Le passage de la République de Hongrie à la Hongrie tout court est le changement le plus remarquable de la nouvelle Constitution. Il pourrait signifier, constitutionnellement parlant, que désormais les gouvernements en Hongrie ne seront plus élus par le peuple. La République, du latin res publica, désigne la chose publique. Ce terme est utilisé pour caractériser l’intérêt général qui entoure la gestion du pouvoir. La nécessité que cette gestion de la chose publique soit faite par des représentants du peuple à travers des élections démocratiques découle de cet intérêt général.
Dire que la Hongrie n’est pas une République, c’est substituer à la nature républicaine une nature autoritaire. La séparation des pouvoirs n’est plus garantie et la gestion du pouvoir d’État est en passe de devenir l’affaire d’un homme ou d’un groupe d’hommes particuliers. Il n’y a pas de partage du pouvoir, mais plutôt une concentration du pouvoir au profit d’une personne ou d’un groupe. C’est un virage vers la dictature, d’autant plus que l’alternance politique est verrouillée avec le nouveau découpage électoral qui favoriserait largement le parti au pouvoir en cas d’élections.
Si le terme République disparaît, celui de la nation hongroise prend un sens important . En effet, les rédacteurs de cette Constitution proclament une nation hongroise au-delà des frontières du territoire hongrois. Ils appellent tous les Hongrois du monde entier à reconnaître leur histoire commune, que l’État hongrois entend protéger. Au-delà de l’Etat-nation , c’est un clivage fondé sur l’ethnie et la religion que ce nationalisme promeut soudain.
L’Etat-nation est une forme d’organisation politique reposant sur l’existence d’une identité nationale. Cette identité est protégée par l’article 6-3 du Traité de l’Union européenne. Or, la participation à la construction européenne et précisément à la citoyenneté européenne pose des questions existentielles aux nations formant divers États, lesquels sont membres de l’Union européenne. La solution pour les Etats (-nations) est d’outrepasser leur identité nationale (ce qui ne veut pas dire l’abandonner) pour s’insérer dans un ensemble plus vaste et revêtir une identité européenne, condition à la qualité d’État membre de l’Union.
A l’heure de l’internationalisation et de la mondialisation, ce désir de s’isoler inquiète l’Union européenne. La Commission européenne, en vertu de l’article 7 du Traité de l’Union, menace de sanctions financières la Hongrie si elle ne retire pas les textes controversés qui violent l’article 6-1 du même Traité. L’application de cet article 7 demeure toutefois délicate, car il édicte une procédure assez lourde, qui risque de ne pas aboutir même si elle a déjà été envisagée comme cela avait été le cas en Autriche en 2000.
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(1) Articles 2, 9 et 19 de la Constitution de 1989.
(2) Ernest Renan définissait la nation comme étant « le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu d’indivis », tout en précisant aussi que les nations « ne sont pas quelque chose d’éternel ». La référence à la nation par les constituants hongrois est ambigüe, car elle serait composée des Hongrois habitant en Hongrie et appartenant à des minorités non hongroise et aussi des Hongrois de l’étranger.