La CEI est une autorité administrative indépendante chargée, aux termes de l’article 32, alinéa 3, de la Constitution de «l’organisation et la supervision … des élections». L’article 2 de la loi portant organisation, composition, attribution et fonctionnement de la CEI, complété par l’article 59 nouveau du Code électoral, précise qu’il est imparti à la CEI un délai de trois jours pour proclamer les résultats provisoires et transmettre les procès-verbaux accompagnés des pièces justificatives au Conseil constitutionnel en vue de statuer sur les contestations éventuelles et de proclamer les résultats définitifs.
Si la procédure a été respectée au premier tour, au second tour il n’en a pas été de même et le président de la CEI est allé au-delà de ses compétences. Jugez en vous-même.
- Jusqu’au mercredi 1er décembre 2010 à 23h30, alors que le délai expirait à minuit, le président de la CEI déclarait sur l’antenne de la RTI que les résultats n’étaient pas encore consolidés et qu’il ne pouvait pas les divulguer. Ces résultats provisoires n’ont pu être proclamés, faute de consensus des membres de la CEI. Ainsi, cette institution n’a pas été capable de statuer dans les délais impartis. Le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU le reconnait expressément dans sa déclaration du 03 décembre 2010, où il énonce : «Malgré mon appel à la CEI pour qu’elle proclame promptement les résultats provisoires du 28 novembre, la CEI a été incapable de le faire sans retard en raison de divisions internes».
- Le jeudi 02 décembre 2010 vers 17h, contre toute attente, alors que la CEI était forclose, son président se rend à l’Hôtel du Golf pour proclamer les résultats provisoires. Il importe de relever à ce stade trois données importantes : la première, c’est qu’il s’y rend seul pour proclamer des résultats non validés par la Commission centrale faute de consensus ; la deuxième tient au fait que l’Hôtel du Golf est, à la fois, le lieu de résidence officielle des rebelles devenus Forces Nouvelles depuis les accords de Linas-Marcoussis de janvier 2003, le quartier général de contrôle des élections du Premier ministre Guillaume Soro (Secrétaire général des Forces Nouvelles) et le siège de campagne du candidat Alassane Dramane Ouattara ; la troisième donnée, tient au fait que la proclamation a été faite devant le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU, les ambassadeurs de France et des Etats-Unis, le représentant spécial du facilitateur (Burkina Faso) et uniquement les médias français, en l’absence des représentants du candidat Laurent Gbagbo comme l’exige le Code électoral.
Ces résultats donnent Alassane Dramane Ouattara vainqueur avec 54,10 % des voix contre 45,90 % à Laurent Gbagbo, avec un taux de participation de 83%.
Le Conseil constitutionnel est, quant à lui, une juridiction. La Constitution, en ses articles 32 et 94 combinés, prescrit que le Conseil contrôle la régularité des opérations de l’élection présidentielle et en proclame les résultats. La loi électorale en son article 63 nouveau donne au Conseil constitutionnel le pouvoir de proclamer les résultats définitifs. C’est pour exercer ses compétences que le Conseil constitutionnel s’est réuni pour statuer et a proclamé les résultats définitifs le vendredi 03 décembre 2010 vers 16h30. Il relève les irrégularités commises avant de décider.
Les irrégularités commises tout particulièrement dans le Nord et le Centre (zones Centre Nord Ouest), corroborées d’ailleurs par les différents experts des élections s’établissent, pour ne citer que quelques exemples, comme suit : empêchement à la participation des électeurs au vote, bourrage des urnes, interdiction des présences des représentants LMP aux bureaux de vote, intimidation par les rebelles armés, violations graves de droits de l’Homme dont viols et assassinats des militants et sympathisants LMP…, tous faits de nature à impacter les résultats des élections.
Ainsi dans la vallée du Bandama, la Commission électorale régionale a attribué à Alassane Dramane Ouattara un total de 244.471 voix alors qu’en réalité il n’avait obtenu que 149.598 voix soit 94.873 voix supplémentaires frauduleusement attribuées.
Tenant dûment compte du caractère déterminant des irrégularités, le Conseil invalide partiellement certains résultats et proclame le candidat Laurent Gbagbo vainqueur avec 51,55% des voix contre 48,45% des voix pour Alassane Dramane Ouattara avec un taux de participation de 71%, reconnu par tous les observateurs et les parties prenantes au processus électoral.
Contre toute attente, le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU refuse de reconnaître les résultats proclamés par le Conseil pour ne s’en tenir qu’aux résultats provisoires de la CEI. A ce stade, l’on ne peut que regretter l’attitude du représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU qui méconnait les pouvoirs du Conseil constitutionnel et s’arroge des compétences.
Le Conseil constitutionnel est juge de l’élection. En cette qualité, il lui revient de proclamer les résultats définitifs. Le dernier mot lui appartient. Aux termes de l’article 98 de la Constitution «les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours…». Elles ont donc autorité absolue de chose jugée. Ce texte poursuit en précisant que les décisions du Conseil «s’imposent aux pouvoirs publics, à toute autorité administrative, juridictionnelle, militaire et à toute personne physique ou morale». Elles s’imposent également aux Etats étrangers et aux organisations internationales, y compris l’ONU en raison de la souveraineté de l’Etat. Le Conseil constitutionnel ne saurait être considéré comme une chambre d’enregistrement de la CEI.
Comme on le voit, la phase juridictionnelle est incontournable. Aucun candidat ne saurait être définitivement élu s’il n’a été reconnu comme tel par le Conseil constitutionnel. Le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU, en décidant de ne reconnaître que les résultats de la CEI, a largement outrepassé ses pouvoirs.
Le problème se pose alors de savoir si sa qualité de certificateur lui confère le pouvoir de décider en dernier ressort après le Conseil constitutionnel. La réponse négative s’impose.
Le mandat de certification ne consiste pas, en effet, à valider les résultats définitifs du Conseil constitutionnel ni même les résultats provisoires de la CEI. Or, en s’octroyant le pouvoir de valider les résultats provisoires proclamés par le président de la CEI, il invalide du même coup les résultats définitifs proclamés par le Conseil constitutionnel. Il méconnait ainsi le rôle qui est le sien qui consiste à vérifier la conformité du processus électoral aux règles qui l’encadrent. Le certificateur a pour mission de porter témoignage aux Nations Unies de ce qui est fait en Côte d’Ivoire relativement au processus électoral et non de sanctionner. Il ne peut donc remettre en cause une décision du Conseil constitutionnel sans fouler aux pieds les principes de l’ONU.
Le refus du certificateur de reconnaître la décision du Conseil constitutionnel, juridiction suprême de Côte d’Ivoire est une décision grave consistant en une immixtion dans les affaires intérieures de l’Etat de Côte d’Ivoire. Il contrevient en cela à la résolution S/RES/1765 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 16 juillet 2007 réaffirmant en son préambule, «son ferme attachement au respect de la souveraineté, de l’indépendance … de la Côte d’Ivoire». Cette résolution rappelle également «l’importance des principes … de non-ingérence».
En définitive, le rôle de certificateur n’est qu’un rôle d’arbitre et de conciliateur. En agissant comme il l’a fait en Côte d’Ivoire, il bafoue la légalité et exacerbe les tensions alors que sa mission consiste à consolider l’Etat de droit et la paix.