La CIJ, organe judiciaire principal des Nations Unies, a rendu le 19 juin son arrêt en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo (Indemnisation due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée).

Dans son arrêt, qui est définitif, sans recours et obligatoire pour les Parties, la Cour,
1) fixe, par quinze voix contre une, à 85 000 dollars des Etats-Unis le montant de l’indemnité due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée pour le préjudice immatériel subi par M. Diallo ;
2) fixe, par quinze voix contre une, à 10 000 dollars des Etats-Unis le montant de l’indemnité due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée pour le préjudice matériel subi par M. Diallo en ce qui concerne ses biens personnels ;
3) dit, par quatorze voix contre deux, qu’aucune indemnisation n’est due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée pour le préjudice matériel qu’aurait subi M. Diallo du fait d’une perte de rémunération professionnelle au cours de ses détentions et à la suite de son expulsion illicites ;
4) dit, à l’unanimité, qu’aucune indemnisation n’est due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée pour le préjudice matériel qu’aurait subi M. Diallo du fait d’une privation de gains potentiels ;
5) dit, à l’unanimité, que le montant intégral de l’indemnité due conformément aux points 1 et 2 ci-dessus devra avoir été acquitté au 31 août 2012 et que, en cas de non-paiement à la date indiquée, des intérêts courront sur la somme principale due par la République démocratique du Congo à la République de Guinée, à compter du 1er septembre 2012, au taux annuel de 6 pour cent ;
6) Rejette, par quinze voix contre une, la demande de la République de Guinée en ce qui concerne les frais de procédure.

I. Les chefs de préjudice au titre desquels l’indemnisation est demandée
La Cour relève que la Guinée demande à être indemnisée pour quatre chefs de préjudice : un chef de préjudice immatériel et trois chefs de préjudice matériel.

A) L’indemnité réclamée au titre du préjudice immatériel subi par M. Diallo
La Cour prend en considération différents facteurs aux fins d’évaluer le préjudice immatériel subi par M. Diallo, notamment le caractère arbitraire des arrestations et détentions dont l’intéressé a fait l’objet, la durée exagérément longue de sa période de détention, les accusations sans preuve dont il a été victime, le caractère illicite de son expulsion d’un pays dans lequel il résidait depuis trente-deux ans et où il exerçait des activités commerciales importantes, et le lien entre son expulsion et le fait qu’il ait tenté d’obtenir le recouvrement des créances qu’il estimait être dues à ses sociétés par l’Etat zaïrois ou des entreprises dans lesquelles ce dernier détenait une part importante du capital. Elle prend également en considération le fait qu’il n’a pas été démontré que l’intéressé avait été soumis à des mauvais traitements. Se basant sur des considérations d’équité, la Cour considère que la somme de 85 000 dollars des Etats-Unis constitue une indemnité appropriée au titre du préjudice immatériel subi par M. Diallo (par. 21-25).

B) L’indemnité réclamée au titre du préjudice matériel subi par M. Diallo
1) Perte de biens personnels qu’aurait subie M. Diallo (y compris ses avoirs en banque)
La Cour estime que la Guinée n’est pas parvenue à établir l’étendue de la perte de biens personnels à savoir, le mobilier figurant dans l’inventaire des biens trouvés dans l’appartement de M. Diallo, certains objets de grande valeur qui s’y seraient aussi trouvés et ne sont pas répertoriés dans cet inventaire, et des avoirs en banque ⎯ qu’aurait subie l’intéressé ni la mesure dans laquelle cette perte aurait été causée par le comportement illicite de la RDC. La Cour rappelle toutefois que M. Diallo a vécu et travaillé sur le territoire congolais pendant une trentaine d’années, au cours desquelles il n’a pu manquer d’accumuler des biens personnels. Elle considère que l’intéressé aurait eu à les déménager en Guinée ou prendre des mesures pour pouvoir en disposer en RDC. Partant, elle ne doute pas que le comportement illicite de la RDC a causé à M. Diallo un certain préjudice matériel s’agissant des biens personnels qui se trouvaient dans son appartement. Dans ces conditions, se basant sur des considérations d’équité, la Cour considère que la somme de 10 000 dollars des Etats-Unis constitue une indemnité appropriée au titre dudit préjudice matériel subi par M. Diallo (par. 30-36).

2) Perte de rémunération qu’aurait subie M. Diallo au cours de ses détentions et à la suite de son expulsion illicites
La Cour estime que la Guinée n’a pas établi que M. Diallo percevait de ses deux sociétés une rémunération mensuelle dans la période qui a précédé immédiatement ses détentions. Elle observe que la Guinée n’a pas davantage expliqué en quoi les détentions de M. Diallo auraient provoqué l’interruption du versement de la rémunération que l’intéressé aurait pu recevoir en sa qualité de gérant desdites sociétés. Dans ces circonstances, la Cour estime que la Guinée n’a pas prouvé que M. Diallo aurait subi une perte de rémunération professionnelle à la suite de ses détentions illicites (par. 37-46). Elle considère que les raisons pour lesquelles elle a rejeté la demande formulée au titre de la perte de rémunération professionnelle qu’aurait subie M. Diallo pendant ses périodes de détention valent tout autant pour la demande qui a trait à la période suivant l’expulsion de M. Diallo. Elle ajoute que cette demande est en outre fondée en grande partie sur des conjectures, partant notamment de la supposition que M. Diallo aurait continué de percevoir cette somme mensuelle, n’eût été son expulsion illicite. Par conséquent, la Cour conclut qu’aucune indemnisation ne saurait être allouée au titre des allégations de la Guinée qui concernent la rémunération que M. Diallo n’aurait pu percevoir à la suite de son expulsion (par. 47-49). En conséquence, la Cour n’accorde aucune indemnité au titre de la perte de rémunération prétendument subie par M. Diallo au cours de ses détentions et à la suite de son expulsion (par. 50).

3) Privation alléguée de gains potentiels
La Cour observe que la Guinée formule une autre demande au titre de ce qu’elle appelle les «gains potentiels» de M. Diallo. Elle estime que cette demande revient à réclamer une indemnisation à raison d’une perte de valeur des sociétés qui serait attribuable aux détentions et à l’expulsion de M. Diallo. Or, pareille réclamation va au-delà de l’objet de l’instance, la Cour ayant déjà déclaré irrecevables les demandes guinéennes se rapportant aux préjudices qui auraient été causés aux sociétés. En conséquence, la Cour n’alloue aucune indemnité à la Guinée au titre de sa demande afférente à des «gains potentiels» de M. Diallo (par. 51-54).

II. Total de l’indemnité et intérêts moratoires
La Cour conclut que l’indemnité à verser à la Guinée s’élève à un total de 95 000 dollars des Etats-Unis, payable le 31 août 2012 au plus tard. Elle décide que, en cas de paiement tardif, des intérêts moratoires sur la somme principale due courront, à compter du 1er septembre 2012, au taux annuel de 6 pour cent (par. 56).

III. Frais de procédure
La Cour décide que chaque Partie supportera ses frais de procédure (par. 60).

Composition de la Cour
La Cour était composée comme suit : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, juges ; MM. Mahiou, Mampuya, juges ad hoc ; M. Couvreur, greffier.
M. le juge Cançado Trindade joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; MM. les juges Yusuf et Greenwood joignent des déclarations à l’arrêt ; MM. les juges ad hoc Mahiou et Mampuya joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle.

Source : CIJ