragua continue de causer des dommages au territoire costa-ricien, menaçant gravement les zones humides et forêts de ce territoire qui jouissent d’une protection internationale, (et qu’il) poursuit également ses activités de dragage du San Juan, au risque de causer de nouveaux dommages au territoire costa-ricien, notamment au Colorado».
Le Costa Rica soutient en outre que «(l)a présence continue de forces armées nicaraguayennes sur le territoire du Costa Rica contribue à créer une situation politique marquée par une hostilité et une tension extrêmes, faisant planer la menace d’un conflit armé sur l’instance devant la Cour». Il ajoute que le Nicaragua «ne saurait être autorisé à continuer à faire dévier ainsi le San Juan en territoire costa-ricien, en vue de mettre le Costa Rica et la Cour devant un fait accompli». Le Costa Rica conclut sa demande en déclarant que
«(s)i la Cour n’indique pas de mesures conservatoires, le risque est réel que les actes préjudiciables aux droits du Costa Rica se poursuivent, altérant gravement la situation sur le terrain avant que la Cour n’ait tranché de manière définitive les questions qui lui sont soumises».
En conséquence, le Costa Rica «prie respectueusement la Cour, dans l’attente de la décision qu’elle rendra sur le fond de l’affaire, d’ordonner d’urgence les mesures conservatoires suivantes, de sorte à remédier à la violation à ce jour continue de son intégrité territoriale et à empêcher que de nouveaux dommages irréparables ne soient causés à son territoire :
1) retrait immédiat et inconditionnel de toutes les forces nicaraguayennes des parties du territoire costa-ricien envahies et occupées de manière illicite ;
2) cessation immédiate du percement d’un canal en territoire costa-ricien ;
3) cessation immédiate de l’abattage d’arbres et de l’enlèvement de végétation et de terre en territoire costa-ricien, notamment dans les zones humides et les forêts ;
4) cessation immédiate du déversement de sédiments en territoire costa-ricien ;
5) suspension, par le Nicaragua, du programme continu de dragage mis en œuvre par celui-ci en vue d’occuper et d’inonder le territoire costa-ricien et de causer des dommages à celui-ci ainsi qu’en vue de porter gravement préjudice à la navigation sur le Colorado ou de la perturber, suspension requise pour donner plein effet à la sentence Cleveland dans l’attente de la décision sur le fond du présent différend ;
6) obligation faite au Nicaragua de s’abstenir de toute autre action qui soit de nature à porter préjudice aux droits du Costa Rica ou à aggraver ou étendre le différend porté devant la Cour».

  • Le texte de la requête introductive d’instance et celui de la demande en indication de mesures conservatoires sont disponibles sur le site internet de la CIJ.